[Série d’été 8/9] L’énergie nucléaire dans la culture : Seul sur Mars (The Martian) - Sfen

[Série d’été 8/9] L’énergie nucléaire dans la culture : Seul sur Mars (The Martian)

Publié le 22 août 2024 - Mis à jour le 27 août 2024

Le nucléaire est une source d’inspiration majeure. Si l’aspect militaire a alimenté de nombreux films de science-fiction, de jeux vidéo, de Comics, le nucléaire civil a su bien souvent tirer son épingle du jeu, laissant une empreinte indélébile dans notre imaginaire collectif, que ce soit pour illustrer sa beauté ou ses promesses pour l’avenir. Cet été 2024, la RGN vous a sélectionné quelques exemples. Et aujourd’hui, penchons-nous sur le film « Seul sur Mars ».

Le film « Seul sur Mars » (« The Martian » en VO) est un film de science-fiction réalisé par Ridley Scott, le metteur en scène acclamé de Blade Runner et Alien. Le film a rencontré un vrai succès critique et commercial en 2015. Une scène est restée particulièrement gravée dans la mémoire des passionnés d’énergie nucléaire : celle où l’acteur Matt Damon déterre un RTG (générateur thermoélectrique à radioisotope) au Plutonium 238, lequel lui fournira l’énergie dont il a besoin pour survivre sur Mars. La scène est d’autant plus célèbre qu’elle est illustrée par la célèbre chanson « Hot Stuff » de Donna Summer.

Le film est adapté du premier roman de l’auteur américain Andy Weir, un informaticien dont le père est physicien des particules et la mère ingénieure en électricité. L’auteur a fait d’importantes recherches pour que l’action, située en 2035, s’appuie sur des données scientifiques aussi exactes que possibles et sur des technologies en déjà utilisées ou au stade des études à la Nasa. Ne trouvant pas d’éditeur, il a d’abord publié son livre à compte d’auteur en numérique en 2011 sur son site. Devant le succès, le livre a été édité sous format papier en 2014 et a été un best-seller.

Rappel : qu’est-ce qu’un RTG ?

Les générateurs isotopiques, utilisés déjà sur de très nombreuses missions spatiales, sont des objets très compacts qui permettent de produire de manière fiable et sur de longues périodes (jusqu’à plusieurs dizaines d’années) de la chaleur et/ou de l’électricité. Ils possèdent une densité de puissance élevée (5,1 We/kg) pour un cylindre d’environ 1 mètre de long par 40 cm de diamètre pour ceux qui ont équipé les sondes Galilée, Cassini, Ulysse et New-Horizons.  Les RHU (Radioistope Heater Units) sont destinés à maintenir au chaud des composants en les protégeant contre les températures extrêmement basses.  La structure des RTG (Radioisotope Thermal Generator) est similaire à celle des RHU, mais inclut un convertisseur thermoélectrique qui transforme la chaleur en électricité, ainsi qu’un radiateur passif à ailettes pour rayonner l’énergie thermique non convertie.

Les RHU et RTG ne sont pas des réacteurs nucléaires, en ce sens qu’ils n’entretiennent pas des réactions de fission nucléaire. La chaleur provient de la décroissance radioactive naturelle de noyaux lourds, généralement du plutonium 238 (238 Pu). Celui-ci est particulièrement intéressant, car il est très radioactif, ce qui favorise la puissance, et ses rayonnements alpha (faisceau de noyaux d’hélium) sont peu pénétrants, ce qui présente un grand bénéfice en matière de radioprotection. Le Plutonium 238 est utilisé sous forme de pastilles céramiques (oxide de Pu), lesquelles sont encapsulées dans de multiples couches de matières protectrices (iridium et graphite), et logées dans un boitier conçu pour garantir l’intégrité des capsules et la non dispersion du combustible en cas de réentrée accidentelle dans l’atmosphère en cas d’accident au lancement ou d’une rentrée dans l’atmosphère intempestive. Si elle est fracturée, cette céramique a tendance à se briser en de gros fragments qui présentent moins de risques.

Les RTG sont particulièrement indispensables là où le rayonnement du Soleil est trop faible pour l’utilisation de panneaux solaires. C’est le cas pour les sondes utilisées en exploration lointaine, la courbe d’ensoleillement allant décroissant à mesure que l’on s’éloigne du Soleil : les RTG ont ainsi équipé les deux sondes Voyager 1 et 2, mais aussi Galilée, Cassini, Ulysse et New Horizon. Les trois RTG qui équipent la sonde Voyager 1, laquelle a été lancée en 1977 et a quitté maintenant le système solaire, délivrent toujours, 45 ans après, près de 55 % de leur puissance initiale (la baisse de la puissance est due à la décroissance radioactive du Plutonium). Lors de la première mission où l’homme a posé les pieds sur la lune (Apollo 11, 1969), les astronautes ont emporté des RHU pour protéger les instruments de la nuit solaire (-175°C). Sur Mars, les RTG ont alimenté la sonde Viking en 1977, et font fonctionner aujourd’hui les rovers : Curiosity (2011) et Persévérance (2020).

