Fukushima, 10 ans après - Sfen

Fukushima, 10 ans après

Fukushima, 10 ans après

Dix ans après l’accident nucléaire de Fukushima, il s’agit de dresser un point sur la situation du site, les travaux engagés, la gestion des eaux contaminées, le bilan social et sanitaire, et le mix-énergétique au Japon.

Le séisme de magnitude 9 survenu le 11 mars 2011 à 150 km au nord de Tokyo au Japon, et le tsunami (épicentre situé dans l’océan Pacifique à 145 km de Fukushima) qui s’en est suivi, ont affecté gravement le territoire, avec des conséquences majeures pour les populations et les infrastructures. En dévastant le site de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi mais aussi toute la région, ces événements naturels exceptionnels ont été à l’origine de la fusion des cœurs de trois des six réacteurs et de la perte de refroidissement de 4 piscines d’entreposage de combustibles usés. Des explosions sont survenues dans les bâtiments des réacteurs 1 à 4 du fait notamment de la production d’hydrogène lors de la dégradation des combustibles à très haute température. S’en sont suivis des rejets radioactifs dans l’environnement nécessitant l’évacuation de près de 80 000 habitants. L’accident a été classé au niveau 7 de l’échelle internationale INES. Dix ans après l’accident nucléaire de Fukushima, il s’agit de dresser un point, en plusieurs parties, sur la situation du site, les travaux engagés, la gestion des eaux contaminées, le bilan social et sanitaire, et le mix-énergétique au Japon.

I – Point sur les travaux passés et en cours
II – La gestion des eaux contaminées
III – Le bilan sanitaire
IV – Les leçons de l’accident
V – Le Japon, le nucléaire et le climat en 2020

 

I – Point sur les travaux passés et en cours

La situation au 11 mars 2011 avant le séisme et le tsunami
Pour rappel, la centrale de Fukushima comptait 6 réacteurs à eau bouillante (REB) mis en service entre 1971 et 1979, pour une puissance installée totale de 4 696 MWe. Le 11 mars 2011 à 14h46 heure locale, les réacteurs 1 (460 MW), 2 et 3 (784 MW chacun) fonctionnaient à pleine puissance, tandis que le réacteur 4 (784 MWe) était arrêté depuis le 29 novembre 2010 pour maintenance. Les réacteurs 5 (784 MWe) et 6 (1100 MWe) étaient aussi arrêtés depuis janvier 2011 pour maintenance. Le cœur de ces trois derniers réacteurs avait été évacué dans leur piscine respective de stockage des combustibles usés.

Bilan de la centrale nucléaire après le séisme et le tsunami
Quelques mois après, les analyses de l’électricien TEPCO  ont conclu :
– à la fusion totale du cœur et à la percée de la cuve du réacteur 1, avec épandage de corium (mélange de combustible fondu, de gaines en zircaloy oxydées et de métaux) dans le fond de l’enceinte de confinement ;
– à une dégradation importante des cœurs des réacteurs 2 et 3, considérée depuis, également comme complète.
Dans ces trois unités 1 à 3, le corium a percé le fond de la cuve, et une partie significative s’est retrouvée au fond du puits de cuve, une structure massive de béton qui supporte la cuve dans l’enceinte de confinement métallique.
– Le réacteur 4, qui avait été particulièrement ébranlé lors du séisme et du tsunami, a fait l’objet d’une évacuation des combustibles de la piscine, réalisée dans un délai exceptionnellement court (novembre 2014), après confortement du réacteur et la reconstruction des moyens de manutention.
– Les réacteurs 5 et 6 n’ont pas été affectés du fait qu’ils étaient construits sur une plate-forme située une dizaine de mètres plus haut que les quatre autres réacteurs et qu’ils ont conservé une alimentation électrique de secours opérationnelle (il est important de rappeler que le séisme lui-même avait dévasté toute la région et que le réseau de haute tension qui alimentait le site avait été perdu).
– Concernant les quatre piscines d’entreposage de combustibles usés, elles contenaient l’équivalent de 5 à 6 cœurs de réacteurs usés, avec en particulier du césium 137[1]. La priorité a été de rétablir un appoint d’eau et un refroidissement pour éviter la dispersion des radioéléments.
[1] Le césium 137 est un élément radioactif dont la durée de vie est considérée comme moyenne, et ses rayonnements sont de type bêta-gamma. Sa période (temps au bout de laquelle l’isotope perd la moitié de sa radioactivité) est de 30,1 ans. Il est produit lors de la réaction en chaine en réacteur (produit de fission).

Les travaux sur les réacteurs et les piscines, à février 2021
Aujourd’hui, un total de 2 700 éléments de combustible stockés dans les 4 piscines des réacteurs 1 à 4 sont en cours de sécurisation. Les chantiers d’évacuation des trois piscines, dont 1 et 2 prévus initialement pour être achevés vers 2020/2021 sont complexes, et devraient être terminés dans environ 10 ans. L’enlèvement des débris du hall du réacteur 1 est en voie d’achèvement et la reconstruction des moyens de manutention est en préparation. Les dégâts dans la piscine du réacteur 2 étant limités, le contenu sera vidé en dernier.
Le contenu de la piscine du réacteur 3 devrait être évacué totalement courant 2021.

