Quel rôle jouera l’énergie nucléaire pour décarboner la région Île-de-France ? - Sfen

Quel rôle jouera l’énergie nucléaire pour décarboner la région Île-de-France ?

Publié le 11 mai 2021 - Mis à jour le 27 septembre 2021
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Dans un article publié dans la RGN[1] en 2020, la Sfen posait la question du rôle du nucléaire dans la future décarbonation des villes, lesquelles concentrent aujourd’hui 55 % de la population mondiale et environ 75 % des émissions directes de CO2 dans le monde.

La dernière Convention de la Sfen, l’« essor des territoires » a donné l’opportunité d’étudier le cas particulier de l’Île-de-France, grande agglomération qui, si elle ne représente que 2 % du territoire français, accueille aujourd’hui 1/5ème de la population du pays et représente quasiment un tiers du PIB. Hasard de calendrier, la discussion a pu s’appuyer sur une étude de prospective régionale de décarbonation 2050, réalisée par la R&D d’EDF avec différents partenaires, dont la Région.

Les analyses et les citations de cet article sont tirés de la Convention nationale de la Sfen Île-de-France qui s’est tenue le 29 mars 2021. La Sfen tient à remercier Mme Marie Lebec, députée de la 4ème circonscription des Yvelines, Mr Sébastien QUENET, directeur adjoint de la direction régionale d’EDF Île-de-France, Mme Aurélia MENAGER, responsable performance énergétique climat et écoconception à la RATP et Mr François TURBOULT, pilote du projet prospective énergétique régionale à la R&D d’EDF.

La région Île-de-France, grande consommatrice d’électricité, n’accueille pas de centrale nucléaire sur son territoire

Aujourd’hui, la région compte 12 millions d’habitants avec une croissance démographique importante. Le bassin d’emplois (6 millions de personnes) est le plus gros bassin d’emplois européen avec une population jeune, très qualifiée (quasiment un tiers de cadres, le double de la moyenne nationale). 90 % de la valeur ajoutée de la région se crée dans les secteurs des services ; Ceux de l’industrie ou de l’agriculture sont un peu en retrait au regard des autres régions.

En 2020, la région a consommé 65 TWh d’électricité. Sa consommation est amenée à croitre, selon l’étude EDF R&D, de l’ordre de 20 % d’ici 2050, afin de permettre, conjointement avec les efforts d’efficacité énergétique, de décarboner de nombreux usages aujourd’hui alimentés par des énergies fossiles (gaz, pétrole).

La région n’a produit que 5,4 TWh en 2020, soit 5 %[2] de sa consommation d’électricité, principalement avec des moyens thermiques. On peut noter que la région a contribué à décarboner le mix électrique national, aujourd’hui de moins de 50gCO2/kWh, par la fermeture de la centrale thermique au fioul lourd de Porcheville en 2017.

Comme indiqué sur la carte des flux 2020 de RTE, la centrale de Nogent-sur-Seine (Aube, région Grand Est), ainsi que celles du Centre-Val de Loire, des Hauts-de-France, et de Normandie contribuent majoritairement aujourd’hui à son approvisionnement en électricité. Le réseau de transport et de distribution a été historiquement construit pour acheminer l’électricité de ces lieux de production massive vers le lieu de consommation massive qu’est l’Île-de-France.

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Source : RTE, bilan électrique 2020

La région pourrait-elle atteindre 100 % d’électricité renouvelable sur son territoire ? EDF R&D a étudié les gisements d’électricité renouvelable en Ile-de-France en collaboration avec l’Université de Karlsruhe, spécialisée dans les énergies (via le European Institute for Energy Research (EIFER)). Le potentiel pour le photovoltaïque au sol, dans des zones où il n’y a pas d’usages actuellement, a été estimé de l’ordre de 2 GW, sans prendre en compte le coût du foncier qui pourrait être plus important que dans d’autres régions. En revanche, le potentiel le plus important est le photovoltaïque en toiture, en raison du nombre de bâtiments important, de l’ordre de 20 GW. L’ADEME et l’Institut Paris Région concluent également dans leurs propres études sur l’importance du potentiel de photovoltaïque en toiture. Sachant que la dynamique de développement du PV en toiture pourrait s’accélérer dans les prochaines années (il y a actuellement 100 MW en Ile de France), le potentiel estimé à l’horizon 2035 pourrait atteindre entre 3 et 4 GW de photovoltaïque sur toitures au réseau. Mais même dans cette hypothèse, la région reste importatrice à plus de 80 % de sa consommation électrique.

