Uranium : cinq questions pour comprendre l’impact du putsch au Niger sur la France - Sfen

Uranium : cinq questions pour comprendre l’impact du putsch au Niger sur la France

Publié le 1 août 2023 - Mis à jour le 4 août 2023
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Le 26 juillet, un putsch s’est déroulé au Niger. Depuis, des violences contre l’ambassade de France ont eu lieu. Ainsi, le mardi 1er août, Paris a décidé d’évacuer ses quelque 600 ressortissants. Le pays africain est historiquement un des fournisseurs importants d’uranium de la France, à travers une forte présence d’Orano sur le territoire. Toutefois même si les activités minières dans le pays étaient stoppées, cela serait sans conséquence pour le parc de réacteurs d’EDF.

1) Quelle est la présence de la France sur l’uranium au Niger ?

Orano est très implanté au Niger. Dans un communiqué l’entreprise rappelle que : « Le groupe Orano est présent dans le pays depuis 50 ans à travers 3 sociétés de droit nigérien : Cominak, Somaïr et Imouraren SA ». Elles se rapportent à trois sites miniers. Mais aujourd’hui une seule de ces mines est en activité dans l’Aïr à travers la Somaïr (Société des mines de l’Aïr). En mai dernier, Orano a d’ailleurs signé un accord avec le gouvernement nigérien pour exploiter cette mine jusqu’en 2040. La mine d’Akouta au Niger exploitée par la Cominak a été, quant à elle, fermée en 2021 suite à l’épuisement des ressources. Des décisions doivent encore être prises pour le site d’Imouraren, dont l’exploitation, avant le putsch, était envisagée pour 2028, avec des essais dès 2024.

Dans un communiqué publié le 28 juillet 2023, Orano assure que « les activités sur les sites opérationnels d’Arlit et au siège à Niamey se poursuivent avec une organisation adaptée dans le cadre du couvre-feu établi sur l’ensemble du territoire nigérien ». Cela a été confirmé le lundi 31 juillet à la presse par des porte-parole de l’entreprise. Orano compte environ 900 collaborateurs dans le pays.

2) Est-ce que la France dépend du Niger pour ses approvisionnements ?

Au total, la France a importé l’année dernière environ 21 000 tonnes d’uranium, selon les données des Douanes. La consommation annuelle du parc de 56 réacteurs EDF varie entre 7 à 9 000 tonnes suivant la quantité d’électricité générée. La majorité des imports est donc liée aux matières possédées par les clients d’Orano dans le cadre des services de conversion ou d’enrichissement, ou de Framatome pour de la fabrication de combustible. Une petite part est aussi liée l’augmentation des stocks stratégiques du pays.

Sur ce volume, le Niger représente une part variable des importations. Comme l’explique le géographe Teva Meyer dans une interview pour Libération : « L’an dernier, le Niger, c’était 34 % de la demande de la France ; il y a trois ans, seulement 8 %. Mais si on lisse sur une dizaine d’années, le Niger représente 15 à 17 % des besoins français ». Les quatre premiers fournisseurs de la France sont l’Australie, le Kazakhstan, le Canada et le Niger, plus une multitude de petits fournisseurs. Ainsi, le ministère de la transition énergétique conclut : « La situation au Niger ne présente aucun risque sur la sécurité d’approvisionnement de la France en uranium naturel ».

3) Est-ce que la France aura plus besoin du Niger à l’avenir ?

La France et EDF ont entamé depuis plusieurs années une politique de diversification de l’approvisionnement en uranium afin d’accroître encore la sécurité d’approvisionnement. Ainsi la part du Niger, très élevée à la fin des années 2010, suit plutôt une tendance baissière à la faveur d’autres fournisseurs, en particulier l’Australie, le Kazakhstan et le Canada. Orano opère d’ailleurs une mine au Kazakhstan et deux au Canada. L’accord de libre-échange franco-canadien ratifié en 2019 joue ainsi à plein pour la sécurisation de l’approvisionnement français de certaines ressources stratégiques, comme l’uranium.

Reste que la géopolitique actuelle pourrait changer quelque peu la donne. Les tensions avec la Russie et l’embargo sur certains produits énergétiques ont un impact majeur sur l’approvisionnement en Europe. Il est à noter que la France n’importe depuis plusieurs années quasi aucun uranium naturel sorti des mines russes. Et au Niger, la mise en service, ou non, de la mine d’Imouraren, avec une réserve estimée à 200 000 tonnes d’uranium naturel, pourrait changer la place du Niger dans l’approvisionnement tricolore.

4) Est-ce que la France a des stocks d’uranium ?

Même si l’approvisionnement venant du Niger devait cesser, la France pourrait continuer à s’appuyer sur une diversité de fournisseurs dont une large partie est située au sein de l’OCDE. De plus, le pays possède sur son territoire d’importantes ressources mobilisables plus ou moins immédiatement. Ainsi selon des données d’Orano, la France possède sur son sol 39 800 tonnes d’uranium naturel (soit plus de cinq ans de consommation), 3 380 tonnes d’uranium enrichi (soit deux à trois ans de consommation) et 324 000 tonnes d’uranium appauvri (soit plus de sept ans de consommation). En étant très prudent, on peut dire que la France à au moins 10 ans de ressources sur son sol.

EDF a initié un travail pour accroître l’utilisation de l’uranium de retraitement (URT) sur son parc. EDF possède un stock d’environ 25 000 tonnes d’URT, et celui-ci s’accroît d’environ 1 045 tonnes par an. En France, seuls les quatre réacteurs de Cruas (Ardèche) sont aujourd’hui certifiés pour utiliser de l’URT enrichi (URE). L’ambition d’EDF serait d’accroître le nombre de réacteurs capables d’utiliser de l’URT [1]. En alliant l’utilisation de ces matières recyclées, l’électricien national réalise d’importantes économies sur la matière vierge. L’utilisation d’URT permet de consommer 15 % de matière en moins et le Mox 10 % en moins. Ces économies se font sans compter les actuels travaux en cours pour développer le multirecyclage en réacteurs à eau pressurisée (MRREP).

5) Y a-t-il un risque de pénurie mondiale ?

Si le Niger devait arrêter à long terme ses exportations d’uranium, l’impact sur le marché mondial serait assez faible. Le Niger ne représente qu’environ 6 % de la production mondiale et 5 % des ressources identifiées. Il existe beaucoup d’autres ressources à travers la planète. En l’état actuel des connaissances, les ressources connues en uranium représentent 130 ans de consommation mondiale. Ce nombre monte à 250 ans si l’on prend en compte les ressources estimées.

D’autant plus que depuis le début de la guerre en Ukraine et l’augmentation des cours de cette matière, de nombreux projets dans le monde sont redevenus rentables [2]. Au niveau européen, la Commission confirme : « Il n’y a pas de risque d’approvisionnement en ce qui concerne l’UE », a indiqué un porte-parole. Il ajoute : « À moyen et long terme, il existe suffisamment de gisements sur le marché mondial pour couvrir les besoins de l’UE ». ■

Par Ludovic Dupin (Sfen)

Image : Au Niger, des manifestants ont attaqué l’ambassade de France à Niamey le 30 juillet – ©AFP

[1] Des accords avaient été signés avant la guerre en Ukraine avec la Russie pour réaliser l’enrichissement de l’URT. À terme des installations pourraient être dédiées en France, ce qui demanderait 7 à 10 ans.

[2] L’accroissement des cours de l’Uranium a peu d’impact sur la compétitivité du nucléaire, car le combustible représente moins de 5 % des coûts de production.

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