Les investissements dans les énergies propres, dont le nucléaire, s’envolent par rapport aux fossiles - Sfen

Les investissements dans les énergies propres, dont le nucléaire, s’envolent par rapport aux fossiles

Publié le 1 juin 2023 - Mis à jour le 2 juin 2023
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L’agence internationale de l’énergie (AIE) a publié l’édition 2023 de son ‘World Energy Investment’ (WEI). La reprise post pandémique et la réponse apportée par les gouvernements à la crise mondiale de l’énergie ont impulsé une dynamique forte dans les énergies propres. Presque deux tiers des 2,8 trillions de dollars investis dans l’énergie pour l’année 2023 vont aux énergies propres, ce qui inclus le nucléaire.

Ce nouveau rapport de l’AIE est le huitième de la série annuelle des WEI. Il offre un point de vue inédit sur les flux de capitaux dans le secteur de l’énergie. Alors que les sommes investies dans les énergies propres étaient comparables avec celui dans les énergies fossiles avant la pandémie, depuis 2020 le décrochage est net. Ainsi, en 2022, 1 600 milliards (Mds$) de dollars étaient investis dans les énergies bas carbone, contre 1 000 Mds$ dans les fossiles. En 2023, cet écart se creuse davantage. Toutefois, l’investissement absolu continue de croitre malgré un recul entre 2019 et 2020. Ce serait donc un euphémisme de dire que la décroissance du secteur fossile ne semble pas acquise, au contraire puisque, globalement, les niveaux projetés d’investissement pour 2023 atteignent des niveaux d’avant Covid.

L’électrification, vecteur incontesté de la décarbonation du système énergétique

Au périmètre de la production d’électricité, toutes les énergies bas carbone sont en croissance[1]. Les énergies fossiles sont stabilisées voire en recul suivant les projections de l’agence pour 2023. Globalement, 90 % de l’investissement dans les capacités électriques va vers les technologies bas carbone. Ce résultat contraste avec le précédent, où globalement, le partage était moins net et les fossiles étaient en croissance.

Selon l’AIE, que l’investissement dans les fossiles soit en recul pour les usages électrogènes alors qu’il est en croissance tous vecteurs énergétiques confondus, et qu’il aille très largement aux énergies bas carbone, est un signal fort de l’impact de l’électrification sur la décarbonation du système énergétique dans son ensemble. Bien sûr, il faut faire bien plus et ceci ne doit pas obérer le fait que l’extraction de pétrole et de gaz a connu un rebond dans ses investissements avec une croissance qui semble tendre à terme vers des niveaux d’avant Covid (au-delà de 500 Mds$). Toutefois, le signal d’ensemble est positif et comme l’AIE le souligne (p. 24), « l’électrification mène la charge ».

Contraste entre les technologies de production d’électricité

Le diable se cache dans les détails. En effet, on observe que la baisse dans les fossiles voile l’augmentation de l’investissement dans le gaz, compensé par une baisse plus importante en absolu dans le charbon. Cette dynamique est d’autant plus insatisfaisante vis-à-vis des objectifs climatiques que l’investissement dans le gaz s’établit à des niveaux similaires à l’hydraulique (en décroissance net) et le nucléaire. Côté renouvelable, la croissance est très largement portée par le solaire.

Les décisions finales d’investissement ont également fait l’objet d’une analyse. Elles sont un indicateur des capacités mises en service dans les prochaines années. Il est mis en lumière que l’ajout de capacités supplémentaires pour le nucléaire et l’hydraulique, les seules technologies de production pilotables bas carbone industrialisables actuellement, décroit respectivement de 2 GW et 6 GW. Autrement dit, pour les prochaines années, la flotte nucléaire grossira de l’équivalent de deux réacteurs en moins par rapport à la moyenne entre 2019 et 2022, où le rythme moyen de déploiement était de 6 GW/an – la Chine étant avec l’Égypte et la Turquie les seuls pays à démarrer la construction de nouveaux réacteurs en 2022 (et non pas le seul comme indiqué à la page 47 du rapport WEI). Au contraire la croissance des centrales au gaz va se faire plus importante encore dans les prochaines années d’après l’AIE.

Si à l’échelle mondiale la dynamique sur le nucléaire est diluée par le développement massif des EnR à court terme, de nombreuses initiatives sont à l’œuvre et augurent un indéniable avenir pour le nucléaire sur le long terme (2050). Ainsi, en UE, une alliance pour le nucléaire réunissant 16 pays membres affiche l’objectif ambitieux de développer un parc nucléaire de 150 GW en Europe contre 100 GW aujourd’hui (dont 60 GW en France).  Aux États-Unis, le Department of Energy (DoE) a tracé les grandes lignes pour un déploiement massif à un rythme de 13 GW par an afin d’atteindre 300 GW de nucléaire en 2050 , en particulier grâce aux petits réacteurs SMR.

