Interview : Les lauréats de France 2030 auditionnés par le Haut Commissariat à l’énergie atomique
Plusieurs entreprises de l’appel à projets réacteurs innovants du programme d’investissement France 2030 ont récemment communiqué sur l’évaluation technique et économique du Haut Commissariat à l’énergie atomique. De quoi s’agit-il ? Quels enseignements ? Vincent Berger, Haut Commissaire à l’énergie atomique, éclaire le sujet pour la Sfen.
Lancé par le président de la République en octobre 2021, le plan d’investissement France 2030 comprend un appel à projets dédié aux réacteurs nucléaires innovants. Les technologies retenues lors de la phase 1 ont fait cette année l’objet d’une évaluation du Haut Commissariat à l’énergie atomique.
En quoi consiste l’évaluation indépendante des lauréats de l’appel à projets ?
V.B : Le président de la République lors du Conseil de politique nucléaire (CPN) de février 2024, puis le Premier ministre dans une note de mission, m’ont demandé de réaliser une évaluation complète des projets et technologies de réacteurs modulaires SMR/AMR sur les plans techniques et économiques. Cette évaluation va contribuer à structurer la seconde phase de l’appel à projets réacteurs innovants de France 2030 qui comprend une grande variété de technologies, de la révolution d’usage à l’innovation de rupture. Elle est aussi un exercice utile pour chacune des start-ups, grâce au challenge réalisé par des experts de haut niveau.
Nous avons ainsi dédié plusieurs mois à la compréhension des projets en sollicitant les porteurs de projets. Ensuite, nous avons recruté 36 experts répartis dans 6 groupes couvrant la technologie des réacteurs ; le cycle complet du combustible ; la sûreté et la sécurité ; le plan d’affaires, le positionnement et les opportunités marché ; la conduite de projet ; et enfin, la création de valeur et la propriété intellectuelle. Ces experts ont planché sur une documentation basée sur un tronc commun d’une centaine de pages, hors annexes techniques, pendant plusieurs mois avant de faire part aux entreprises de leur évaluation. Bien évidemment, ces échanges ont été encadrés par un accord de confidentialité visant à protéger les solutions techniques des projets comme par exemple les choix de matériaux, la composition du combustible, etc.
Quels sont les enseignements de l’évaluation ?
V.B : Tout d’abord, il est important de préciser que nous n’avons pas classé les 12 lauréats que nous avons évalués. Par ailleurs, il faut également garder à l’esprit que les porteurs de projets sont vraiment très différents. Ils se distinguent les uns des autres aussi bien par le choix des technologies, parfois en rupture avec ce que l’on connaît aujourd’hui, que par leur nombre d’employés, l’avancement auprès de l’Autorité de sûreté, etc. La France a vraiment ouvert une extraordinaire boîte à idées grâce à l’appel à projets réacteurs innovants de France 2030. Nous avons aujourd’hui un panel de technologies unique au monde, de la fission en spectre thermique à la fusion nucléaire, le tout avec une grande variété de combustibles, utilisant du plutonium notamment, ce qui nous distingue des États-Unis.
Concernant les enseignements, ces nouveaux acteurs ont démontré une forte réactivité dans leur travail et leurs prises de décisions. Cette énergie attire aujourd’hui de nouveaux talents qui viennent enrichir le secteur du nucléaire. Enfin, aucun verrou technique infranchissable n’a été identifié, mais, toutefois, des temps de développement différents. Une fois encore, les lauréats de France 2030 ont misé sur des technologies avec des niveaux de maturité technologique et industrielle très divers. Chacun est conscient de ses forces et de ses faiblesses. Ainsi, l’État va poursuivre l’accompagnement du secteur, avec l’appui technique des acteurs de la filière déjà mobilisé comme l’Autorité de sûreté et le CEA (avec l’Agence de Programme nucléaire innovant), sur des horizons de temps variés et un accompagnement adapté pour les acteurs. ■
Les auditions se sont déroulées pendant trois jours à l’Université Paris Dauphine.