L’électricité bas carbone au service de la décarbonation en Île-de-France

Selon la députée des Yvelines Marie Lebec : « la politique que nous menons vise plus globalement une décarbonation de nos activités pour lutter contre le réchauffement climatique, que ce soit dans l’économie, le transport, les logements et tout ce qui nécessite de l’énergie. Il y a une nécessité à travailler sur la manière dont nous écartons les énergies fossiles au profit de l’électricité décarbonée ou de l’hydrogène qui peut être généré par électrolyse ».

Si on regarde la consommation d’énergie de l’Île-de-France dans sa totalité (au-delà de l’électricité), elle se répartit aujourd’hui à parts à peu près égales sur trois vecteurs que sont le pétrole, le gaz et l’électricité. Les émissions de CO2, 40 millions de tonnes de CO2 émises sur le territoire chaque année, sont par contre en grande majorité issues des deux premiers vecteurs fossiles.

L’étude réalisée par EDF R&D permet, comme on le verra, d’arriver à une baisse importante de la consommation énergétique à 2050 de l’ordre de 40 %, grâce à une adaptation massive des usages dans le transport et le bâtiment. L’étude anticipe qu’il restera des usages gaz à l’horizon 2050, et qu’il y aura une hausse de la consommation d’électricité, comme déjà mentionné, de l’ordre de 20 %. Cette adaptation massive des usages, notamment par une électrification importante, permet d’aboutir à une division au moins par 5 des émissions de CO2 sur l’ensemble des secteurs.

Si les secteurs des transports et du bâtiment, concentrent, comme au niveau national, l’essentiel de la consommation d’énergies fossiles et d’émissions de CO2, la région Île-de-France a deux grandes particularités : le niveau de développement de ses transports en commun et de ses réseaux de chaleurs.

La décarbonation du secteur des transports

Une des particularités de la région Île-de-France est que les transports en commun y sont largement présents. Plus d’un quart des kilomètres parcourus en région le sont via le train au sens large (RER, métro, etc.). Si au niveau national, 80 % des kilomètres sont parcourus avec des véhicules individuels, en Île-de-France ce taux est légérement supérieur à 50 %.

Ainsi, la RATP transporte 12 millions de personnes chaque jour avec 200 kilomètres de lignes de métro, 200 kilomètres de ligne RER, 369 gares et stations et 100 kilomètres de lignes de tramways. Pour ce faire, elle consomme 1,4 térawattheure d’électricité par an, ce qui en fait le premier consommateur d’électricité de la région. Ainsi, selon Mme Ménager : quand « vous parcourez un kilomètre en voiture, vous émettrez 213 grammes de CO2 et si vous faites la même distance en RER ou en métro, vous émettrez moins de 3 grammes de CO2 ».

Pour son réseau de bus, la RATP consomme aussi 85 millions de litres de gazole par an, ce qui représente 72 % de ses émissions de gaz à effet de serre. Son projet bus 2025 vise à convertir tous ses centres de bus, afin de disposer à terme une flotte de bus en Île-de-France exclusivement au bioGNV et à l’électrique. A terme, la moitié du parc de 700 bus doit passer à l’électrique, et « nous aurons une consommation de l’ordre de 175 GWh par an ».

