[Série d’été 2/9] L’énergie nucléaire dans la culture : The nuclear sublime - Sfen

[Série d’été 2/9] L’énergie nucléaire dans la culture : The nuclear sublime

Publié le 7 août 2024 - Mis à jour le 27 août 2024

Le nucléaire est une source d’inspiration majeure. Si l’aspect militaire a alimenté de nombreux films de science-fiction, de jeux vidéo, de Comics, le nucléaire civil a su bien souvent tirer son épingle du jeu, laissant une empreinte indélébile dans notre imaginaire collectif, que ce soit pour illustrer sa beauté ou ses promesses pour l’avenir. Cet été 2024, la RGN vous a sélectionné quelques exemples. Aujourd’hui, penchons-nous sur la mise en scène du nucléaire par l’art photographique avec l’album « The Nuclear Sublime » de Michael Collins.

Michael Collins, photographe britannique reconnu, s’intéresse depuis longtemps à l’industrie. En 2022, il a été missionné par le rail britannique pour documenter et photographier les hangars ferroviaires. Son œuvre la plus récente, « The Nuclear Sublime », offre une exploration visuelle au cœur du paysage nucléaire passé, présent et futur du Royaume-Uni. Fruit de trois années de travail, cet album photo invite à porter un regard intime sur un monde inaccessible pour la plupart.

Un album photo nucléaire unique

« The Nuclear Sublime » est une collection de photographies présentant d’imposantes parties de centrales nucléaires britanniques, ainsi que des installations de R&D comme Iter. Michael Collins a bénéficié d’un accès sans précédent à ces sites, lui permettant de capturer des images à la fois vastes et détaillées. Les photographies dépeignent l’architecture monumentale et complexe des centrales nucléaires : de la salle des commandes, aux tours aéroréfrigérantes en passant par la salle des machines.

Le style photographique de Collins dans « The Nuclear Sublime » se caractérise par une attention méticuleuse aux détails tout en offrant une sensation de vertige devant la grandeur des infrastructures mises en scène. Le design austère et fonctionnel des centrales prend ici une dimension quasi sculpturale. Les photographies sont dépouillées de présence humaine. Ainsi, le spectateur, dont l’attention est alors fixée sur les infrastructures d’une technicité qui le dépasse, en vient à ressentir un sentiment d’isolement, d’inaccessibilité, voire de crainte. En un mot, il éprouve le (nuclear) sublime.

Mettre en scène le sublime

Le concept du sublime a une riche histoire intellectuelle, souvent associé à des sentiments de crainte et de terreur provoqués par des phénomènes vastes, puissants ou obscurs. Le philosophe Edmund Burke décrivait le sublime comme la capacité d’un objet (naturel) à évoquer chez son contemplateur un sentiment de beauté inépuisable et qui le déborde. Reconduit à sa finitude, le sujet en vient simultanément à éprouver un sentiment de peur ou de danger, associé à la grandeur qui rayonne de l’objet. Pour paraphraser une citation de Dale Chapman, aujourd’hui que la condition humaine a évincé la Nature, elle a du même coup donné lieu à une notion de sublime au sein de laquelle les êtres humains se retrouvent confrontés à leurs propres créations[1].

Le titre de Collins, « The Nuclear Sublime », s’inscrit directement dans cette tradition : la taille, la complexité, la longévité et la densité énergétique des centrales nucléaires nous renvoient systématiquement à notre petitesse. Ces structures sont impressionnantes par ce qu’elles concentrent les efforts intellectuels humains qui ont permis ces prouesses technologiques. On comprend mieux le geste de Collins de ne garder que l’infrastructure sans les techniciens ou les ingénieurs qui lui ont donné vie ou l’exploitent. En lui offrant esthétiquement cette autonomie, on est d’autant plus captivé par la beauté imposante du nucléaire.

Si certaines photos donnent l’impression d’un décor post-apocalyptique, rappelant l’ambivalence du sublime nucléaire qui oscille entre puissance créatrice (nucléaire civil) et destructrice (la bombe), Collins semble ici vouloir célébrer l’ingéniosité humaine au principe du sentiment de beau qu’éprouve le spectateur dans la contemplation de ce qu’elle a de plus grandiose et imposant à offrir aujourd’hui : ici, l’industrie nucléaire. ■

Retrouvez tous les numéros de notre série « L’énergie nucléaire dans la culture »

1/9 – La série de jeux vidéo Fallout

2/9 – L’album photo The Nuclear Sublime

3/9 – Le jeu de société Power Grid

4/9 – Le personnage Dr Manhattan de Watchmen

5/9 – Le DeLorean de Retour vers le Futur

6/9 – Le jeu de société Nucleum

7/9 – Le super-héros de DC Captain Atom

8/9 – Le film Seul sur Mars (The Martian)

9/9 – La Fusée de Tintin dans Objectif Lune

Par Ilyas Hanine (Sfen)

Photo :  The Nuclear Sublime – @RRB Photobooks

[1] de Mul, Jos. « Le sublime (bio)technologique », Diogène, vol. 233-234, no. 1-2, 2011, pp. 45-57.