Décryptage : six questions pour comprendre les flux d’uranium de retraitement entre la France et la Russie - Sfen

Décryptage : six questions pour comprendre les flux d’uranium de retraitement entre la France et la Russie

Publié le 9 décembre 2022 - Mis à jour le 12 février 2024

Depuis 2018, EDF a décidé de relancer le recyclage de son uranium de retraitement (URT) issu des combustibles usés dans ses réacteurs de Cruas. Orano avait pour sa part signé un contrat de vente d’une partie de ses propres stocks d’URT pour être utilisée comme combustible en Russie. Dans les deux cas, des accords ont été signés avec la Russie, laquelle possède des usines dédiées à la conversion et d’enrichissement d’URT. Si, compte tenu de la situation géopolitique, la filière française était amenée à repenser ces accords, cela n’aurait aucune conséquence importante sur le parc électronucléaire.

Est-ce que la France a reçu de l’uranium russe ?

Début décembre, la France a réceptionné des conteneurs d’uranium venus de Russie. Une livraison qui a soulevé un débat sur une prétendue dépendance du parc électronucléaire français pour ses besoins en combustible. Il s’agit d’uranium de retraitement (URT) enrichi (appelé également URE), propriété d’EDF, qui revient à EDF après conversion et enrichissement en Russie. EDF n’importe pas d’uranium naturel depuis la Russie. Si certains pays européens importent en effet de l’uranium russe, les exportations russes vers la France se sont effondrées depuis 2016-2017.

Qu’est-ce que l’uranium de retraitement ?
L’URT est l’uranium issu des combustibles usés des réacteurs nucléaires après retraitement à la Hague. C’est une matière valorisable qui peut être convertie et enrichie pour être recyclée dans nos réacteurs actuels, ce qui permet d’économiser de la ressource issue de la mine. L’URT contient de l’ordre de 0,9 % d’U235 donc un peu plus que l’uranium naturel (environ 0,71 %). Selon le bilan des matières de l’Andra, la France détenait fin 2020 environ 34 100 tonnes d’URT sur son territoire. Ces stocks appartiennent à EDF, à Orano, et à des clients étrangers.

Pourquoi EDF a besoin d’URT ?

EDF possède un stock d’environ 25 000 tonnes d’URT, et celui-ci s’accroît d’environ 1 045 tonnes par an. En France, seuls les quatre réacteurs de Cruas (Ardèche) sont aujourd’hui certifiés pour utiliser de l’URT enrichi (URE). Les quatre réacteurs peuvent fonctionner dans une plage allant de 0 à 100 % d’URE. EDF a la vocation de monter ce taux au maximum, ce qui prendra environ quatre ans à partir de 2023. EDF consommera alors environ 500 tonnes d’URT par an. Après appel d’offres, l’électricien a ainsi fait appel en partie à des installations industrielles russes pour convertir et enrichir son URT. Mais cette matière valorisable demeure à tout moment la propriété d’EDF.

L’ambition d’EDF serait à terme de faire certifier les réacteurs du palier 1300 MW pour également consommer de l’URT, ce qui permettrait de consommer environ 1 350 tonnes d’URT par an (tandis que le palier 900 MW sera réservé au Mox). En alliant l’utilisation de ces matières recyclées, l’électricien national réalise d’importantes économies sur la matière vierge. L’utilisation d’URT permet de consommer 15 % de matière en moins et le Mox 10 % en moins. Pour mémoire, la France consomme environ 7 000 tonnes d’uranium naturel par an.

Pourquoi la conversion et l’enrichissement de l’URT est fait en Russie ?

Outre l’uranium 235, l’URT contient aussi de nombreux autres isotopes. Dans le livre « Histoire et technique des réacteurs nucléaires et de leurs combustibles » (Dominique Grenêche, EDP sciences), on peut lire par exemple : « il (l’URT) contient aussi une assez forte proportion d’U236, qui est de l’ordre de 0,5 % (…). Or, cet isotope est un poison neutronique puisqu’il ne fait que capturer les neutrons sans donner naissance à un isotope fissile. De plus, il est impossible de le séparer de l’U235 lors d’une opération industrielle d’enrichissement, étant donné que les deux isotopes ont pratiquement la même masse ». L’U232 pose aussi problème, car il donne naissance à des descendants qui posent des contraintes radiologiques.

Grâce aux installations industrielles d’Orano, la France a la maitrise technique et industrielle de l’ensemble de la chaine de conversion et d’enrichissement de l’uranium. Mais l’utilisation de l’uranium de retraitement demanderait de déployer un atelier spécifique à la conversion de l’URT. Et il faudrait réserver une série de centrifugeuses dédiées de l’usine GBII où 2 des 14 modules de l’usine actuelle sont conçus pour l’enrichissement de l’URT. Faute de quoi, les lignes de production d’uranium naturel auraient contenu des isotopes indésirables. Le choix a été fait, avant la guerre en Ukraine, de sous-traiter ces opérations sur le site de Seversk, de Rosatom où des capacités sont disponibles. Ce choix a été dicté par des raisons économiques et industrielles, et non pas des raisons de maitrise technologique.

Ces contrats sur l’URT avec la Russie sont-ils indispensables ?

Dans les deux cas, ces contrats ont été décidés avant le conflit en Ukraine. Ils ne sont pas nécessaires à l’approvisionnement de la France en combustible, mais la motivation est d’inscrire la filière dans les pratiques d’économie circulaire. La France avait déjà mené une campagne d’enrichissement d’URT importante entre 2000 et 2010. Puis elle a diminué progressivement jusqu’à son interruption totale en 2014. Il a été décidé de relancer cette option en 2018.

La nouvelle donne géopolitique pourra amener à repenser ces contrats sans difficulté puisque la France peut se passer entièrement d’URT pour faire fonctionner l’intégralité de son parc. Cependant, Orano pourrait envisager de bâtir un atelier dédié à la conversion de l’URT en vue de son enrichissement, sous condition de contrats assurés. Toutefois, face aux obligations réglementaires concernant la construction d’installations nucléaires en France, un tel projet demanderait environ sept à dix années.  Des partenariats avec d’autres acteurs comme Westinghouse peuvent aussi être envisagés.

Quid des stocks d’URT d’Orano ?

Orano détient des stocks d’URT provenant de certains de ses clients, « Alors que l’intérêt pour l’utilisation de l’uranium de recyclage grandit avec l’évolution à la hausse du prix de l’uranium, Orano a signé un contrat avec Rosatom (opérateur russe) pour lui fournir 1150 tonnes d’uranium recyclé destiné à être converti puis ré-enrichi dans son usine de Seversk en Russie », indique Orano. « Les combustibles produits à partir de l’uranium recyclée fourni par Orano seront utilisés dans les réacteurs de Rosatom », indique encore l’industriel. Dans ce cas, il s’agit de vente de matière de la France vers la Russie. Ce contrat signé en 2020 est désormais soldé. ■

Par Ludovic Dupin et Valérie Faudon (Sfen)

Photo : Pellets d’uranium – @ Areva/US NRC