Aux États-Unis, l’épineuse question du déploiement commercial des SMR - Sfen

Aux États-Unis, l’épineuse question du déploiement commercial des SMR

Publié le 9 juillet 2024

Malgré les difficultés rencontrées par certains développeurs de petits réacteurs modulaires, le gouvernement américain maintient son soutien à la petite puissance, pilier de sa stratégie de relance de l’industrie nucléaire nationale.

Parmi les nombreux concepts de petits réacteurs modulaires (SMR, Small Modular Reactor) et réacteurs modulaires avancés (AMR, Advanced Modular Reactor) en cours de conception aux États-Unis, difficile à ce stade de prédire lesquels atteindront la phase du déploiement commercial. Certains développeurs semblent tirer leur épingle du jeu, à l’image de TerraPower, en discussion avec la Nuclear Regulatory Commission (NRC), afin d’obtenir un permis de construire pour son projet de démonstration dans le Wyoming1. D’autres ont du mal à tenir la cadence, parmi lesquels NuScale, qui tente non sans peine de se relever de l’abandon, fin 2023, de son projet de démonstrateur dans l’Idaho. Si ces difficultés ont pu inciter l’administration à réajuster sa stratégie en matière de nucléaire civil, avec notamment le retour en grâce des réacteurs nucléaires de grande puissance, les petits réacteurs continuent toutefois de bénéficier du soutien des pouvoirs publics.

Le royaume de la petite puissance

Les États-Unis comptent une multitude de concepts de réacteurs de petite puissance, le pays développant 19 des 56 modèles en cours de conception recensés par l’Agence pour l’énergie nucléaire de l’OCDE (AEN/NEA). Par ailleurs, plusieurs électriciens nucléaires et des industriels de secteurs autres que celui de la production d’électricité à travers le pays manifestent leur intérêt pour cette gamme de réacteurs : Tennessee Valley Authority souhaite construire quatre SMR à eau bouillante de GE-Hitachi (BWRX-300) à Clinch River dans le Tennessee, Energy Northwest prévoit de construire douze petits réacteurs à haute température (Xe-100) d’X-energy dans l’État de Washington, Duke Energy envisage d’équiper la Caroline du Nord de 7,7 GWe de SMR, Dow Chemicals prévoit de construire quatre réacteurs Xe-100… Ce dynamisme est le fruit d’un consensus politique sur le nucléaire et de programmes de soutien sur le long terme mis en place par les différentes administrations, républicaine ou démocrate, même s’il est important de préciser qu’à ce jour, aucun contrat commercial ou décision finale d’investissement (FID) n’a encore été signé.

En matière de certification, le Department of Energy (DOE) soutient depuis 2012, à travers le « SMR Licensing Technical Support program », les développeurs souhaitant certifier leur design auprès de la NRC. Un nouveau programme de ce type pourrait bientôt voir le jour grâce à l’Atomic Energy Advancement Act, projet de loi en cours d’examen au Congrès, qui propose notamment de financer la certification de cinq concepts de SMR/AMR en mettant l’accent sur le caractère innovant des technologies développées – stockage de l’énergie, fourniture de chaleur industrielle, utilisation de combustibles contenant des isotopes issus du retraitement.

La R&D, nerf de la guerre

Le programme Gain, lancé en 2014, encourage les synergies entre laboratoires nationaux et concepteurs de SMR, le DOE mettant à disposition de ces derniers ses infrastructures de recherche. Un réel coup d’accélérateur est donné par le DOE lorsqu’il lance, en 2020, le programme de démonstration de réacteurs avancés, l’ARDP, prévoyant notamment la construction de deux réacteurs de 4e génération : le Natrium, un RNR-NA développé par TerraPower, et l’Xe-100, un HTGR conçu par X-energy. Dans ce cadre, le DOE apporte un soutien financier conséquent aux développeurs dans le but d’éviter à l’industrie le risque de s’impliquer dans des travaux de R&D sans garantie de retour sur investissement : TerraPower et X-energy bénéficient ainsi d’un financement public atteignant respectivement 2 milliards et 1,2 milliard de dollars pour leurs projets de démonstration2. Ce mode de financement, soumis à conditions, repose sur le concept du cost-sharing (50 % public, 50 % privé).

Les ambitions contrariées de NuScale

NuScale, créée au début des années 2000, a développé un concept de centrale nucléaire composée de petits réacteurs à eau pressurisée de 77 MWe chacun. Considéré comme l’un des pionniers du secteur, NuScale comptait sur la réalisation d’un premier projet dans l’Idaho, le Carbon Free Power Project (CFPP), pour promouvoir sa technologie à des fins domestiques et export. Néanmoins, faute d’obtenir un engagement suffisant de son premier client, une union de municipalités (UAMPS), le projet a été annulé fin 2023. En cause, le prix de 89 $ le MWh annoncé en janvier 2023 (contre 58 $ auparavant) – qui tient pourtant compte d’une subvention du DOE – ayant largement contribué à dissuader nombre d’acquéreurs potentiels du courant que devaitproduire la centrale. Le facteur coût avait déjà été à l’origine de la reconfiguration du projet : initialement prévu pour une capacitéinstallée de 600 MWe via la construction de douze modules de 50 MWe, il avait été redimensionné à diverses reprises, pour finalement se transformer en une  centrale de 6 modules de 77 MWe chacun, totalisant unecapacité de 462 MWe. Par ailleurs, ce nouveau modèle plus puissant est aujourd’hui encore en cours de certification par l’autorité de sûreté (NRC) alors que celui de 50 MWe avait déjà été licencié début 2023.