Si la région bénéficie de son réseau de transport en commun, un tiers de ses émissions reste du fait des transports et dont les trois quarts sont émis par le secteur routier : les transports restent donc responsables d’une grande partie des émissions. L’étude prospective montre le grand potentiel que représentent, pour faire baisser les émissions de CO2, des comportements plus sobres en carbone comme le télétravail, le covoiturage, l’aménagement du territoire au sens large (densification de l’habitat), un usage accru du vélo, le report vers les transports en commun électrifiés. Ce potentiel, qui pourrait atteindre jusqu’à 40% de baisse des émissions de CO2 dans les transports en Île-de-France d’ici 2050, est une vraie spécificité de la région à cause de la densité de la population.

Concernant le potentiel de l’hydrogène bas carbone, la région est au stade de l’expérimentation. Ainsi la RATP en a déjà mené une première avec les bus à hydrogène en 2020. Elle vient d’en commencer une seconde avec un constructeur de bus à hydrogène en situation réelle d’exploitation. Au-delà des besoins de la RATP, la difficulté aujourd’hui sur l’hydrogène est bien celle des usages. La technologie est prête et les différents équipements permettent de produire de l’hydrogène à partir des énergies renouvelables ou de l’hydrogène bas carbone à partir de l’électricité du réseau. La question qui demeure est celle de la rationalité économique et de savoir si un passage à l’échelle permettra de diminuer suffisamment les coûts pour rendre cette énergie compétitive par rapport aux autres.

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La décarbonation du secteur du bâtiment

La seconde particularité de l’Île-de-France, par rapport aux autres régions, est la présence de réseaux de chaleur : elle compte plus de 100 réseaux de chaleur, 700 kilomètres de réseaux. Plus d’un million de personnes sont alimentées par des réseaux de chaleur en Île-de-France. Ces réseaux de chaleur se décarbonent actuellement : 13 térawattheures d’énergie renouvelable thermique produits en Île-de-France chaque année, alimentés par des filières de biomasse, d’ordures ménagères, et également par la géothermie profonde dont le potentiel est beaucoup plus important que dans les autres régions françaises (présence de nappes aquifères de l’Albien et du Dogger). 

En tout, 250 000 personnes en Île-de-France se chauffent actuellement à l’aide d’une énergie renouvelable. Les pompes à chaleur sont développées uniquement dans le secteur tertiaire mais produisent déjà plus d’un térawattheure, équivalent en énergie à la totalité des énergies renouvelables électriques de la région

Malgré ces progrès, les bâtiments résidentiels et tertiaires restent aujourd’hui responsables de près de la moitié des émissions de gaz à effet de serre de la région, principalement dans les zones proches, de petite et grande couronne, où la densité de population est importante.  Le chauffage et l’eau chaude sanitaire y sont majoritairement produits à partir des énergies fossiles qui sont fortement émettrices de gaz à effet de serre.  Pour la décarbonation de ce secteur on dispose de deux leviers. Le premier est celui de la réglementation énergétique sur les logements neufs, comme la RE 2020. Les simulations EDF montrent que si l’on prend un critère carbone comme le critère principal pour réaliser les opérations de rénovation ou dans le neuf, on peut arriver à une division par cinq des émissions de gaz à effet de serre à 2050 sur l’ensemble du secteur et diminuer de près d’un tier la consommation énergétique grâce à l’isolation et au recours aux pompes à chaleur.

Dans un tel scénario de décarbonation, les pompes à chaleur pour le chauffage pourraient représenter plus de 10 térawattheure d’énergie renouvelable thermique en 2050 contre environ un térawattheure d’aujourd’hui. Il s’agit d’une multiplication par 10 de la part renouvelable des pompes à chaleur. Pour aller encore plus loin dans la décarbonation, il est nécessaire de faire évoluer les pompes à chaleur collectives car il n’y a pas de solutions actuelles pour tous les types de logements existants. Avec les technologies actuelles, il restera du gaz dans les logements dans tous les scénarios étudiés à 2050 : la neutralité carbone reste très complexe à cet horizon et faudra utiliser tous les leviers disponibles.

[1] RGN janvier-février 2020 – Quel rôle pour le nucléaire dans la décarbonation des villes ? 

[2] bilan-electrique-2020.rte-france.com/explorer-une-region/#/11


Valérie Faudon (Sfen) – Crédits photo ©Shutterstock