Joe Biden et le nucléaire : retour sur le mandat Démocrate - Sfen

Joe Biden et le nucléaire : retour sur le mandat Démocrate

Publié le 21 janvier 2025 - Mis à jour le 22 janvier 2025

L’investiture de Donald Trump le 20 janvier 2025 vient conclure quatre années d’administration démocrate pendant lesquelles le soutien à l’énergie nucléaire s’est affirmé sans ambiguïté. Le nouveau résident de la Maison-Blanche, lui aussi en faveur de l’atome, est cependant beaucoup plus libéral et tourné vers les énergies fossiles. Retour sur les mesures phares de l’administration Biden.

« Depuis le premier jour, l’administration Biden-Harris a pris des mesures historiques pour lutter contre le changement climatique et investir en Amérique. Elle a mis en œuvre le programme d’énergie propre le plus ambitieux de l’histoire de notre pays et a pris des mesures essentielles pour que l’énergie nucléaire soit prête à jouer un rôle clé dans la transition énergétique », tient à rappeler la Maison-Blanche dans un communiqué publié fin 2024[1]. Le nucléaire ne soit pas un marqueur politique aux États-Unis et l’administration Démocrate a en effet pris de nombreuses mesures pour palier les faiblesses américaines. Le cap a été mis sur le triplement de la capacité nucléaire avec le retour en grâce des réacteurs de forte puissance, l’accélération des petits réacteurs modulaires (SMR) et de technologie avancée (AMR).

1 –  Un triplement de la capacité nucléaire à l’horizon 2050

Le gouvernement américain s’est engagé à tripler la capacité nucléaire d’ici à 2050, c’est-à-dire à ajouter 200 GW de capacité soit l’équivalent d’un peu moins de 200 réacteurs de forte puissance comme l’AP1000 de Westinghouse. Au-delà de l’annonce, la Maison-Blanche a établi une feuille de route avec la mise en lumière de 30 actions à mener pour arriver à une capacité annuelle de déploiement de 15 GW de nucléaire dès 2040[2]. Un travail a également été engagé sur la capacité des sites nucléaires actuels à accueillir de nouveaux réacteurs. Selon les premières conclusions du Department of Energy, les centrales américaines peuvent accueillir 60 GW de plus, voire 95 GW si l’on ajoute les sites pouvant recevoir de plus petites unités[3].

2 – De l’arrêt des fermetures aux redémarrages

Malgré une politique volontariste dans le domaine des petits réacteurs modulaires dès le début des années 2010[4], l’industrie américaine a souffert d’un manque d’action des pouvoirs publics qui auraient permis d’éviter ou de limiter les fermetures pour des raisons économiques de 12 réacteurs en 10 ans[5]. Bien plus interventionnistes que les Républicains, les Démocrates ont pris une série de mesures afin de soutenir les réacteurs du parc historique. L’Inflation Reduction Act (IRA), qui a bénéficié d’un vote bipartisan, comprend par exemple un crédit d’impôt pour la production nucléaire pouvant atteindre jusqu’à 15$/MWh (Zero-Emission Nuclear Power Production Credit). D’autres mesures comprennent aussi un soutien financier pour le redémarrage d’unités mises prématurément à l’arrêt ou encore pour réaliser les opérations d’augmentation de puissance (Clean Electricity Production Tax Credit et Clean Electricity Investment Tax Credit). Ces leviers ont permis le sauvetage de la centrale nucléaire de Diablo Canyon[6] (2,2 GW), mais aussi, avec une garantie de prêt de 1,52 milliard de dollars du DoE, à l’entreprise Holtec de s’affairer au redémarrage du réacteur de Palisades. Le réacteur de 800 MWe, fermé initialement en 2022, pourrait ainsi redémarrer dès la fin de l’année 2025. À noter également, le redémarrage, de TMI-1 (820 MWe) avec le soutien de Microsoft.

3 – Accélérer le déploiement de petits réacteurs modulaires à eau légère

Le programme de financement de 2012 prévoyait un déploiement de petits réacteurs à eau légère dès 2022[7], mais le contexte[8] n’a pas permis de lancer des têtes de série qui concentrent les risques de dérive budgétaire. Afin de débloquer la situation, le ministère de l’Énergie américain (Department of Energy) a annoncé en octobre 2024 un nouveau programme d’un budget de 900 millions de dollars afin de déployer jusqu’à deux Small Modular Reactor de technologie éprouvée [9]. En parallèle, le développement de nouvelles technologies de réacteurs continue et se concrétise.

4 – Le développement de nouvelles technologies de réacteurs

Plusieurs projets de technologies avancées de réacteurs soutenus par le ministère de l’Énergie (DoE) ont connu d’importantes avancées en 2024. Le jalon franchit le plus important est probablement le lancement de la construction du démonstrateur Hermès[10] de Kairos Power qui consiste en la démonstration du réacteur à haute température à caloporteur sels fondus (FHR). L’entreprise a également obtenu l’aval de l’autorité de sûreté pour construire un second démonstrateur[11] équipé de deux unités, cette fois-ci connectées à un système de production d’électricité. À noter également, le début de la construction (pour les parties non nucléaires) d’un premier réacteur à neutrons rapides refroidi au sodium de TerraPower.