L’évacuation du corium
Un deuxième chantier entrepris dès 2011 a été de restaurer la réfrigération des trois coriums des réacteurs 1, 2 et 3, contenant les débris de 1496 éléments combustibles, pour les solidifier et limiter les émissions. Les explorations du fond des puits de cuve par des robots ont confirmé que les coriums étaient désormais froids en raison de la décroissance radioactive et de l’arrosage par un débit continu d’eau.
L’objectif actuel est de caractériser les débris dont la composition physico-chimique et les caractéristiques mécaniques restent à définir. Compte-tenu des difficultés d’accès à ces coriums et du niveau d’irradiation, des mini-robots ont été conçus sur près de 22 m. C’est ainsi que les premières images ont été obtenues en 2016 et qu’un premier contact a été acquis en 2018. Le corium est froid (inférieur à 30 °C en surface) mais reste radioactif. Il est constitué de débris mobiles, qui pourraient être prélevés, mais également de parties « vitrifiées » qui devront être cassées avant extraction.  Un robot destiné à faire les premiers prélèvements en 2020 était en cours de réalisation par Veolia Nuclear Solutions UK, mais sa mise en œuvre a été reportée en raison du Covid-19 et sa réalisation est reprise en local en 2021. L’objectif de ce bras sera de prélever des petits morceaux de corium (au départ les seuls débris mobiles) pour caractérisation complète.
Dès 2022, l’extraction des débris devrait connaître un rythme de quelques grammes par jour, puis de quelques kilos par jour. Les derniers essais de qualification se feront directement sur site. En tout état de cause, la totalité de l’extraction du corium est estimée entre 2041 et 2051, avant de procéder au démantèlement des réacteurs eux-mêmes.

Les déchets nucléaires, une autre priorité
Les déchets du site sont pris en charge localement via une extension. Ils concernent les déchets issus des réacteurs eux-mêmes, notablement radioactifs, mais aussi les déchets faiblement radioactifs résultant du nettoyage du site pour réduire la dosimétrie des travailleurs.
Hors site, des volumes de déchets, faiblement radioactifs, ont résulté de travaux très importants de décontamination des sols par enlèvement de la couche superficielle.  Les volumes sont estimés à 50 m3/hectare. Faute d’avoir trouvé une préfecture acceptant un site de stockage national de ces terres faiblement contaminées en 2014, le gouvernement a demandé à chaque préfecture de prendre en charge leur entreposage. En parallèle, en novembre 2017, la NUMO (nuclear waste management organization of Japan), équivalent de l’Andra en France, a annoncé la préselection de deux sites de stockage, à proximité de la ville de Suttsu et du village de Kamoenai sur l’ile d’Hokkaido pour accueillir les déchets de haute activité.

En 2021, Fukushima est devenu un chantier local
Aujourd’hui, tous les experts et autorités de contrôle japonais et dans le monde s’accordent à dire que la situation est stabilisée sur le site. La priorité des  autorités locales et nationales est de renforcer encore la protection de l’environnement, des populations et du personnel. D’ailleurs, l’Etat japonais avait annoncé depuis quelques années déjà, son intention de recevoir la flamme des Jeux olympiques à Fukushima, en mars 2020 ; événement malheureusement reporté du fait du début de la crise sanitaire mondiale. Mais cette volonté montre concrètement que la région est à nouveau accessible et qu’aucun autre accident ne devrait conduire à déserter un territoire, ce qui est aujourd’hui intégré dans la doctrine de sûreté notamment en France et en Europe[2].  Au contraire, les Nippons montrent à quel point la réhabilitation d’un site tel que Fukushima est possible.
[2] https://www.asn.fr/Informer/Actualites/Rapport-sur-le-suivi-des-stress-t…

II – La gestion des eaux contaminées

L’essentiel de l’eau contaminée extraite du fond du réacteur provient des infiltrations de la nappe phréatique qui circule sous les réacteurs, les enceintes de confinement en acier et les blocs réacteurs en béton n’étant plus étanches.

Dans les premières années, la production d’effluents liquides radioactifs pompés dans les trois réacteurs était de 400 à 500 m3/jour. L’un des principaux objectifs de TEPCO a donc été de limiter ces infiltrations dans les sous-sols des bâtiments où elles se contaminent, rendant ainsi nécessaires leur traitement et leur entreposage​. Les tentatives initiales de ré-étanchéification n’ont pas été concluantes en raison des difficultés d’accès et des hauts niveaux de radioactivité, ce qui a conduit à d’autres solutions plus pérennes.

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Niveau d’eau dans les 4 réacteurs accidentés – source METI

Traitement des eaux contaminées
Très rapidement après l’accident de Fukushima, des dispositifs d’épuration des eaux extraites ainsi que des moyens de stockage ont été installés, souvent dans des conditions difficiles, l’environnement industriel ayant été ruiné par le séisme et le tsunami. Depuis, des installations de traitement (du césium au départ mais aujourd’hui multi-nucléides) et des réservoirs de stockage en inox soudé sur des bacs de rétention ont été améliorés et sont considérés comme efficaces et sûrs.

Des dispositifs de maîtrise des eaux souterraines installés progressivement depuis
Les quantités d’eaux extraites étant très importantes (550 m3 par jour en moyenne) dès 2011, la priorité a été de les réduire. Les dispositifs furent donc mis en place en plusieurs étapes, parallèlement à la décontamination des débris divers et des sols du site pour réduire la dosimétrie des travailleurs.

