Sûreté nucléaire : l’Opecst recommande de rapprocher l’ASN et l’IRSN au sein d’une nouvelle autorité indépendante
L’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst) s’est saisi de la proposition du gouvernement de rapprocher l’IRSN de l’ASN. Les deux rapporteurs se disent favorables à une réorganisation de la sûreté en France en raison de la multitude des défis à venir. L’Opecst préconise également d’augmenter les moyens globaux de l’expertise, du contrôle et de la recherche.
En début d’année, la proposition du gouvernement de rapprocher l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) avait créé un vif émoi chez ce second. L’Exécutif avait dû reculer sur ce sujet. Très tôt, l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst) s’est saisi du sujet pour examiner la pertinence d’une telle initiative. Ainsi, sénateurs et députés ont auditionné de très nombreux spécialistes entre fin mai et fin juin 2023 et leur rapport a été publié le 12 juillet.
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— OPECST (@OPECST_) July 11, 2023
Globalement les rapporteurs de l’Opecst, Jean-Luc Fugit (député), Stéphane Piednoir (sénateur), remettent un avis favorable au rapprochement des deux organismes. Leur première recommandation propose donc de « Regrouper les moyens humains et financiers actuellement alloués au contrôle, à l’expertise et à la recherche en sûreté nucléaire et en radioprotection, afin que ceux-ci relèvent à l’avenir d’une structure unique et indépendante ». Les deux élus proposent même un nom : AISNR pour Autorité indépendante en sûreté nucléaire et radioprotection.
Bouleversement du tissu nucléaire à venir
Au-delà du rapport, en propos liminaire de leur présentation à la presse, les deux rapporteurs ont tenu a rappelé que l’organisation actuelle de la sûreté n’a que 20 ans (création de l’IRSN en 2002 et de l’ASN en 2006) et qu’elle a accompagné un parc homogène en fonctionnement. Mais « il y a un bouleversement d’ampleur du paysage industriel qui se dessine. De nombreux défis se dressent : la poursuite de l’exploitation du parc existant, l’adaptation aux impacts du changement climatique, les EPR2, les SMR… ces projets ne sont pas seulement le fait d’EDF, il y a maintenant un tissu dense de startups. Demain, l’autorité de contrôle ne sera pas face à un exploitant, mais une multitude d’acteurs privés ». Aujourd’hui l’ASN rend 2 500 avis par an, dont une partie avec l’expertise de l’IRSN. « Demain ce sera 3 000 ou 4 000 », anticipe Stéphane Piednoir.
Les deux rapporteurs ont aussi voulu rappeler que ces deux entités ne sont pas en compétition malgré leur séparation. Ainsi, Ils rappellent que l’ASN est une autorité indépendante, là où l’IRSN dépend de cinq ministères de Tutelle. Ils écrivent dans le rapport : « l’arbre de la séparation institutionnelle ne doit pas cacher la forêt de la coopération au quotidien ». Ils écrivent encore : « Un regroupement des moyens humains et financiers actuellement alloués à la sûreté nucléaire et à la radioprotection doit permettre de mettre fin à une certaine ambivalence en la matière et de faire face aux nombreux défis qui s’annoncent ».
Huit propositions
L’OPECST a émis 8 propositions, déclinées en 17 recommandations opérationnelles. Pour ce qui est de ces premières, on retrouve :
- Clarifier l’organisation :« Un regroupement des moyens humains et financiers actuellement alloués à la sûreté nucléaire et à la radioprotection doit permettre de mettre fin à une certaine ambivalence en la matière et de faire face aux nombreux défis qui s’annoncent».
- Accroitre les moyens : « L’état des lieux effectué par les rapporteurs a mis en évidence le besoin d’augmenter les effectifs alloués aux activités de la sûreté nucléaire civile, tant en matière de sûreté et de radioprotection que de recherche».
- Préservation de l’indépendance de l’expertise : « L’indépendance de l’expertise en matière de sûreté nucléaire doit être préservée, quelle que soit l’organisation envisagée. À cet égard, il convient de maintenir une publication des rapports d’expertise, en particulier ceux sur lesquels s’appuient actuellement les décisions de l’ASN. De surcroît, il apparait nécessaire de rendre cette publication concomitante avec celle des décisions de l’Autorité indépendante de sûreté nucléaire ».
- Maintenir la sûreté à son haut niveau actuel : « La prévention des accidents nucléaires en France doit demeurer au niveau qui est le sien depuis quatre décennies. Toute réorganisation structurelle doit être préparée de façon à garantir le suivi ininterrompu des procédures ouvertes ainsi que la continuité des flux de traitement de l’information régulièrement recueillie auprès des opérateurs. La France a un niveau remarquable ».
- Unifier de la gestion de crise : « Clarifier la répartition des compétences en matière de gestion de crise entre l’ASN et l’IRSN, et étudier la mise en place d’un centre de crise commun entre les deux organismes ». Cette recommandation est en réalité reprise du 31 mai dernier de la commission des finances de l’Assemblée nationale sur l’évaluation du système dual.
- Renforcer la recherche : « La nouvelle entité devra inclure un département dédié à la recherche, capable de renforcer cette position de pôle d’excellence internationale dans le domaine de la recherche en sûreté nucléaire et radioprotection».
- Améliorer la transparence : « Il faudra, dans la future structure, garantir des modes d’information et d’association du public pour lui permettre de suivre les questions techniques les plus importantes tout au long de leur traitement». Cette préoccupation étant déjà poussée dans les deux entités, il s’agit de cumuler les moyens de l’ASN et l’IRSN.
- Renforcer le rôle du parlement : « Les rapporteurs recommandent que l’Office reçoive explicitement la mission de suivre de manière rapprochée les questions nucléaires, en particulier celles de la sûreté, de la radioprotection et de la réorganisation envisagée dans ce domaine ».
Une application dès 2024 ?
Ce rapport n’a pas de poids législatif. Pour l’heure, il doit être remis prochainement à la ministre de l’Énergie Agnès Pannier-Runacher. Cependant les rapporteurs préconisent que leurs recommandations soient mises en œuvre dès 2024 afin que l’éventuelle nouvelle entité dédiée aux enjeux de la sûreté et de la radioprotection soit opérationnelle dès 2025.
Pour mémoire, la Société française d’énergie nucléaire (Sfen), sans exprimer de recommandations, avait souhaité rappeler quatre grands principes liés au projet de fusion ASN/ARSN en février dernier. Premièrement, l’ASN assure le contrôle de la sûreté nucléaire et l’IRSN n’est pas son contre-pouvoir. Deuxièmement, la dualité expertise-décision est une modalité d’organisation plutôt qu’un principe absolu. Troisièmement, la R&D sur la sûreté nucléaire est le fruit de collaborations étroites. Dernièrement, il est légitime de s’interroger sur l’organisation au regard du programme à venir. ■