Réacteur nucléaire avancé : les États-Unis ont besoin de lancer une dizaine de projets immédiatement

La neutralité carbone des États-Unis nécessitera le déploiement massif d’énergie bas carbone et pilotables. Pour que l’industrie nucléaire américaine soit à la hauteur des enjeux, en particulier pour déployer les petits réacteurs modulaires (SMR/AMR), le Department of Energy (DoE) a tracé les grandes lignes pour un déploiement massif à un rythme de 13 GW par an afin d’atteindre 300 GW de nucléaire en 2050.
Pour l’année 2022, les 200 GW de capacité charbon représentaient encore 20 % de la production électrique aux États-Unis. Pour tenir les objectifs climatiques du pays, le Department of Energy (DoE) considère, dans un rapport, qu’il est urgent de passer à l’étape du déploiement industriel des SMR. Pour cela, il serait nécessaire de remplir un carnet de commandes dès 2025 avec 5 à 10 unités d’un même modèle pour une mise en service de premières unités dès 2030. En effet, le DoE alerte : « Attendre la moitié des années 2030 pour déployer à grande échelle les réacteurs pourrait mener les États-Unis à rater ses objectifs climatiques et/ou à mettre en difficulté la supply chain ».
Calendrier pour un déploiement à l’échelle commerciale de réacteurs avancés en trois étapes
Il s’agit en particulier pour les États-Unis d’atteindre l’objectif de neutralité carbone en 2050 qui nécessitera, toujours selon le DoE, le déploiement de 550 à 770 GW de capacité pilotables bas carbone. La capacité nucléaire pourrait ainsi être portée jusqu’à 300 GW (le parc actuel + 200 GW) à un rythme de +13 GW par an. Le reste serait assuré par les systèmes de stockage, la géothermie et les centrales fossiles équipées de systèmes de capture carbone. Pour donner l’ordre de grandeur, il s’agit de multiplier la puissance installée du parc nucléaire américain par trois, et ce avec des petits réacteurs dont la puissance se situe autour de 300 MW. Ces derniers viendraient notamment remplacer les petites unités à charbon réparties dans tout le pays.
Scénarios de construction et conséquences sur l’outil industriel
L’œuf ou la poule ?
« Au 1er janvier 2023, il n’y a (toujours) pas de contrats commerciaux signés aux États-Unis », déplore le DoE, tout en rappelant le contrat signé par GEH dans l’Ontario au Canada. Or les industriels ont besoin de commandes pour dimensionner leur appareil productif et réaliser des gains de compétitivité grâce à la construction en série. Mais les investisseurs, et industriels, ont besoin d’être rassurés quant au modèle de ces nouveaux concepts pour sauter le pas. Afin de dénouer le problème de « l’œuf et de la poule », des incitations fiscales au sein de l’Inflation Reduction Act (IRA) ont été prévues ainsi que d’autres mesures comme un soutien financier aux premiers projets, des garanties d’achat, etc.
Une fois ce premier pas franchi, le défi sera de livrer les projets dans le temps et le budget, c’est-à-dire avec un écart inférieur à 20 % prévient le ministère de l’Énergie. La machine industrielle américaine pourra alors se mettre en marche pour développer les capacités industrielles nécessaires à un déploiement massif de nouveaux réacteurs.
Les défis d’un déploiement industriel sans précédent
Le début des années 2030 pourrait voir le décollage de la filière qui devra répondre à plusieurs impératifs afin d’assurer le déploiement de 13 GW par an :
- disposer des ressources humaines pour les phases de fabrication, construction et d’exploitation, c’est-à-dire environ 375 000 personnes ;
- disposer des capacités industrielles pour couvrir toutes les étapes de l’amont du cycle du combustible et notamment sur le combustible moyennement enrichi (Haleu) qui est aujourd’hui un monopole russe ;
- mettre en place une supply chain robuste capable de forger de grands composants (cuve, générateur de vapeur, etc.) en série. C’est par ailleurs un point présenté dans le rapport comme une faiblesse actuelle de la filière américaine ;
- avoir une autorité de sûreté disposant de moyens humains et financiers pour délivrer des licences à 13 GW de capacité nucléaire par an.
Washington reste ambitieux à l’export
En plus de l’appétit de ce marché intérieur brossé par le DoE, les États-Unis veulent etre présent à l’export. En plus des AP1000 proposés en Europe (Pologne, Ukraine…), les industriels américains veulent exporter leurs petits réacteurs en Estonie, en Pologne, en Corée du Sud, aux Philippines, en Indonésie… Un projet de loi « Advance » bipartisan, déposé début avril par cinq sénateurs démocrates et cinq républicains, vise par ailleurs à promouvoir le nucléaire avancé aussi bien à l’intérieur et à l’extérieur du territoire américain. Ce déploiement concernerait d’abord les technologies de SMR dites de génération III (à eau), puis les technologies de rupture, notamment à neutrons rapides, dans la deuxième moitié des années 2030. ■