La première étape a consisté à réduire les débits d’eau en amont des réacteurs, en rabattant la nappe phréatique. Comme le montre la figure ci-dessous, à gauche, des puits de drainage ont été forés et équipés pour pomper l’eau amont, non ou très peu contaminée, pour contrôle et rejet en mer (2014).

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Schéma de gestion des eaux de la nappe phréatique traversant les sous-sols des réacteurs – TEPCO

La seconde étape (à droite de la figure), a été de construire une paroi étanche, descendant à 27 m de profondeur jusqu’à un couche argileuse étanche, pour isoler, sur 800 m, le port de la nappe phréatique. En amont de cette paroi, des drains permettent de pomper l’eau contaminée dans son passage, dans les soubassements des réacteurs, de la traiter et de la rejeter en mer après épuration (2015). Les rejets en mer ont ainsi été considérablement réduits, de 150 à 400 fois en césium et strontium (2015). Les rejets sont autorisés en accord avec les autorités du pays ainsi que les associations locales de pêcheurs.
La troisième étape, visant à réduire considérablement les débits entrants dans les réacteurs puis se dirigeant vers le port, a conduit à tenter d’isoler la totalité de l’îlot des réacteurs à l’intérieur d’une paroi étanche, une sorte de sarcophage, descendant également à 27 m et de 1400 m de longueur. La solution retenue a été de geler le sol sur 2 à 3 m d’épaisseur. Cet ensemble, avec les installations frigorifiques de grande ampleur requises, a été réalisé en très peu de temps entre 2014 et 2016, malgré des difficultés multiples liées à l’ensemble de canalisations, galeries et chemins de câbles qu’il a fallu également étancher, et à la présence de contaminations élevées.

Aujourd’hui, les résultats sont notables, avec une réduction des débits, de 500 à environ 150 m3/jour et l’objectif est de réduire encore ce débit à 100 m3/jour en 2025. Cette eau est pompée au fond des blocs de réacteurs, épurée en plusieurs étapes (césium puis multi-nucléides[3]), partiellement recyclée pour réfrigérer les coriums, le reste étant stocké.

[3] Principaux produits de fission présents dans les réacteurs.

Dans l’attente d’une autorisation de rejet pour dilution
La totalité des eaux pompées et traitées est aujourd’hui stockée sur place, et représente près de 1.200.000 m3. Cinq options ont été étudiées pour gérer ces eaux : la dilution en mer, l’évaporation dans l’air, l’injection dans le sol, le rejet sous forme de tritium gazeux, ou la solidification des eaux en vue d’un stockage. Les trois dernières options ont été écartées en février 2020, le ministère japonais de l’Économie évoquant « de nombreux problèmes non résolus pour une application pratique en termes de réglementation, de technologie et de temps ». À l’issue des opérations de décontamination, seuls subsistent le tritium[4] (qui est sous forme d’eau et qui ne peut être séparé) et des éléments radioactifs à l’état de traces, stockés dans un millier de réservoirs. Selon l’AIEA, le stockage pourrait-être saturé d’ici à 2022 et une décision sur le devenir de ces eaux traitées devrait en conséquence être prise. Le gouvernement japonais a établi des norme de rejets applicables à un rejet en mer, par nucléide, et au total en fonction des ratios de présence de ces nucléides (tableau ci-dessous).

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Limites d’autorisations de rejet d’effluents radioactifs du gouvernement japonais (source : Tepco)

Ces valeurs, de quelques dizaines à quelques centaines de Bq/l selon les nucléides, sont beaucoup plus élevées pour le tritium (60 000 Bq/l). Le tritium sous forme d’eau ne fait en effet que transiter dans le corps et ne s’accumule pas, son impact sanitaire étant extrêmement faible. De plus, lors d’un rejet en mer, il est considérablement dilué. Le stock actuel d’eau est en partie au niveau requis, le reste nécessitant une ou des étapes supplémentaires d’épuration, dont les performances ont déjà été démontrées.
Le 23 octobre 2020 s’est tenue une réunion portant sur la gestion des eaux stockées en présence des ministres de l’économie et de l’industrie (METI) et de l’environnement (MOE). Alors que l’annonce officielle d’une décision concernant le rejet de ces effluents était attendue selon la presse japonaise dans la semaine suivant cette réunion, lors d’une plénière de la chambre des représentants le 28 octobre, le Premier ministre Suga a simplement rappelé la nécessité pour le gouvernement de prendre une décision concernant ces cuves d’eaux rapidement, sans donner d’indications sur un éventuel calendrier.
Le METI a souligné pour la première fois la présence de carbone 14 (14C) dans les effluents, indiquant que des analyses radiochimiques et des études d’impact étaient en cours car le procédé d’épuration des eaux ne ciblait pas spécifiquement l’extraction du 14C. Un rapport de TEPCO d’août 2020 signalait effectivement la présence de 14C dans 80 cuves, toutefois très en dessous du plafond d’autorisation de rejet en mer de cet élément soit 2 000 Bq/l au Japon (contenu 2 % du plafond en moyenne et 11 % au maximum).
En attendant, l’opérateur TEPCO rappelle que le rejet en mer pourrait se faire après dilution au niveau de 1500 Bq/l d’eau, soit 40 fois en dessous des normes des eaux de boisson selon l’OMS, la concentration initiale moyenne étant de 730 000 Bq/l dans les 979 réservoirs. L’opération s’étendrait sur de nombreuses années avec dilution et rejet progressif de 400 millions de m3 d’eau très légèrement radioactive dans le Pacifique. Aussi faibles soient-ils, surtout en comparaison des pollutions diverses non radioactives, ces rejets, impliquent de longues discussions avec les pays du Pacifique. Mais il faut souligner que le stockage actuel, aussi sérieux soit-t-il, reste une source d’irradiation d’un personnel auquel on pense trop peu, ce qui devrait également justifier des décisions plus rapides.

