Sodium : de quoi on parle ?
Les réacteurs nucléaires au sodium font partie des technologies de 4e génération, dont le caloporteur est du sodium liquide. Ces réacteurs fonctionnent avec des neutrons rapides et sont innovants pour plusieurs raisons : valorisation de toutes les matières fissiles et fertiles, applications multiples, incinération des actinides mineurs, etc.
Les réacteurs nucléaires en activité dans le monde utilisent aujourd’hui principalement de l’eau comme caloporteur. Celle-ci contribue au transport de la chaleur, générée par la fission nucléaire, depuis le cœur jusqu’au générateur de vapeur. D’où l’appellation de réacteurs à eau légère. Comme on l’a vu dans une précédente question, des caloporteurs différents peuvent être utilisés, comme les sels fondus par exemple. Il existe également d’autres technologies : détaillons ici le cas des réacteurs refroidis au sodium.
Le sodium liquide
Le sodium (Na) est l’élément chimique de numéro atomique 11 dans le tableau périodique des éléments et fait partie de la famille des métaux alcalins. Comme l’eau légère, il joue le rôle de caloporteur sous forme liquide dans un réacteur nucléaire et contribue ainsi au refroidissement du cœur. En revanche, si l’eau est également utilisée pour ralentir les neutrons dans les technologies de réacteurs à neutrons lents/thermiques, le sodium, lui, modifie peu l’énergie des neutrons et permet de les maintenir rapides (les neutrons de fission sont rapides). On parle donc de réacteur à neutrons rapides refroidi au sodium : RNR-Na.
Le sodium possède de nombreux avantages physico-chimiques qui justifient son utilisation dans cette technologie de 4e génération :
- Le métal possède de très bonnes propriétés calorifiques. En effet, il reste liquide à des températures très élevées (jusqu’à 882°C environ) et possède une très bonne conductivité thermique. Ainsi, il est très efficace pour évacuer et transférer la chaleur générée par les réactions de fission dans le cœur du réacteur.
- Sa densité tout comme sa viscosité sont faibles. Il est très fluide, comme de l’eau.
- Il absorbe et ralentit très peu les neutrons.
- Les propriétés chimiques du sodium sont compatibles avec les matériaux de la structure du réacteur pour éviter la fatigue thermique, la corrosion, la fragilisation, etc.
En outre, la densité de puissance d’un RNR est beaucoup plus élevée que celle d’un réacteur à eau pressurisée (environ 3 à 4 fois plus). Cela rend nécessaire l’utilisation d’un fluide caloporteur extrêmement efficace que seuls des métaux liquides, comme le sodium, permettent d’obtenir.
Le sodium présente néanmoins l’inconvénient d’être fortement réactif avec l’eau et l’air. Dans le premier cas, leur contact entraîne un dégagement important de chaleur et une production d’hydrogène et de soude et donc une explosion. Cette réaction est maitrisée dans les RNR-Na par divers moyens de prévention de mitigation (isolement, décompression et/ou vidange des circuits) ou par l’utilisation d’un système de conversion d’énergie en gaz. Dans le second cas, il s’enflamme. À noter que le sodium ne s’enflamme pas au contact de l’air à température ambiante, mais à celle atteinte au sein d‘un réacteur à neutrons rapides (dès 120°C). Ces deux caractéristiques posent ainsi des questions de sûreté spécifiques à cette technologie.
La France dispose d’un site de production de sodium métallique à Saint-Marcel en Savoie. C’est la société MSSA, anciennement Métaux spéciaux, qui en est l’exploitante.

Infographie : Le réacteur à neutrons rapides refroidi au sodium (RNR-Na), Source : RGN5 2019
Combustible dans un réacteur au sodium
Dans un réacteur nucléaire au sodium, le combustible est en général un mélange entre de l’uranium 238 (environ 80 %) et du plutonium (environ 20 %). Le plutonium est l’élément fissile. Il libère de l’énergie lors de sa fission ainsi que d’autres neutrons. Ces derniers peuvent ensuite, soit entrer en contact avec un autre atome de plutonium pour entraîner une réaction en chaîne, soit entrer en contact avec l’uranium 238, ce qui va le transformer en plutonium 239. Ce cercle vertueux peut être pratiquement équilibré, ce qui correspond alors à l’isogénération : la fission du plutonium est contrebalancée par la production provenant de l’uranium. Dans certaines configurations, un réacteur à neutrons rapides a aussi la capacité de regénérer plus de matières fissiles qu’il n’en consomme, on parle alors de surgénération.