Les conséquences de ces prospectives à court terme sont mitigées. Verre à moitié plein : il y a des raisons d’être optimistes puisque l’investissement global dans un système électrique décarboné semble être, d’après l’AIE, sur la bonne voie pour remplir les engagements annoncés en matière de climat par les Etats. Verre à moitié vide : la trajectoire qui permet d’atteindre un réchauffement limité à 1,5 °C au niveau mondial commande de doubler l’investissement d’ici 2030. Compte tenu de la dynamique en recul sur l’hydraulique et le nucléaire alors que le rythme de déploiement de l’atome doit atteindre 24 GW/an dans le scénario NZE (p. 120), il y a en effet des raisons d’être pessimistes. Seule la Chine – encore elle – semble être en bonne voie pour atteindre la trajectoire du scénario NZE pour la partie production électrique[2].

Un développement inégal des énergies propres entre les pays

Ce « boost » dans l’investissement des énergies propres s’explique notamment par une compétitivité relative accrue de ces énergies alors que les prix des fossiles étaient à la fois à des niveaux élevés et volatiles, et par la mise en place d’instruments dédiés voire carrément de politiques de planification par l’État comme en Chine (‘Five-Year Plan’), aux États-Unis avec l’’Inflation Reduction Act’[3], ou ses équivalents, plus timides, en Union européenne (REPower EU et le paquet Fit-for-55). Néanmoins, ceci conduit à ce que la croissance des investissements propres entre 2019 et 2023 soit concentrée dans ces pays, la Chine en tête[4], puis l’UE et les États-Unis.

Ce développement inégal des énergies propres, avec certaines régions qui font beaucoup, d’autres un peu, voire beaucoup moins est problématique. Au-delà des graves problèmes sanitaires que soulève l’engoncement dans le fossile de certains systèmes énergétiques de régions densément peuplées, l’enjeu des émissions carbone n’est pas local. En outre, il existe une forte corrélation spatiale entre l’exposition et l’impact du changement climatique et la faible croissance des énergies propres. Autrement dit, la dynamique de décarbonation ou, plus exactement, de développement décarbonée de l’économie des pays concernés au premier chef par le réchauffement n’est toujours pas amorcée.

Comme le souligne abondamment le chercheur belge François Gemenne[5] dans ses nombreuses prises de parole, il y a un intérêt économique, vital même, à ce que les pays vertueux contribuent à un développement qui soit d’emblée bas carbone pour ces régions moins bien dotées. C’est bien simple, l’AIE ne dit pas moins « l’enjeu crucial et qui n’est aujourd’hui pas adressé, est celui de la vitesse de l’investissement bas carbone dans l’infrastructure des économies émergentes et en développement » (p. 24).

L’investissement dans la R&D et l’innovation montre également des signes positifs

Pour la partie investissement dans la R&D et l’innovation, plusieurs résultats intéressants doivent être mentionnés. Premièrement, l’AIE souligne le rôle important des gouvernements pour la mise en œuvre de politique d’investissement contracyclique. Lorsque l’investissement privé se tarit, le public prend le relais pour prolonger la dynamique. Hormis la Chine qui mène sa politique de planification, des programmes publics ambitieux essaiment un peu partout, avec l’Inflation Reduction Act au premier chef. Adopté en 2022 par les États-Unis, l’AIE le qualifie de « le plus grand coup de pouce au financement de l’innovation en matière d’énergie propre de ces dernières années » (p. 135).

Côté privé, si les investissements croissent de 10 % en 2022, retournant à des niveaux pré-Covid, ils restent globalement en deçà de la croissance des revenus des entreprises. Notons néanmoins que la part des revenus des entreprises privées allouée à la R&D et à l’innovation est en croissance depuis 2016 pour les acteurs du système électrique (2,5 % en 2022), du nucléaire (autour de 3 % en 2022) et des flexibilités (entre 4,5 et 5 % en 2022). Enfin, près du double des prêts (en montant nominal) accordés par la banque européenne d’investissement aux entreprises privées, va à la R&D sur les énergies renouvelables par rapport au secteur électrique hors renouvelables et tout secteur confondu (nucléaire inclus) (p. 139).

Ian Gould, chef économiste de l’agence résume ainsi la situation : « nous sommes dans une bien meilleure position que quelques années auparavant… la route reste très longue mais nous observons enfin des signes encourageants sur lesquels travailler ».  ■

Par Ilyas Hanine (Sfen)

Photo : © Tomasz Makowski

[1] Dans la suite, sauf mention contraire, ce sera en termes d’investissements.

[2] Les autres secteurs sont hors champ du présent article ; d’après les analyses de l’AIE, il semble toutefois que la Chine a un rôle systématiquement pivot dans la dynamique présente et future.

[3] Avec un effet significatif sur le coût de production actualisé du solaire et de l’éolien (p. 34).

[4] Et ce bien qu’elle représente la quasi-intégralité des décisions d’investissement dans le charbon au niveau mondial.

[5] Spécialiste des migrations environnementales et climatiques et dans les politiques d’adaptation. Il est co-auteur du sixième rapport du GIEC (groupe 2).

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