[4] Le tritium est un isotope radioactif de l’hydrogène, présent naturellement dans l’environnement en faible quantité car il est produit en permanence par l’interaction entre les rayons cosmiques et l’atmosphère. C’est un émetteur beta de faible activité, dont la période (ou demi-vie) est de 12,3 ans. Très mobile, le tritium se combine avec de l’oxygène pour former de l’eau tritiée. Il pénètre facilement dans l’organisme à travers le cycle de l’eau, mais s’élimine rapidement, généralement entre 6 et 9 jours et est considéré comme faiblement radiotoxique, délivrant une dose moyenne annuelle de l’ordre d’un microsievert, soit le millième du seuil limite pour le public fixé à 1 millisievert.

III – Le bilan sanitaire 

Comme observé à Tchernobyl en Ukraine, la radioactivité peut causer différentes maladies (cancer, leucémie, etc.) notamment chez l’enfant (cancer de la thyroïde). C’est pourquoi, dès juin 2011, à peine trois mois après l’événement, les autorités sanitaires ont mis en place un programme d’études épidémiologiques et de suivi sanitaire dont le pilotage a été confié à l’Université médicale de Fukushima (FMU). Aujourd’hui, selon le dernier rapport des Nations Unies publié le 8 mars 2021, aucun effet sévère attribuable aux radiations n’a été constaté sur la santé de la population.

Fukushima et Tchernobyl, de nombreuses différences aujourd’hui favorables au bilan sanitaire
De la quantité des rejets radioactifs aux mesures de protection des populations, les deux accidents comptent un certain nombre de différences qu’il est important de rappeler afin de pouvoir aborder et mieux comprendre, dix ans après, le bilan sanitaire de la catastrophe de Fukushima.
Pour rappel, à Tchernobyl le cœur même du réacteur a explosé et le bâtiment combustible a été soufflé, dispersant ainsi des éléments très radioactifs dans l’environnement. Quant à la centrale de Fukushima Daiichi, ce sont les parties supérieures de plusieurs bâtiments réacteurs qui ont été gravement endommagés suite à une accumulation d’hydrogène provenant de la fusion du combustible et de l’oxydation des gaines. Résultat, des contaminations en césium 137 supérieures à 600 000 Bq/m² ont été détectées sur une surface de 13 000 km² pour Tchernobyl contre 250 km² autour de la centrale de Fukushima[5] et les Japonais ne comptent aucun cas d’irradiation aiguë, contre 237 hospitalisations et 134 cas d’irradiation aiguë confirmés parmi les intervenants, appelés liquidateurs, côté ukrainien.

Deux autres différences doivent être mentionnées : l’évacuation et les restrictions sur les denrées alimentaires.
Dès le 12 mars, la décision d’évacuer les populations dans un rayon de 20 km a été prise par les autorités japonaises. Ainsi, lors des importants rejets des réacteurs 2 et 3, autour du 15 mars, l’évacuation était achevée. A Tchernobyl, la décision d’évacuation a seulement été prise trois jours après l’explosion alors que d’importantes quantités de produits très radioactifs à vies courtes avait été disséminés. Concernant les restrictions alimentaires, il faut savoir qu’en l’absence de précautions, « la dose due à la consommation de denrées contaminées peut représenter jusqu’à 90 % de la dose totale reçue au cours du premier mois », note l’IRSN. Au Japon comme en Ukraine (alors en URSS) les végétaux, la viande et le lait ont été contaminés mais ces denrées ont rapidement été interdits au Japon. Les denrées alimentaires ont fait l’objet de nombreux contrôles et la vente de tous les produits agricoles a été à nouveau autorisée depuis.

Pas d’alerte sur les produits alimentaires
Aujourd’hui, les produits dépassant la limite de 100 Bq/kg se limitent aux baies sauvages, aux gibiers et aux champignons. Seuls 0,05 % des 284 930 échantillons analysés sur l’année 2019-2020 étaient au-delà des 100 Bq/kilo.
Il en est de même pour les poissons d’eau douce ou d’eau de mer pêchés dans la préfecture de Fukushima. Pour ces derniers un seul échantillon a dépassé la limite depuis 2015.

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Source : IRSN

Confusion sur le nombre de morts : un exercice complexe et sensible
Depuis maintenant dix ans, le nombre de décès liés au séisme, au tsunami et à l’accident nucléaire sont souvent confondus, laissant aux lecteurs, aux internautes ou aux téléspectateurs, la liberté de répartir les décès selon leur propre perception du danger. Il est vrai que le sujet est complexe. Tout d’abord, en cas de décès lié à une pathologie, il n’est pas évident de démontrer que celle-ci est la conséquence de la radioactivité.  En effet, en dessous d’une exposition de 100 mSv[6], le lien exposition-risque n’a pas été scientifiquement prouvé. Au-delà, plus la dose est forte et plus les risques pour la santé augmentent.