Ce mélange peut ainsi prendre plusieurs formes solides de combustible. La plus commune et disposant du plus grand retour d’expérience est le combustible MOX (Mélange d’oxydes d’uranium et de plutonium). Issu du retraitement du combustible des réacteurs traditionnels, le MOX est également utilisé dans les réacteurs de 900 MWe du parc nucléaire français. D’autres alternatives au MOX existent, par exemple les combustibles métalliques UPuZr, le mélange de carbures d’uranium et de plutonium, ou encore le mélange de nitrures d’uranium et de plutonium. Chacune présente des avantages et des inconvénients.
Avantages des RNR-Na
Les réacteurs à neutrons rapides possèdent plusieurs avantages. Premièrement, ils contribuent à économiser les ressources en uranium, puisqu’ils consomment seulement l’isotope 238 de l’uranium, à savoir le plus abondant (+99% de l’uranium naturel). Cette technologie pourrait ainsi contribuer à la fermeture complète du cycle du combustible.
Deuxièmement, le fonctionnement avec des neutrons rapides permettrait de réduire significativement la radiotoxicité des déchets radioactifs. En effet, ces neutrons ont la capacité d’interagir avec les actinides mineurs pour les transmuter en atomes plus lourds, qui pourraient être fissionnés et ainsi réduire leur période radioactive.
Troisièmement, les RNR-Na pourraient répondre aux besoins de chaleur industrielle à haute température, en plus de pouvoir fournir de l’électricité.
Quatrièmement, les RNR-Na ont certains avantages d’un point de vue sûreté. En effet, ils offrent une très grande inertie thermique du cœur, ce qui permet de ménager de longs délais d’action en cas de problème de refroidissement du cœur (pour évacuer la puissance résiduelle).
Enfin, les RNR-Na ont aussi l’avantage d’avoir un plus faible impact sur l’environnement que les réacteurs traditionnels, même s’il est déjà très faible pour ces derniers. Les rejets thermiques et radioactifs sont ainsi davantage réduits.
Les projets dans le monde
La France est l’un des pays qui a le plus œuvré dans la recherche sur les RNR-Na. Trois réacteurs de ce type y ont été exploités :
- Rapsodie, réacteur de recherche de 40 MWth non électrogène à Cadarache (13) et arrêté en 1983 ;
- Phénix, prototype à échelle intermédiaire de 250 MWe à Marcoule (30) arrêté en 2009 ;
- Superphénix, démonstrateur industriel de 1240 MWe à Creys-Malville (38) arrêté en 1997.
Un projet de nouveau RNR-Na expérimental dénommé Astrid, lancé en 2010 pour succéder à Phénix à Marcoule, a été arrêté en 2019 et renvoyé « à la deuxième moitié du siècle ». Aujourd’hui les projets sont davantage tournés vers les petits réacteurs AMR, notamment avec ceux d’Hexana et d’Otrera.
Dans le reste du monde, d’autres pays sont aussi actifs dans cette filière. La Russie exploite déjà sur son territoire deux RNR-Na (BN600 et BN800), respectivement mis en service en 1980 et en 2015. Ce pays a lancé, en juillet 2025, les travaux préparatoires pour un réacteur plus puissant de 1200 MWe (BN-1200). De plus, la Chine possède aussi un réacteur en activité : le CFR600 et a lancé un projet de réacteur de forte puissance, le CFR1000 (pour 1000MWé).
Aux États-Unis, la société Terra Power a lancé, à l’été 2024, la construction de son démonstrateur d’un réacteur à neutrons rapides refroidi au sodium. L’Inde a également un projet de démonstrateur industriel qui devrait être opérationnel d’ici 2026. Le Japon, pays avec lequel il existe depuis 2015 une collaboration dans le domaine des RNR-Na avec la France, a également relancé un projet de construction d’un démonstrateur d’environ 600 MWe à l’horizon 2045.
Au total, les RNR-Na bénéficient d’un retour d’expérience de fonctionnement unique pour une technologie de 4e génération de plus de 450 années réacteur. ■