Fessenheim
La centrale nucléaire de Fessenheim a démarré sa production d’électricité en 1977 et symbolise le début du programme nucléaire français du XXe siècle avec les réacteurs à eau préssurisée (REP). Après quarante-trois années d’existence, la France a décidé l’arrêt définitif d’un moyen de production d’électricité sûr et bas carbone.
La centrale nucléaire de Fessenheim est la première centrale nucléaire française de type réacteur à eau pressurisée de la filière 900 MW mise définitivement à l’arrêt (réacteur 1, le 22 février, réacteur 2 le 30 juin), après 42 ans de fonctionnement. Implantée en bordure du Grand canal d’Alsace sur le territoire de la commune de Fessenheim (Haut-Rhin), cette centrale nucléaire a fait l’objet de nombreux débats et d’une incompréhension de bon nombre de parties prenantes, quant à son arrêt définitif.
Pourquoi Fessenheim
Dans les années 1960, le président de la République Charles de Gaulle autorisait la construction de la centrale nucléaire de Fessenheim, à la frontière avec l’Allemagne pour assurer la souveraineté énergétique de la France. A cette époque, la France possédait déjà des réacteurs nucléaires de la filière uranium naturel graphite gaz (UNGG). En 1970, EDF décide d’abandonner cette filière pour la technologie américaine des réacteurs à eau sous pression (REP) sous licence de Westinghouse Electric Company, en prenant comme référence la centrale nucléaire de Beaver Valley en Pennsylvanie. Le projet de Fessenheim est alors financé grâce à la participation de trois sociétés : l’entreprise publique française Électricité de France (67,5 %), le groupe allemand EnBW (17,5 %) et un consortium de trois sociétés suisses (15 %).
En 1977, la première unité de la centrale de Fessenheim est connectée au réseau électrique français en avril, suivie d’une seconde unité en octobre. C’est aussi la première centrale française équipée de la nouvelle technologie REP, aujourd’hui majoritaire dans le monde. Ce choix est confirmé en 1974 par le plan du Premier ministre Pierre Messmer qui, à la suite du choc pétrolier de 1973 et l’envolée du prix du baril, décide de lancer la France dans la construction d’un vaste programme nucléaire composé de 13 réacteurs de 900 MW fondé sur la technologie REP choisie pour Fessenheim. Grâce à cette décision, le taux d’indépendance énergétique de la France est aujourd’hui l’un des plus élevés de l’Union européenne (53,1 %).
L’élection présidentielle française en 2012 et les conséquences de Fukushima
« Dans l’immédiat, je propose la fermeture de Fessenheim parce que c’est la plus ancienne de nos centrales, mais aussi pour des raisons de sûreté puisqu’elle est située sur une zone sismique » avait déclaré le candidat François Hollande dans le Dauphiné Libéré en janvier 2012. Conséquence d’une alliance électorale entre le parti Socialiste et Europe écologie-les verts, la fermeture de la centrale de Fessenheim était un point crucial de l’accord, qui prévoyait, en plus de l’arrêt immédiat de Fessenheim, la fermeture progressive de 24 réacteurs. Pourtant, rien n’a justifié sur le plan technique, la fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim. La troisième visite décennale des deux réacteurs (en 2011 et 2013) a été l’occasion d’effectuer un important réexamen de sûreté, tandis que les Evaluations complémentaires de sûreté (ECS), menées à la suite de l’accident de Fukushima Daiichi, ont conduit à un rehaussement significatif des exigences de sûreté. Ainsi l’exploitant EDF a dû procéder à des travaux de renforcement du radier destiné à refroidir et à contenir le corium ainsi qu’à l’installation d’une source de refroidissement supplémentaire. Au total, ces chantiers ont coûté 280 millions d’euros à l’électricien. En 2015, Fessenheim était même considéré comme l’une des centrales « les plus sûres de France » selon Pierre-Franck Chevet, président de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN).
Enfin, le risque sismique, souvent invoqué par les partisans de la fermeture n’est pas pris à la légère. En effet, la centrale est dotée de normes antisismiques qui lui permettent de résister à un tremblement de terre de magnitude 6,7 sur l’échelle de Richter. Un niveau de protection jugé suffisant par l’ASN. Celui-ci est calculé sur la base du dernier séisme de grande envergure qui a eu lieu dans la région en 1356, plus précisément à Bâle.
Le tournant de la loi de transition énergétique en 2015
L’avenir de la centrale nucléaire de Fessenheim a été scellé par la Loi de transition énergétique pour la croissance verte (LTECV), votée en août 2015. Elle posait deux principes sur l’avenir de l’énergie nucléaire en France : la part de l’énergie nucléaire ne devra pas dépasser 50 % du mix électrique à horizon 2025 (repoussée depuis à 2035) ; la loi prévoit un plafonnement de la puissance nucléaire installée à 63,2 GW. En conséquence, et pour respecter ce plafond légal, une capacité de production nucléaire devra fermer avec l’arrivée de l’EPR de Flamanville et de ses 1,6 GW de puissance.