L’Agence nationale japonaise de police recense 15 899 morts et 2529 disparus[7] en lien avec le tsunami devastateur. Seul le décès d’un employé[8] de la centrale ayant reçu une très forte dose (195 mSv[9]) a été attribué aux radiations en 2018.

Aujourd’hui, l’origine des décès relève très majoritairement de la catastrophe naturelle, du séisme dans un premier temps puis du tsunami dans un second. Une surmortalité a néanmoins été constatée (notamment dans les établissements pour personnes âgées) suite aux évacuations, dans certains cas en plusieurs déplacements. Jonathan M. Samet et Dayana Chanson, du département de la médecine préventive de l’Université de Californie du Sud établit[10] une fourchette de 600 à 3 000 décès attribués au stress, à la fatigue et aux conditions de vie difficiles. La question de l’évacuation fait aujourd’hui débat parmi les experts : jusqu’à quel niveau d’exposition faut-il ordonner l’évacuation ? Plusieurs études japonaises montrent une surmortalité importante causée par l’évacuation d’établissement de personnes âgées[11].

Les habitants faiblement exposés aux rejets après l’accident
En France, l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) dans son point de situation de mars 2018 relève que « parmi les 464 420 résidents de la préfecture de Fukushima ne travaillant pas à la centrale et pour lesquels une dose externe a été estimée, 288 736 personnes (soit 62,2 % des résidents évalués) auraient reçu au cours des quatre premiers mois après l’accident des doses externes inférieures à 1 mSv et 15 personnes (soit moins de 0,003 % des personnes évaluées) auraient reçu des doses supérieures à 15 mSv. La dose externe maximale reçue est estimée à 25 mSv.

[6] Les limites d’exposition aux rayonnements : https://www.sfen.org/academie235/les-limites-dexposition-aux-rayonnements/

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Source : IRSN

In fine, ces données pourront être croisées avec les différents registres médicaux afin de quantifier et de modéliser la relation exposition-risque. Pour rappel, un Français reçoit en moyenne une dose externe de 4,5 mSv par an dont un tiers est d’origine médicale et un second tiers provient du radon, un gaz naturellement radioactif présent dans plusieurs régions, selon leur géologie.

La question des cancers de la thyroïde
Un bilan thyroïdien a été réalisé pour tous les enfants âgés de 18 ans ou moins qui résidaient dans la préfecture de Fukushima lors de l’accident et les femmes ayant déclaré une grossesse entre le 1er août 2010 et le 31 juillet 2011 ont bénéficié d’un suivi médical. Ce suivi concerne au total 16 000 femmes et 360 000 enfants nés avant le 1er avril 2011[7]. Il n’a pas été observé d’augmentation des cancers radio-induits ou d’anomalies de la thyroïde en lien avec l’accident nucléaire à ce jour[7].
[7] IRSN, Les conséquences sanitaires de l’accident de Fukushima, mars 2018. 

Tout d’abord, pourquoi un accident nucléaire peut-il avoir un impact sur les cancers de la thyroïde ? La thyroïde est une glande située au niveau du cou qui produit des hormones à partir d’iode. L’iode provient naturellement des aliments ingérés : poissons, laits, crustacés, etc. Cependant, lors d’un accident nucléaire, de l’iode radioactif peut être relâché et celui-ci peut venir se loger dans la thyroïde et émettre un rayonnement. L’iode-131 et l’iode-132 sont très radioactifs mais leur demi-vie est très courte, respectivement de 8 jours et 2 heures. Autrement dit, la puissance du rayonnement de l’iode-131 est divisée par deux tous les 8 jours. Il représente donc particulièrement un danger au moment des rejets, situés entre le 12 et le 16 mars à Fukushima. La thyroïde produit les hormones T3 et T4 qui participent à la croissance et au développement du corps et est particulièrement active chez les plus jeunes. A l’âge adulte ces hormones contribuent au fonctionnement du système nerveux et à l’entretien des os. Des anomalies de la thyroïde chez les plus jeunes ont été détectées par la réalisation d’examens dans la région mais afin de mettre en lumière un possible « facteur de dépistage », quatre campagnes de dépistage systématique ont été mises en place avec le même protocole dans les préfectures d’Aomori, Hiroshima et Yamanashi, non touchées par des retombées radioactives significatives. Le « facteur de dépistage » désigne l’effet d’accroissement artificiel du nombre de cancers lors de la mise en place d’examens systématiques. Les résultats de ces campagnes ont été similaires à celle de Fukushima.

« Un dépistage peut révéler des cancers thyroïdiens qui n’auraient pas progressé et n’auraient jamais été diagnostiqués en l’absence de dépistage, relève l’IRSN. La détection précoce de ces nodules tumoraux n’améliore pas la santé ni la survie des patients, mais peut au contraire diminuer leur qualité de vie à cause d’un traitement médical et/ou de complications de chirurgie. Le dépistage entraîne donc un sur-diagnostic des cancers thyroïdiens, c’est-à-dire une détection de cas pour lesquels il n’y a aucun bénéfice médical ». C’est pourquoi l’Université de médecine de Fukushima s’oriente aujourd’hui vers une prise en charge thérapeutique moins systématique.

