Qu’est-ce que le thorium ?
Le thorium est un élément radioactif plus discret dans l’industrie nucléaire que les autres. Il a pourtant des avantages notables qui pourraient faire de lui un très bon élément pour les réacteurs nucléaires dans le futur. Plusieurs pays dans le monde tentent ainsi dès à présent d’y consacrer une filière dédiée.
L’uranium est la matière la plus communément utilisée dans les réacteurs à eau pressurisée (REP), la technologie de réacteur la plus répandue dans le monde. Il existe cependant d’autres technologies de réacteurs, comme ceux au thorium, perçus aujourd’hui comme novateurs mais qui sont en fait à l’étude depuis bien des années. Cette technologie a bon nombre d’avantages qui pourraient faire d’elle une solution énergétique d’avenir.
Le thorium est un élément du tableau périodique de Mendeleïev. Il porte le numéro atomique (Z) 90 et fait partie de la famille des actinides, comme l’uranium (Z = 92). C’est également un métal, gris à argenté, plus faiblement radioactif que ce dernier. En comparaison à l’uranium, il est environ trois fois plus abondant dans la nature.
Du thorium à l’uranium
Là où l’uranium possède plusieurs isotopes (U235, U238, etc…) à des proportions variables, le thorium lui n’en compte essentiellement qu’un seul : le thorium 232. Celui-ci n’est cependant pas fissile (comme peut l’être l’uranium 235 par exemple), ce qui est nécessaire à la fission nucléaire dans le réacteur, mais il est fertile. Il ne peut donc pas être utilisé tel quel dans un combustible nucléaire.
C’est en fait la capture d’un neutron qui va permettre de former un noyau d’uranium 233, lui fissile. Suite à la projection d’un neutron sur un noyau de thorium 232, celui-ci va pouvoir le capturer et former un noyau plus lourd de thorium 233. Puis à la suite d’une courte désintégration radioactive, il va se transformer en protactinium 233 et, à la suite d’une seconde, beaucoup plus longue, il deviendra de l’uranium 233. Ce dernier pourra finalement être fissionné pour dégager l’énergie recherchée au sein d’un réacteur nucléaire.
Dans un réacteur nucléaire, le thorium ne peut être utilisé seul dans le combustible. Au démarrage, il est nécessaire d’avoir une quantité suffisante de matière fissile pour initier et entretenir les premières opérations de fission. Par ailleurs, l’uranium 233 n’est plus présent sur l’écorce terrestre, dû à sa période radioactive relativement courte à l’échelle des temps géologiques (159 000 ans). Ainsi l’uranium 235 ou le plutonium 239 sont généralement utilisés, puis l’uranium 233, qui se formera peu à peu au sein du réacteur, prendra le relais.
À noter que l’uranium 233, en comparaison à l’uranium 235, a plus de chance de se fissionner, ce qui le rend à terme plus performant dans un réacteur. Enfin, les réacteurs au thorium pourraient générer moins de déchets radioactifs — ici on parle des actinides mineurs, principaux déchets radioactifs que génèrent les réacteurs conventionnels.
Surgénération dans les réacteurs de puissance
Un avantage de l’uranium 233 est sa capacité à générer plus de neutrons à sa fission que d’autres. Ces neutrons pourront ensuite interagir avec les autres noyaux de thorium 232, qui formeront à leur tour des noyaux d’uranium 233, et ainsi de suite. Un réacteur à thorium pourrait donc fonctionner en « surgénération », c’est-à-dire qu’il forme plus de matière fissile (uranium 233) qu’il n’en consomme. Ce phénomène physique qui est généralement propre aux réacteurs à neutrons rapides, pourrait ici être envisagé, à moindre mesure, avec des neutrons lents/thermiques (donc sur des technologies de réacteur en place aujourd’hui).
Les projets dans le monde
Plusieurs pays ont travaillé sur des projets de réacteur à thorium dans le monde, y compris la France. De nos jours, l’Inde et la Chine sont les principaux intéressés par celui-ci, puisqu’ils possèdent d’importantes réserves de cette matière sur leurs territoires. L’Inde explore donc l’utilisation du thorium dans des réacteurs à eau lourde, nommés CANDU, ou dans des réacteurs à neutrons rapides, tandis que la Chine privilégie les réacteurs à sels fondus (RSF), qui présenteraient de multiples avantages comme servir « d’incinérateur » à déchets radioactifs [1]. Elle a d’ailleurs délivré en juin 2023 un permis d’exploitation pour ce type de réacteur. En Norvège, des recherches sont aussi menées par la société Thor Energy sur un combustible à base d’oxyde de thorium et de plutonium, le Thorium-MOX, selon eux compatible avec 90 % des réacteurs existants.
Bien que le thorium présente de nombreux avantages, il n’est à ce jour pas privilégié par l’industrie nucléaire mondiale. En effet, une des premières raisons est son coût d’extraction plus élevé que l’uranium [2]. Également, les projets de recherche sont plus coûteux, d’une part car cette filière souffre d’un plus faible niveau d’expérience que les autres et, d’autre part, car la manipulation du thorium après irradiation est complexe, nécessitant ainsi des installations de traitement plus onéreuses. ■
Par François Terminet (Sfen)
Image : Thorium, Source : Shutterstock
[1] Les actinides mineurs générés dans d’autres réacteurs pourraient être incorporés au mélange de sels fondus et être détruits par la suite durant le fonctionnement du RSF.
[2] Le thorium est principalement trouvé dans la monazite. C’est un minéral qui peut être constitué de 3 terres rares de façon distincte : le cérium, le lanthane et le néodyme. Il est également radioactif car il inclus généralement du thorium ou de l’uranium. Lors de l’exploitation de ce minerai, le thorium est considéré comme un sous-produit.