D’abord annoncée pour 2016, la fermeture a été prononcée par un décret abrogeant l’autorisation d’exploiter la centrale de Fessenheim adopté la veille de l’élection présidentielle, soit le 8 avril 2017 ; décret sur décision de la ministre chargée de l’énergie Ségolène Royal. Vivement critiquée, cette décision répondait à un calendrier politique, sans justification sur le plan de la sûreté et en l’absence totale de base légale. Le décret a été attaqué par plusieurs collectivités territoriales, dont la commune de Fessenheim, et deux organisations syndicales au motif qu’il avait été pris en violation des dispositions du code de l’énergie relatives aux conditions de production d’électricité, notamment d’origine nucléaire. En effet, le principal grief est que c’est à l’exploitant de demander à l’Etat l’abrogation de l’autorisation d’exploiter une installation de production d’électricité ; or à cette date, EDF n’avait formellement présenté aucune demande. Les demandeurs eurent gain de cause auprès du Conseil d’Etat qui, par un arrêt du 25 octobre 2018, a annulé le décret.
La décision de fermeture actée par EDF et Emmanuel Macron en 2017
Pour autant, le Conseil d’administration d’EDF, par une délibération du 6 avril 2017 a bien voté « la fermeture de façon irréversible et inéluctable de Fessenheim ». Or à la date du décret attaqué, le président-directeur général d’EDF, Jean-Bernard Lévy, n’avait pas encore présenté au ministre de l’énergie une demande formelle d’abrogation de l’autorisation d’exploiter la centrale de Fessenheim. Le Conseil d’Etat ne s’était donc pas prononcé sur le bienfondé du maintien ou non de la centrale mais uniquement sur un point de procédure administrative. La décision de fermeture est bel et bien actée d’autant qu’elle figure dans le programme d’Emmanuel Macron à l’élection présidentielle. En janvier 2018, Sébastien Lecornu alors secrétaire d’État auprès du ministre de la Transition écologique et solidaire met en place un « comité de pilotage » chargé de préparer la reconversion de la centrale de Fessenheim. En septembre 2019, la secrétaire d’État à la Transition écologique, Emmanuelle Wargon, précise publiquement que l’arrêt des deux tranches de Fessenheim interviendra « en février » et « en juin » 2020.
Bilan de la centrale et projets pour le territoire à 2020
Depuis le début de son exploitation, la centrale nucléaire de Fessenheim a produit près de 430 TWh d’électricité bas carbone, soit environ la consommation électrique annuelle de la France. 2019 a même été marqué par un record de production avec 11,9 TWh soit 85 % de la production d’électricité du territoire alsacien. Un territoire qui bénéficie de plus de 45 millions d’euros de retombées fiscales en 2018. Sur le terrain de l’emploi, ce sont 700 salariés EDF qui travaillent à la centrale, ainsi que 280 salariés permanents d’entreprises prestataires. En comptant les emplois indirects et induits, les revenus de 5 000 personnes dépendent donc de la centrale selon, selon l’Insee (2014).
La fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim, des conséquences sur le climat
La fermeture de Fessenheim entraîne un surcroît d’émission de gaz à effet de serre en Europe correspondant à plusieurs millions de tonnes équivalent CO2 par an, équivalent à 10-20 % des émissions annuelles totales d’une région comme l’Île-de-France1. Sur le plan de la lutte contre le changement climatique, cette décision est donc fortement contreproductive.
Fermer une centrale nucléaire, c’est augmenter les émissions de gaz à effet de serre
Une centrale nucléaire arrêtée et qui aurait pu continuer à fonctionner voit sa production remplacée par celle de centrales à charbon et à gaz quelque part en Europe (du fait des interconnexions aux frontières, le marché électrique doit être considéré à l’échelle européenne). Avec des émissions sur le cycle de vie de 12 gCO2éq/kWh pour le nucléaire, de 820 gCO2éq/kWh pour des centrales à charbon modernes (leur âge moyen dans l’Union européenne est de 33 ans2, et de 490 gCO2éq/kWh pour des centrales à cycle-combiné gaz modernes3, le surcroît d’émission annuel lié à la fermeture des réacteurs de Fessenheim sera donc compris entre 6 et 10 millions de tonnes équivalent CO2 par an.
Ces valeurs sont conservatives, les centrales à charbon européennes n’étant pour la plupart pas des centrales modernes et efficaces. De plus, en France, les émissions sur le cycle de vie de l’énergie nucléaire sont moitié plus faibles que dans le reste du monde du fait de l’enrichissement de l’uranium à partir d’électricité bas carbone (GIEC).