Une amélioration de la santé mentale constatée
Afin d’évaluer l’état de santé mentale de la population qui a vu ravager son lieu d’habitation, des questionnaires ont été envoyés aux 210 000 personnes évacuées. Le taux de réponse a baissé avec les années (44 % en 2012, 31 % en 2013, 26 % en 2014, 24 % en 2015 et 2016). En 2011, 14,6 % des répondants âgées de 16 ans et plus étaient susceptibles d’avoir des troubles affectifs ou anxieux tels que la dépression et déclarait avoir besoin d’un soutien. Ce pourcentage était inférieur à 8 % en 2014 mais il reste bien supérieur à celui de la population totale qui est de 3 %.
Le besoin de soutien est également important chez les plus jeunes. « Une étude ciblant des personnes non touchées par une catastrophe au Japon estimait que 9,5 % des enfants étaient considérés comme ayant besoin d’un soutien en santé mentale », précise l’IRSN. Les résultats de 2016 étaient donc légèrement plus élevés à Fukushima que dans le reste du pays.
Le bilan sanitaire ne devrait pas connaître de grands changements. Certaines décisions des autorités japonaises ont permis de protéger la population des retombées radioactives. D’autres, comme l’évacuation, font aujourd’hui l’objet de débats.

IV – Les leçons de l’accident

Fukushima est tout d’abord un accident provoqué par une inondation, qui montre à quel point ce type d’agression peut provoquer des défaillances de mode commun généralisées, affectant plusieurs niveaux de défense en profondeur. L’effet de seuil, ou « effet falaise », des inondations est particulièrement important. Il se trouve que cette inondation-là, un raz de marée, a pour origine un séisme, dans le contexte géotectonique et géographique japonais. Mais les inondations peuvent avoir des causes diverses, dans de nombreuses régions du monde, comme l’ont d’ailleurs montré différents exemples (Blayais en 1999 à la suite d’une tempête, Fort-Calhoun en 2012 à la suite d’une crue du Missouri, Madras en 2004 à la suite d’un tsunami).

L’accident de Fukushima rappelle donc la nécessité d’évaluer avec beaucoup de soin les risques d’aléas naturels, au premier chef les séismes et les inondations, et de s’en protéger de manière robuste, avec des marges significatives pour tenir compte des incertitudes qui affectent par nature ce type de phénomènes.

En France, le risque d’inondation est, comme les autres aléas, revu à chaque réexamen décennal ; une revue générale en avait par ailleurs été menée après l’événement de Blayais ; un exercice tout particulier a été réalisé après Fukushima, dans le cadre des Examens complémentaires de sûreté (ECS), et se prolonge lors des 4èmes visites décennales (VD4).

Le tsunami ayant provoqué la perte totale de la source froide et des alimentations électriques (externes et internes), la seconde leçon de Fukushima fut de renforcer les moyens de faire face à de tels événements. En France, la perte totale de la source froide et la perte totale des alimentations électriques (lignes externes et diesels de secours) ont été envisagées dès les années 1980 et des dispositions dédiées mises en place (procédures dites H1 et H3). Après Fukushima a été engagée l’installation d’un diésel de secours supplémentaire sur chaque réacteur du parc en exploitation (diesel d’ultime secours – DUS) et d’une source d’eau ultime (soit un pompage dans la nappe phréatique, soit des bassins ou retenues d’eau préexistants). Ces dispositions, dimensionnées à des niveaux d’agression très sévères, vont renforcer très significativement la défense en profondeur. Sur l’EPR, deux diesels ultimes (SBO) en supplément des quatre diesels de secours (EDG) font partie de la conception d’origine. Le réacteur dispose également d’une seconde source froide.

En troisième lieu, l’accident de Fukushima Daiichi a rappelé l’importance du principe de défense en profondeur et que l’occurrence d’un accident grave (fusion du cœur) devait être prise en compte. Dans un tel cas, l’objectif essentiel est de préserver le confinement afin de limiter les rejets radioactifs. Cela suppose des dispositions techniques dédiées, des guides de conduite et d’intervention, un entrainement approprié. Il ne s’agit pas d’une nouveauté : la gestion des accidents graves a fait l’objet de recherches et travaux considérables dans le monde, depuis le rapport Rasmussen (WASH-1400) et l’accident de Three Mile Island.

En France, à partir des années 1980, un dispositif d’éventage filtration de l’enceinte de confinement a été installé (filtre à sable U5), ainsi que des recombineurs d’hydrogène, des moyens de dépressurisation du circuit primaire, etc. Un guide d’intervention en accident grave (GIAG) indique les actions impératives à mener dès qu’apparaissent les signes avant-coureurs d’une dégradation du cœur (température en sortie du cœur notamment). Ce mouvement de renforcement de la protection des réacteurs en exploitation en cas d’accident grave se poursuit, notamment à l’occasion des VD4 ; il est appuyé par une R&D de très bon niveau, depuis une quarantaine d’années. Concernant les réacteurs nouveaux (EPR), les accidents graves sont intégrés au design dès la conception ; l’analyse de l’accident de Fukushima en a conforté les principes ainsi que les choix techniques.

