Les centrales nucléaires pourraient-elles répondre aux besoins de chaleur ?
La production de chaleur est un des principaux pôles énergétiques en France. Elle reste encore aujourd’hui fortement émettrice de CO2. L’énergie nucléaire pourrait contribuer, d’ici quelques années, à décarboner ce secteur, comme cela commence déjà à être le cas dans certains pays tels que la Chine et la Suisse.
Quand on parle d’énergie, on en oublie souvent une partie essentielle : la chaleur ! Assez méconnue du grand public, cette dernière représente pourtant plus de la moitié de la consommation en France. Tout comme pour l’électricité et les transports, il est essentiel de la décarboner pour que le pays respecte ses objectifs climatiques. Or aujourd’hui, la chaleur est essentiellement produite grâce au gaz naturel, un combustible fossile. La biomasse, la géothermie, l’incinération des déchets (etc.) peuvent la remplacer (cela commence d’ailleurs déjà à être le cas). Par ailleurs, l’énergie nucléaire pourrait également avoir une place importante à jouer sur ce secteur énergétique dans les prochaines décennies.
Les besoins en chaleur
Deux secteurs principaux en sont demandeurs : l’industrie et les réseaux de chaleur urbains (tertiaire et résidentiel).
- L’industrie
La chaleur représente 70% des besoins énergétiques des industriels. Parmi eux, on retrouve plusieurs secteurs, tels que l’industrie de la chimie, de la métallurgie, du papier, etc. Leur process nécessitent des gammes de températures allant principalement de 100°C à 500°C, voire plus de 1000°C pour certains. Aujourd’hui ce sont principalement des combustibles fossiles (gaz naturel, charbon) qui sont utilisés pour atteindre ces températures. Il existe aussi de plus en plus de four électrique.
- Les réseaux de chaleur
Les réseaux de chaleur urbains permettent de chauffer les bâtiments publics et privés et les habitations qui sont raccordés. Les températures requises sont comprises entre 40°C et 210°C. On en compte environ 900 en France, dont environ 65% correspondent à une chaleur issue des énergies renouvelables (le reste est issu des énergies fossiles). Leur nombre est largement insuffisant car ils satisfont seulement 10% des besoins du tertiaire et du résidentiel. À noter qu’il est aussi possible de fournir du froid grâce à certains réseaux de chaleur pour les périodes estivales.
Si des électrons se transportent facilement sur des centaines de kilomètres, ce n’est pas le cas de la chaleur. Il y a beaucoup de pertes au-delà d’une trentaine de kilomètres. Les usages doivent donc se trouver à proximité de la centrale, ce qui pose des questions d’acceptation du public. Mais, avec les progrès des technologies de canalisation, la chaleur pourrait être transportée sans perte sur 100 km dans le futur.
L’énergie nucléaire, une nouvelle solution
Un réacteur nucléaire produit d’abord de la chaleur grâce à la fission nucléaire, c’est d’ailleurs celle-ci qui est utilisée pour produire l’électricité, une fois convertie grâce au couple turbo-alternateur. Il est donc naturel de penser qu’une centrale nucléaire puisse être utilisée pour répondre aux besoins en chaleur, sous forme de vapeur. D’ailleurs, une partie de la chaleur produite par le réacteur n’est pas exploitée, on parle de chaleur fatale : seulement 30% de la chaleur produite est convertie en électricité.
On peut donc imaginer qu’une centrale nucléaire puisse produire exclusivement de la chaleur ou bien à la fois de l’électricité et de la chaleur, c’est ce qu’on appelle la cogénération. Quelques centrales nucléaires dans le monde le font déjà, c’est le cas par exemple en Suisse avec la centrale de Gösgen, capable de fournir des températures montant jusqu’à 210°C, ou en Chine avec la centrale de Haiyang, pour des températures allant jusqu’à 100°C. La première récupère la chaleur en amont de la turbine et la seconde en aval, on parle de repiquage de chaleur.
Les réacteurs à eau pressurisée (REP) du parc français ne produisent pas de chaleur, car ils ont été conçus à l’origine exclusivement pour la production d’électricité. Il serait néanmoins techniquement possible d’adapter les centrales pour de la cogénération, mais cela requerrait de nombreuses modifications sur les installations (ajustement technique de la turbine, aménagements des sites, etc.). Il est ainsi préférable d’envisager cette option dès la conception d’un réacteur, comme cela pourrait être le cas pour certains EPR2 du parc dans le futur.
La Chine a aussi procédé à la mise en service commerciale d’un démonstrateur de réacteur à haute température (500°C), le HTR-PM, en décembre 2023. Ce réacteur est dit « à lit de boulets ».
Les technologies nucléaires innovantes
Pour répondre à davantage de besoins en chaleur, pour des gammes de températures plus élevées (500°C à 700°C), des technologies innovantes de réacteurs nucléaires sont à l’étude. C’est l’un des objectifs des AMR (Advanced Modular Reactor). Certains concepts sont exclusivement tournés vers la production de chaleur, tels que les réacteurs dits calogènes des start-up Calogena, Jimmy Energy et Blue Capsule. D’autres technologies de réacteur envisagent elles la cogénération. Leurs avantages seraient d’être flexibles dans leur utilisation, multipliables pour répondre à des besoins précis, nécessitant moins d’infrastructures et plus « rapidement » déployables qu’une centrale nucléaire.
Un autre voie serait celle des réacteurs de 4ème génération : les réacteurs à neutrons rapides. Ces technologies (déjà étudiées par le passé avec Astrid, Phénix et Superphénix) pourraient répondre aux besoins en chaleur de très hautes températures (au-delà des 500°C) pour un plus grand nombre de foyers et d’industries, tout en contribuant à limiter l’utilisation des ressources en uranium et en réduisant la radioactivité des déchets nucléaires en éliminant certains actinides mineurs.■