Maintenir la centrale de Fessenheim en activité – dont l’ASN « considère que les performances en matière de sûreté nucléaire du site de Fessenheim, dans la continuité des années précédentes, se distinguent de manière favorable par rapport à la moyenne du parc » – aurait donc permis à l’Europe d’émettre entre 6 et 10 millions de tonnes équivalent CO2 de moins chaque année, toutes choses égales par ailleurs.
Alors que le changement climatique s’est mué en urgence climatique, il est inquiétant de constater que la priorité ne semble toujours pas être de chercher à réduire les émissions de gaz à effet de serre dans des proportions compatibles avec l’objectif de 2°C fixé par l’Accord de Paris. Si peu de gouvernements nient aujourd’hui la réalité du changement climatique ou refusent clairement d’agir, l’essentiel des politiques de décarbonation de par le monde sont encore d’ordre déclaratoire.
Une fermeture qualifiée de non-sens industriel, écologique, économique et social pour les organisations syndicales de la centrale. Le point.
Une ineptie en termes d’emplois dans le territoire
« Si le 2e réacteur doit être arrêté définitivement le 30 juin prochain, en août, ce seront 170 salariés EDF qui quitteront aussi la centrale », expliquait Vincent Rusch, délégué CFDT d’EDF Fessenheim, en juin 2020. Ensuite, jusqu’à l’évacuation du combustible, programmé d’ici 2023, ce seront 294 personnes qui resteront pour assurer la continuité de la sûreté de l’installation, au lieu de 738 agents début 2020. « A terme, pendant la phase de déconstruction, ce chiffre baissera encore à 60 personnes. L’impact sur l’emploi est aussi important chez les personnels sous-traitants qui passent en quelques mois de 300 à 150 sur le site ». Dire que l’activité du démantèlement est source d’emplois est faux ; c’est bien moins qu’en phase d’exploitation.
Une amertume envers les politiques
Ce que reprochent les syndicats, les salariés, mais aussi des politiques locaux, régionaux et nationaux, face à la fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim, c’est l’absence de raison valable fournie par l’Etat. Fermer cette centrale relève d’un choix arbitraire, d’une décision poussée par le mouvement « écologique » allemand et suisse qui n’a cessé depuis son démarrage en 1978. Une décision jugée uniquement « électoraliste pour remporter quelques voix de plus lors de l’élection présidentielle de 2012 », pour des syndicats de Fessenheim qui qualifient cette fermeture d’ineptie.
Une ineptie en termes de sécurité d’approvisionnement
La question de la sécurité d’approvisionnement revient au premier plan des préoccupations et a été renforcée avec la crise de Covid-19. Fermer deux unités de production pilotables de 900 MW bas carbone, représentant plus de 2 % de la production électrique en France peut conduire à un risque réel. Ce risque de baisse de production d’origine pilotable a été souligné début 2020 par RTE, notamment pour le passage de l’hiver 2022-2023 où d’autres capacités pilotables (centrales à charbon cette fois) sont amenées aussi à s’arrêter. La fermeture programmée de 14 réacteurs nucléaires dont les 2 de Fessenheim d’ici 2035 renforce cette problématique.
Une ineptie en termes de climat
Alors que la centrale de Fessenheim fermait en juin 2020, l’Allemagne a ouvert, le 30 mai 2020, une centrale à charbon. Cette installation de capacité de 1 100 MW à Datteln 4 suscite l’incompréhension, voire la stupéfaction côté Français.
Fessenheim soulève la question de la capacité de vision énergétique stratégique pour la France
« On a mis et on continue de mettre la charrue avant les bœufs en France, en arrêtant une production pilotable bas carbone et sûre, sans compenser à la même hauteur de capacité pilotable », soulignent l’ensemble des syndicats professionnels du secteur. Ils s’accordent à dire que « ne se baser que sur de l’éolien et du solaire, énergies intermittentes, n’est pas faisable techniquement aujourd’hui ».
- « Bon marché » – L’électricité d’origine nucléaire en France est une des moins chères d’Europe. À titre de comparaison, un foyer allemand paie son courant 70 % plus cher qu’un foyer français (Eurostat, 2018).
- « Génératrice d’emplois » – Ce sont 5 000 emplois, directs, indirects et induits qui étaient générés par la centrale. Son démantèlement n’occupera que 15 % seulement des effectifs en temps d’exploitation.
- « Sûre » – Pierre-Franck Chevet, président de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) de 2012 à 2018 a qualifié la centrale nucléaire de Fessenheim comme étant « l’une des usines les plus sûres de France ».
- « Bonne pour le climat » – La centrale de Fessenheim émet 6 g de CO2/kWh, alors que, de l’autre côté du Rhin, le système électrique allemand émet plus de 400 g de CO2 /kWh (Entsoe).