La prise en compte des accidents graves n’était pas homogène dans le monde. Elle tend à progresser depuis Fukushima, à un rythme et selon des exigences qui peuvent différer selon les pays. En Europe, ce sujet a fait l’objet d’une des principales recommandations des stress-tests et de revues de pairs.

Quatrième point, une des caractéristiques spécifiques de l’accident de Fukushima fut d’affecter à la fois plusieurs réacteurs du même site. Du point de vue de la doctrine de sûreté, c’est une nouveauté ; elle est désormais prise en compte.

Cinquième point, cet accident a rappelé, comme Three Mile Island et de grands accidents industriels ou aéronautiques, toute l’importance des facteurs organisationnels et humains, en particulier de la représentation de la situation par les opérateurs et les équipes de crise, face à l’imprévu et dans le « brouillard de la guerre ». Sans contrôle commande, sans procédures, sans réel entrainement à de telles situations, les opérateurs ont été placés dans une situation extrêmement difficile. A partir des événements du passé et des études d’accidentologie, il est donc indispensable de donner toute sa place à la prise en compte du facteur humain. Three Mile Island en avait posé les bases en France et dans beaucoup de pays (diagnostic indépendant de l’ingénieur sûreté, ergonomie de la salle de commande, « approche par état », etc.). Fukushima en rappelle l’importance. A ce titre, le retour d’expérience de Fukushima Daini est peut-être aussi important que celui de Daiichi (cf. supra).

De manière globale, l’accident de Fukushima a souligné qu’il faut être capable de réinterroger les hypothèses de base de la sûreté des réacteurs (c’est par exemple l’objet des réexamens périodiques de sûreté) et de se préparer aussi à l’imprévu. C’est à cette fin qu’a notamment été défini, en France, un ensemble de systèmes et matériels qui doivent être opérationnels en toutes circonstances, même au-delà du dimensionnement et notamment en cas d’aléas naturels significativement supérieurs à ceux du référentiel. La mission de ces systèmes est d’abord de limiter les conséquences d’un accident grave dans les situations les plus variées et extrêmes. Ils comprennent aussi du contrôle-commande et de l’instrumentation, afin de disposer des informations indispensables pour établir un diagnostic et définir les priorités. Ils portent sur le réacteur lui-même comme sur la piscine d’entreposage du combustible usé. On appelle « noyau dur » cet ensemble de dispositifs.

Afin d’assurer la résilience des organisations, la « force d’action rapide nucléaire » (FARN) d’EDF (la FINA – « force d’intervention nationale » – en étant l’équivalent chez Orano), mobilisable à tout moment à partir de quatre bases arrières permanentes (Bugey, Dampierre, Civaux, Paluel), a pour mission d’amener sur site, sous 24H au plus tard et en toutes circonstances y compris d’accès très difficile et de conditions hostiles, des moyens mobiles aptes à rétablir les fonctions de sûreté. Ces équipements comprennent des générateurs électriques, des moyens de pompage et d’injection d’eau, des approvisionnements pour le site en gazole, huile, vivres, etc. Les pompes et générateurs électriques sont connectables aux réacteurs par une série de connexions et de « piquages » dédiés. Des opérateurs spécialisés en conduite accidentelle accompagneraient la FARN.

L’entrainement régulier de la FARN et des sites, l’invention de scénarios originaux, la projection mentale dans des situations variées visent à développer la capacité à déployer, en cas de besoin, les solutions originales adaptées à toute situation, y compris extrême et imprévue.

V – Le Japon, le nucléaire et le climat en 2020

A l’occasion de son discours de politique générale au parlement le 26 octobre 2020, le Premier ministre japonais Yoshihide Suga a annoncé l’objectif d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. Deux mois plus tard, le 25 décembre 2020, le Japon a dévoilé, pour la première fois, l’ambition de sa politique climatique. La « stratégie de croissance verte » du ministère de l’Economie, du commerce et de l’industrie (METI) mobilise toutes les technologies disponibles pour réduire les émissions de CO2 du pays : le nucléaire, les renouvelables (en particulier l’éolien en mer), mais aussi l’hydrogène et les technologies de capture du CO2. L’une des priorités affichées du gouvernement est de décarboner son électricité qui représente plus d’un tiers des émissions de CO2 de l’archipel.

Une hausse des émissions du secteur électrique après les arrêts des centrales nucléaires
L’arrêt des réacteurs nucléaires, suite à l’accident de Fukushima, a provoqué une hausse des émissions du secteur électrique. D’une part, l’intensité carbone du kWh est passée de 420 g CO2 /kWh en 2010 à 520 g CO2/kWh en 2016. Pour rappel, ce chiffre en France est de l’ordre de 40 g CO2/kWh ; d’autre part, l’Agence aux ressources naturelles et à l’énergie du METI estime qu’en 2016 le secteur électrique a émis 70 millions de tonnes de CO2 de plus qu’en 2010[8]. Alors qu’en France, le secteur électrique ne représente que quelques pourcents (7 %) des émissions nationales de CO2, au Japon il se trouve en première position avec en 2017 l’émission de 490 millions de tonnes de CO2, suivie de l’industrie (300 mt) et du transport (210 mt)[9]. Il est important de noter que le Japon connaît au niveau national une baisse des émissions de CO2 grâce à des progrès dans d’autres secteurs. Après une période de hausse (2010-2013), – malgré une baisse de la consommation électrique (de 8 % entre 2010 et 2012[10]) -, les émissions du pays ont très faiblement baissé pour atteindre 1,24 mds teqCO2[11] en 2018 contre 1,25 mds en 2009.
[8] https://www.enecho.meti.go.jp/about/whitepaper/2018gaiyou/whitepaper2018… (Slide 25, page 24) (En japonais).
[9] https://www.enecho.meti.go.jp/en/category/brochures/pdf/japan_energy_201… (Slide 11) (En anglais).
[10] https://www.meti.go.jp/english/report/downloadfiles/2014_outline.pdf (Slide 18).
[11] https://www.env.go.jp/earth/ondanka/ghg-mrv/emissions/material/sokuhou_g… (Slide 2) (En japonais).