Le RTG dans « Seul sur Mars »

En 2035, l’astronaute Mark Watney, incarné par Matt Damon, frappé lors d’une tempête martienne par une antenne, se retrouve laissé pour mort sur Mars, alors que l’équipage de la mission de la Nasa Ares III a dû évacuer la planète en urgence. Après son réveil, Mark Watney doit non seulement survivre sur cette planète déserte, mais aussi trouver un moyen de communiquer avec la Terre pour rentrer chez lui. Il doit utiliser toutes les ressources à sa disposition. Pour produire son électricité, il dispose de panneaux solaires, qu’il doit nettoyer régulièrement pour retirer la poussière. Il entreprend de rejoindre le site de la sonde robotisée Mars Pathfinder. Celle-ci, lancée en 1997, et était équipée émetteur-récepteur radio. Malheureusement, le site se situe à 800 kilomètres de la base de Mark.

Dans le roman, il est précisé que le rover dont dispose Mark est équipé d’une batterie de 9kWh et peut parcourir une distance de 35 km sur un terrain plat avec une charge complète. En emportant en plus la batterie d’un second rover, Mark peut doubler son autonomie. Pour recharger ses batteries, Mark devra emporter 28 panneaux solaires avec lui, pour environ 28m², empilés sur le toit. Mars étant très froide (la température peut chuter jusqu’à -140°C en hiver) la moitié de l’énergie des batteries est utilisée non pas pour avancer, mais pour chauffer le véhicule. L’autonomie du véhicule pourrait doubler si Mark trouvait une solution alternative pour se chauffer.

Il se trouve que Mark dispose d’un RTG. Ce RTG avait été envoyé sur Mars, en avance de la mission Ares III, avec le MAV (Mars Ascending Vehicle). Ce dernier doit bénéficier d’une source d’énergie extrêmement fiable, non sensible comme le sont les panneaux solaires. Quand les astronautes d’Ares III sont arrivés, ils ont enterré le RTG à plusieurs kilomètres de là, pour des raisons de radioprotection. Mark entreprend d’aller le déterrer le RTG, lequel contient, d’après le roman, 2.6kg de 238Pu, capable de produire 1 500W de chaleur, transformable en 100W d’électricité. Ce qui intéresse Mark n’est pas l’électricité, mais la chaleur. Avec une telle puissance thermique, Mark doit même retirer le matériel d’isolation de son rover.

Grâce à cette solution, Mark réussit à parcourir ses 800 kilomètres, à retrouver l’antenne, à la ramener sur son site d’habitation, à la réactiver et à établir le contact avec la Nasa.

Réalité scientifique

La réalité de ce film a été décortiquée par des armées d’experts et de passionnés sur Internet. D’une manière générale, les internautes estiment que la science et les calculs, en particulier sur cet épisode, sont très précis. Une critique généralement faite est que la présentation de la « dangerosité » du RTG est exagérée, certainement pour les besoins de l’histoire. Dans le roman, l’équipage d’Ares III a jugé bon d’enterrer le RTG quand il est arrivé sur Mars, alors qu’en pratique les hommes sont allés sur la lune avec des RTG sans aucun problème.

Quelques passages du livre sont particulièrement significatifs à cet égard : « Le RTG est une grosse boite de plutonium. Mais pas celui utilisé dans les bombes nucléaires. Non, non. Ce plutonium est bien plus dangereux ! Le plutonium 238 est un isotope incroyablement instable. Il est tellement radioactif qu’il deviendra rouge tout seul. Comme vous pouvez l’imaginer, un matériau qui peut littéralement faire frire un œuf sous l’effet des radiations est plutôt dangereux ». Les spécialistes rappellent que les RTG ne peuvent tuer personne avec des radiations. En effet, les particules alpha émises peuvent être arrêtées par une simple feuille de papier. Aussi, le plutonium est encapsulé dans de l’Iridium : ainsi « La seule façon dont le Plutonium 238 pourrait constituer un danger pour la santé humaine est si, après avoir coupé le récipient d’iridium en deux et extrait les pastilles de PuO2, ces pastilles étaient réduites en fine poussière et inhalées », précise l’ingénieur nucléaire Rod Adams[1] dans « Atomic Insights ».

Mais surtout les ingénieurs critiquent le dispositif en lui-même. Les rovers actuellement présents sur Mars, comme Curiosity ou Persévérance, sont alimentés directement par des RTG dès la conception, et ce sera surement le cas dans le futur pour les rovers transportant des humains. Aussi en 2035, Mark aurait surement eu sa source d’énergie directement sous la main. ■

Retrouvez tous les numéros de notre série « L’énergie nucléaire dans la culture »

1/9 – La série de jeux vidéo Fallout

2/9 – L’album photo The Nuclear Sublime

3/9 – Le jeu de société Power Grid

4/9 – Le personnage Dr Manhattan de Watchmen

5/9 – Le DeLorean de Retour vers le Futur

6/9 – Le jeu de société Nucleum

7/9 – Le super-héros de DC Captain Atom

8/9 – Le film Seul sur Mars (The Martian)

9/9 – La Fusée de Tintin dans Objectif Lune


[1] https://atomicinsights.com/martians-rtg-science-errors/

Par Valérie Faudon (Déléguée générale de la Sfen)
Image : Affiche du film The Martian, 2015.