Cet échec a conduit au licenciement de 150 personnes soit une coupe de près de 30 %  des salariés à plein temps. Il aura marqué les esprits, rendant les industriels plus frileux à l’idée de s’engager dans la construction d’une tête de série.

La course à la deuxième place

Un projet tête de série représente toujours un risque de dérive plus important comme l’a de nouveau montré la construction des réacteurs de grosse puissance AP1000 de Westinghouse sur les sites de Vogtle et de Virgil C Summer. Les deux unités de Vogtle devaient démarrer en 2016 et 2017 mais ne sont entrées en exploitation que sept ans plus tard pour un doublement des coûts. Le chantier de V.C Summer a quant à lui tout simplement été abandonné en 2017. Les développeurs de réacteurs de petite puissance font face eux aussi à des difficultés, à l’instar de TerraPower, qui a retardé de deux ans son projet de démonstration du réacteur Natrium, de 2028 à 2030. Même si TerraPower justifie ce retard par des difficultés d’approvisionnement en combustible HALEU, dont la livraison, qui devait être assurée par la Russie, a été interdite du fait du contexte géopolitique, il n’est pas exclu que ce retard soit aussi causé par des difficultés dans le développement de la technologie Natrium.

Dans ce contexte, les développeurs ne souhaitent pas ouvrir la voie à une nouvelle technologie mais préfèrent au contraire se lancer dans des projets de construction juste après qu’une tête de série ait été construite. C’est cette logique à quoi s’appliquent l’électricien canadien SaskPower et l’électricien américain TVA, qui attendent de voir le déroulement du projet de construction du réacteur BWRX-300 de GE-Hitachi dont le déploiement d’une première unité est prévu sur la centrale canadienne de Darlington d’OPG, d’ici 2029.

Ainsi, pour les électriciens, mais aussi pour le DOE, le problème se résume désormais à la question de savoir comment obtenir les garanties suffisantes face au risque L’administration américaine cherche à garantir l’émergence rapide de premières constructions d’AMR. Et ce d’autant que, s’agissant de technologies innovantes, plusieurs dizaines de petits réacteurs d’une même technologie pourraient être nécessaires avant d’en démontrer la viabilité économique. Dans un secteur qui s’annonce concurrentiel, les  développeurs se montrent réticents à se lancer dans la construction de têtes de série tout en souhaitant être les premiers sur le marché en se positionnant comme fast-follower, concept qui caractérise tout constructeur qui souhaite se lancer dans des programmes de constructions en série le plus tôt possible après l’achèvement d’un premier du genre, tout en respectant un laps de temps minimum requis pour en étudier le retour d’expérience.

Accélérer sur le déploiement des filières éprouvées de réacteurs

Soucieux de voir s’accélérer le déploiement de réacteurs de petite puissance, le DOE a annoncé en mars 2024 le lancement d’une nouvelle campagne de financement destinée au déploiement de deux réacteurs à eau légère de designs matures. À la clé, une enveloppe de 800 millions de dollars, répartie entre les deux lauréats, dont l’identité sera dévoilée d’ici la fin de l’année 2024. Le programme met l’accent sur la maturité des concepts retenus, les développeurs choisis devant se prévaloir d’un carnet de commandes suffisant afin de permettre un déploiement « à court terme, à l’échelle commerciale ». Une enveloppe supplémentaire de 100 millions de dollars porte sur les activités d’obtention de licences, de préparation de sites et de fabrication de composants. L’annonce, fin 2024, des deux lauréats, couplée au lancement en 2025 de crédits d’impôts pour l’énergie nucléaire – pouvant atteindre jusqu’à 30 % des investissements effectués dans la construction de nouvelles centrales – marquera sans doute le début d’une nouvelle ère pour la filière nucléaire américaine.


1. TerraPower a obtenu en 2024 un permis pour construire les parties non nucléaires de son démonstrateur.
2. Government Accountability Office, Cour des comptes des États-Unis d’Amérique, 2022.

Par Gaïc Le Gros, Sfen, avec la contribution du Service nucléaire de l’Ambassade de France à Washington

Photo © Shutterstock / Ungvar I L’administration américaine cherche à garantir l’émergence rapide de premières constructions d’AMR.

Revue Générale Nucléaire #2 | Été 2024