Sels fondus : de quoi on parle ?
Les réacteurs à sels fondus correspondent à une technologie de réacteurs de 4ème génération, dont le combustible est sous forme liquide incorporé dans des sels fondus. Elle est innovante pour de multiples raisons : production d’électricité et de chaleur à très haute température, valorisation de toutes les matières fissiles, incinération des actinides mineurs, etc.
L’immense majorité des réacteurs nucléaires en exploitation dans le monde aujourd’hui utilise l’eau comme caloporteur. C’est-à-dire que c’est elle qui permet le transport de la chaleur, générée par la fission nucléaire, depuis le cœur jusqu’au générateur de vapeur. On parle de réacteur à eau légère. Comme dans toute bonne recette de cuisine, ajouter un peu de sel donne une saveur à un plat. Parmi la multitude de concepts alternatifs, l’un d’entre eux utilise du sel (qui n’est pas du sel de table !) pour fonctionner. Ce sont les Réacteurs à Sels Fondus (RSF) ou Molten Salt Reactor (MSR) en anglais.
Les sels fondus
Les réacteurs à sels fondus utilisent principalement des sels fluorés, mais certaines conceptions utilisent plutôt des chlorures. Ces sels sont sous forme liquide par fusion à de très hautes températures. Les matières fissiles nécessaires à la réaction nucléaire sont dissoutes dans ce liquide. Le mélange entre sels et matières fissiles jouera ainsi à la fois le rôle de combustible nucléaire et celui de caloporteur : la réaction nucléaire s’effectue dans ce « fluide combustible ». En circulant dans le réacteur, il va chauffer un second sel non fissile, qui lui passera dans le générateur de vapeur.
Les sels fondus emmagasinent mieux la chaleur que l’eau et cela à des températures bien plus élevées. De cette façon, ces réacteurs pourraient répondre aux besoins de chaleur industrielle à haute température, en plus de pouvoir fournir de l’électricité.

Source : Sfen / RGN 2019 – Les Gen IV
Une production continue en théorie
Théoriquement, les réacteurs à sels fondus peuvent fonctionner en continu et ne nécessitent pas d’arrêt pour le rechargement en combustible comme les réacteurs traditionnels. En effet, le réacteur peut être connecté à des réservoirs de traitement qui réceptionnent et stockent les sels fondus à traiter puis qui les renvoient une fois épurés de leurs déchets, à savoir les produits de fission, dans le réacteur. Celui-ci peut ainsi être rechargé en combustible durant son fonctionnement. Dans un réacteur à sels fondus, toutes les matières nucléaires, à savoir l’uranium, le plutonium ou encore le thorium, peuvent être valorisées.
Quant aux actinides mineurs, que l’on qualifie habituellement de déchets nucléaires pour les réacteurs traditionnels, ils pourraient rester au sein du réacteur jusqu’à ce qu’ils soient totalement « détruits ». Il s’agit ici d’effectuer leur transmutation grâce aux neutrons rapides. Ces derniers vont interagir avec les actinides mineurs et les transformer en atomes plus lourds. Ils pourront ensuite être fissionnés par d’autres neutrons dans le réacteur ce qui va drastiquement réduire leur durée de vie et donc la radiotoxicité associée à long terme.
Sûreté passive
Compte tenu de la nature liquide du combustible, les principes de sûreté qui s’appliquent aux réacteurs traditionnels ne sont pas toujours transposables et doivent être repensés pour les réacteurs à sels fondus. Ceux-ci possèdent notamment d’autres systèmes de sûreté dits « passifs ». Ce sont des éléments intégrés dans la conception du réacteur qui utilisent des principes physiques naturels pour améliorer la sûreté et qui ne nécessitent pas d’interventions humaines directes. Les risques d’emballement de la réaction nucléaire (que l’on appelle risque de criticité) et de dissémination des radioisotopes dans l’environnement par exemple sont limités grâce à la sûreté passive.
Quelles limites ?
Le niveau de maturité des RSF est encore assez bas aujourd’hui, bien que les premiers réacteurs expérimentaux datent des années 60. Cette technologie fait donc face à plusieurs limites. D’une part, elle n’a actuellement pas de dispositions réglementaires qui lui est propre, ni de cycle du combustible dédié à l’échelle industrielle. D’autre part, les systèmes de sûreté imaginés pour les RSF ont suivi peu d’essais de démonstration et manquent ainsi de retours d’expérience. Enfin, il subsiste encore un certain nombre d’inconnues, notamment sur l’évolution chimique des sels combustibles, sur les codes de calcul, sur les matériaux capables de supporter la combinaison des fortes températures, de l’irradiation et de la corrosion par les sels, etc.
De nombreux projets en cours
Il existe tout de même plusieurs projets de réacteurs à sels fondus dans le monde, qui explorent différents types de mélange salin. En France, Naarea, Stellaria et Thorizon sont les trois sociétés qui développent un AMR (Advanced Modular Reactor) aux sels fondus. D’autres projets sont en cours dans le monde, par exemple en Chine avec le Thorium Molten Salt Reactor Energy System (TMSR) dont un petit prototype est déjà opérationnel depuis 2023, aux Etats-Unis avec le projet Hermes de Kairos Power le projet Molten Chloride Fast Reactor (MCFR) de TerraPower, ou encore au Canada avec le projet Wasteburner de Moltex Energy. L’Agence de l’énergie nucléaire (AEN) de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) a publié l’état d’avancement en 2025 de la plupart de ces projets dans le monde. ■