Belgique : la Commission européenne, pas opposée à une aide d’État pour prolonger les réacteurs

C’est un sujet à suivre de très près, tant il va être important pour de nombreux pays en Europe. La Commission a rendu un premier avis sur l’aide d’État pour l’exploitation à long terme des réacteurs de Doel 4 et Tihange 3 en Belgique. Les commissaires ne s’opposent pas aux mesures envisagées, en particulier au CfD (contrat pour différence), qui garantirait un prix fixe à l’opérateur. Restent quelques réserves de Bruxelles qui engage une procédure d’investigation.
En janvier 2023, la Belgique a approché la Commission européenne concernant un projet d’aide d’État visant à prolonger la durée de vie de deux réacteurs nucléaires, Doel 4 et Tihange 3. Cette décision a été motivée par la crise énergétique de 2022 et la guerre en Ukraine, qui ont souligné la nécessité pour le pays de réduire sa dépendance aux combustibles fossiles et d’assurer la sécurité de son approvisionnement énergétique. Initialement, ces réacteurs devaient être arrêtés en 2025, conformément à la loi belge de 2003 sur la sortie du nucléaire. Cependant, le gouvernement, Engie et Electrabel ont négocié un accord pour prolonger leur durée d’exploitation de dix ans.
Cet accord, finalisé le 13 décembre 2023, inclut plusieurs interventions regroupées en trois volets principaux : les arrangements financiers et structurels, le transfert de responsabilités concernant les déchets nucléaires et le démantèlement, et des protections juridiques spécifiques. Ces mesures visent à réduire les risques pour l’industriel tout en permettant la relance des deux réacteurs au 1er novembre 2025.
Une aide financière, technique et législative
L’accord entre l’État belge et Electrabel comprend la création d’une coentreprise, BE-NUC, détenue à parts égales entre les deux parties prenantes. Cette coentreprise, sans devenir opérateur, portera la charge et la gestion financière des réacteurs. Un élément central de l’accord est l’introduction d’un contrat pour différence (CfD) à deux sens, garantissant un prix fixe du MWh issu des réacteurs, situé entre 80 et 90 euros par MWh. En dessous, l’État indemnise l’opérateur, au-dessus l’excédent de revenus à l’État belge. Le mécanisme devrait permettre d’atteindre un rendement cible de 7 %. D’autres mécanismes de soutien financier, tels que des prêts spécifiques et un accord de services de gestion de l’énergie, sont également mis en place pour minimiser les risques.
L’accord prévoit un plafonnement des responsabilités liées aux déchets nucléaires, avec un paiement unique de 15 milliards d’euros de l’exploitant, ainsi que le transfert des responsabilités en matière de démantèlement à l’État belge pour l’ensemble des réacteurs prolongés. Enfin, des dispositions légales spécifiques ont été introduites pour protéger Electrabel en cas de changements législatifs futurs qui pourraient affecter négativement ses activités.
Un accord de la Commission sur le principe
La Commission européenne a analysé le dispositif de CfD sous l’angle des règles relatives aux aides d’État, dont l’objet est de garantir l’innocuité de l’intervention publique sur la concurrence au sein du marché intérieur. Dans son évaluation, la Commission a identifié plusieurs éléments favorables pour autoriser cette aide. Tout d’abord, elle a souligné la nécessité stratégique du nucléaire pour la sécurité d’approvisionnement en Belgique, un enjeu critique, surtout dans un contexte de transition énergétique vers la hausse de la consommation d’électricité bas carbone. Ensuite, elle a reconnu la nécessité d’une aide pour garantir un revenu stable à l’exploitant nucléaire étant donné la volatilité du prix des marchés de l’électricité.
Conformément à ses précédents avis et en accord avec la récente réforme européenne, la Commission a considéré que le CfD est un outil efficace pour limiter les risques financiers liés à des projets d’infrastructures coûteux et complexes comme la prolongation de réacteurs nucléaires. En offrant une garantie de prix minimal, le mécanisme encourage les investissements dans des projets qui pourraient autrement être jugés trop risqués. Cette sécurité est particulièrement importante dans le secteur nucléaire où les coûts d’investissement, ici dans la prolongation, sont importants.
Quelques doutes
Malgré les mesures prises pour structurer l’aide, la Commission européenne a exprimé plusieurs doutes concernant la compatibilité de cette aide d’État avec le marché intérieur. La conception du CfD peut perturber le fonctionnement des marchés. En cause, le manque d’incitations à réagir aux conditions économiques (les prix de marché) et à planifier la maintenance de manière optimale.
Au-delà, la Commission s’interroge sur la nécessité de certaines mesures supplémentaires, comme la création de la coentreprise BE-NUC et les divers mécanismes de soutien financier. La Commission considère que ces mesures pourraient ne pas être indispensables et, par conséquent, doute de la nécessité de l’aide dans son contenu actuel.
Enfin, des questions subsistent quant à l’établissement du montant forfaitaire de 15 milliards d’euros pour le transfert des responsabilités liées aux déchets nucléaires et au démantèlement, ajoutant aux doutes sur la proportionnalité de l’aide.
En raison des doutes persistants quant à la compatibilité de l’aide avec le marché intérieur, la Commission a formellement décidé d’ouvrir une procédure d’enquête. Celle-ci vise à évaluer plus en détail les aspects de l’aide qui pourraient contrevenir aux règles du marché intérieur européen. ■