Des prix de l’électricité en hausse, un réseau en difficulté
L’arrêt des réacteurs nucléaires de tout le pays après l’accident de Fukushima a causé une hausse des prix de l’électricité et menace la sécurité d’approvisionnement du pays, fortement dépendant des importations de gaz naturel liquéfié (GNL).
Frappé par un épisode de grand froid et d’importantes chutes de neige en janvier 2021, le prix du kWh a bondi de 7¥/kWh (0,055€) à 103.1¥/kWh (0,81€) le 6 janvier et un nouveau record a été battu le 12 janvier avec un kilowattheure à 246¥ (1,94€). Ces hausses s’expliquent par la combinaison de basses températures, d’une faible production solaire et d’une production électrique des centrales à gaz limitée, en ce début d’année.
En effet, depuis 2011, le gaz et le charbon ont remplacé la production nucléaire. La vague de froid ayant aussi touché les pays voisins, la demande de gaz a fortement augmenté dans le pays alors que le manque de méthaniers disponibles a réduit l’offre et les prix du GNL se sont envolés[8]. Pour y faire face, le Japon a eu massivement recours au charbon en augmentant la production des centrales de Hirono (Fukushima), Hitachinaka (Ibaraki) et Maizuru (Kyoto) et a relancé des unités au pétrole.

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Le redémarrage du parc nucléaire pour atteindre la neutralité carbone

En 2019 le nucléaire produit 7 % de l’électricité du pays, soit 66 TWh, après un démarrage très prudent et progressif de réacteurs, après la réalisation de travaux considérables. Neuf réacteurs ont redémarré (8,7 GW) et sept autres réacteurs ont reçu le feu vert de l’Autorité de sûreté japonaise (NRA). Pour ces derniers les discussions se poursuivent au niveau local.
Alors que la production électrique dépend aujourd’hui à 80 % des énergies fossiles (contre 65 % en 2010), le gouvernement japonais vise un retour du nucléaire à hauteur de 20 à 22 % du mix électrique d’ici 2030 et souhaite abaisser la part des combustibles fossiles à 56 %. D’ici 2050, le gouvernement souhaite que le nucléaire et les énergies fossiles (avec des système de capture carbone CCS) représente 30 à 40 % de la production électrique, sans pour autant avoir donné plus de précisions. Dans le volet « nucléaire » du METI détaillant la stratégie de neutralité carbone du gouvernement, est notamment réitéré le soutien au développement de trois technologies nucléaires avancées : les petits réacteurs modulaires (SMR), les réacteurs à haute température (HTR) et la fusion nucléaire avec le projet ITER.

Dans la lutte contre le réchauffement climatique, la politique nucléaire nippone fait partie d’un tout. Au total, une quinzaine de domaines clés à décarboner ont été identifiés (énergie, transport, bâtiment, etc.) et le pays mise aussi sur le développement des énergies renouvelables, en particulier l’éolien en mer avec 30 à 40 GW de capacité installée à l’horizon 2040. L’objectif est d’arriver à 50 ou 60 % de renouvelables en 2050 dans le mix électrique contre 16 % en 2017 (dont 8 % d’hydraulique). Le pays du soleil levant vise également le leadership de l’hydrogène bas carbone pour réduire les émissions du secteur des transports, notamment en développant les réacteurs HTR. Une grande installation de production d’hydrogène à d’ailleurs été inaugurée début 2020 à Namie, dans la région côtière de Fukushima.

Pour Hiroshi Kajiyama, en tant que ministre en charge de l’Energie et à la tête du METI, le Japon devra compter sur le nucléaire car il est indispensable pour atteindre la neutralité carbone en 2050. Le février 2021 (dans le Financial Times), il rappelle les récentes difficultés du réseau électrique pour subvenir aux besoins des Japonais alors qu’une grande partie du pays connaissait d’importantes chutes de neige. « Ni le solaire, ni l’éolien ne produisaient », le réseau était sous tension tandis que les prix de l’électricité s’envolaient. « La géographie du Japon rend plus difficile l’introduction d’énergies renouvelables qu’en Europe ou en Amérique du Nord », a-t-il précisé en soulignant le relief volcanique de l’archipel. Une étude du METI considère qu’il sera difficile de dépasser les 60 % d’énergies renouvelables et que 30 à 40 % du mix électrique devra provenir du nucléaire et/ou des énergies fossiles.

 

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