5 – La loi d’accélération du nucléaire innovant

Approuvée en juillet 2024, la loi d’accélération du nucléaire innovant sobrement intitulé Advance Act permet de renforcer l’autorité de sûreté (NRC) dans le but d’accélérer le traitement des demandes de certifications. Elle réduit également certains coûts des démarches pour les entreprises.

6 – Sécuriser l’approvisionnement en combustible

Après une longue période de désinvestissement du cycle du combustible, les États-Unis relancent le secteur dans un contexte de dépendance à la Russie pour une partie de l’uranium enrichi à destination du parc nucléaire existant (environ 20 %) et, en totalité, pour les combustibles moyennement enrichis [12] (Haleu) que nécessiteront un certain nombre de petits réacteurs modulaires.

Le premier sujet a été marqué par la mise en place d’un embargo progressif sur l’uranium russe[13] et l’annonce d’investissements dans de nouvelles capacités via des extensions d’installation ou la construction de nouvelles usines [14]. Un appel à projets est organisé par le DoE qui achètera l’uranium enrichi aux industriels du secteur via de contrat de long terme. Par ailleurs, en marge de la COP28, les « Cinq de Sapporo » – États-Unis, Canada, France, Japon et Royaume-Uni – ont annoncé investir au global 4,2 milliards de dollars dans l’amont du cycle.

Le second sujet se place dans la continuité du programme de disponibilité de l’uranium moyennement enrichi (Haleu Avalaibility Program) de l’Energy Act of 2020. À l’image de ce qui est fait pour l’uranium du parc actuel, le DoE a sélectionné des industriels pour les processus de déconversion et d’enrichissement. Il a d’ailleurs lancé une première cascade de centrifugeuse avec Centrus qui a fêté la production de 20 kg d’Haleu en 2023.

Qu’attendre du second mandat de Donald Trump ?

Pour Joe Biden, l’atome est un outil de souveraineté énergétique, de rayonnement à l’international et de lutte contre le changement climatique. Donald Trump, qui a de nouveau signé la sortie des accords de Paris dès son investiture, ne voit que les deux premiers. Le soutien au nucléaire devrait se poursuivre mais des doutes planent sur l’avenir de l’Inflation Reduction Act tel qu’il existe aujourd’hui, les libéraux étant plutôt allergiques aux mécanismes de subventions. Le gaz par contre devrait lui trouver toute sa place alors que la Maison-Blanche vient de décréter l’état d’urgence énergétique [15].■

Gaïc Le Gros (Sfen)
Photo: Drew Angerer//Getty Images North America / Getty Images via AFP

[1] https://www.whitehouse.gov/ostp/news-updates/2024/11/12/biden-%E2%81%A0harris-administration-establishes-bold-u-s-government-targets-for-safely-and-responsibly-expanding-u-s-nuclear-energy-and-announces-framework-for-action-to-achieve-these-targets/

[2] https://www.energy.gov/ne/articles/us-sets-targets-triple-nuclear-energy-capacity-2050?fbclid=IwY2xjawHJZIFleHRuA2FlbQIxMAABHT6vFO-kkKs6_4DqE6_JLORb9J04lPRT5AX1EsqY3R2bhWgf3Uf8_WMtJw_aem___dxOMSaV5aodBXkAcPyag

[3] https://www.energy.gov/ne/articles/could-nations-nuclear-power-plant-sites-support-new-reactor-builds

[4] Fait référence ici aux programmes de soutien du début des années 2010 avec de premiers concepteurs lauréats en 2012/2013 ainsi que les programmes d’innovation GAIN, lancé en 2016, et ARDP en 2020.

[5] https://crsreports.congress.gov/product/pdf/R/R46820/3

[6] https://www.world-nuclear-news.org/articles/us-administration-signs-off-on-federal-funding-for

[7] https://www.ans.org/news/article-998/competition-heats-up-for-doe-smr-funding/

[8] https://www.sfen.org/rgn/aux-etats-unis-lepineuse-question-du-deploiement-commercial-des-smr/

[9] https://www.energy.gov/articles/biden-harris-administration-announces-900-million-build-and-deploy-next-generation-nuclear

[10] https://www.sfen.org/rgn/kairos-power-lance-la-construction-du-premier-reacteur-avance-aux-etats-unis-depuis-50-ans/

[11] https://www.sfen.org/rgn/kairos-power-feu-vert-de-la-nrc-pour-la-construction-dun-second-demonstrateur/

[12] C’est-à-dire entre 5 % et 20 %.

[13] https://www.sfen.org/rgn/ladministration-biden-adopte-un-embargo-sur-luranium-enrichi-russe/

[14] https://www.energy.gov/ne/domestic-low-enriched-uranium-supply-chain

[15] https://www.whitehouse.gov/presidential-actions/2025/01/declaring-a-national-energy-emergency/