Déroulement, perturbations, fact checking : la CNDP tire un bilan contrasté du débat public sur les EPR2 - Sfen

Déroulement, perturbations, fact checking : la CNDP tire un bilan contrasté du débat public sur les EPR2

Publié le 2 mai 2023 - Mis à jour le 3 mai 2023

Dans le cadre du projet de construction de six réacteurs EPR2 en France, dont une première paire d’EPR2 à Penly, la Commission nationale du débat public a publié son compte-rendu qui doit alimenter les travaux à venir des parlementaires. Les organisateurs soulignent que les travaux ont pu être menés jusqu’au bout, malgré des éléments perturbateurs comme des publics « opposés au débat » ou l’examen en parallèle de la loi d’accélération du nucléaire par le Sénat.

Suite à la série d’échanges qui s’est déroulée du 27 octobre 2022 au 27 février 2023, la Commission nationale du débat public (CNDP) a rendu son avis sur le programme de construction de 6 EPR2 et, en particulier, une première paire de réacteurs sur le site de Penly (Seine-Maritime).

Alors que le débat, organisé par la CNDP, a été lancé sous la présidence Chantal Jouanno (et coordonné par Michel Badré), c’est la Présidente par Intérim Ilaria Casillo qui tire les grandes conclusions de l’exercice. « Ce que nous pouvons affirmer à ce stade, c’est que le public a répondu présent, la mobilisation a été au rendez-vous, les conditions des échanges ont été innovantes, inclusives et ouvertes. Le public a pu être informé et donner son avis. Les parties prenantes les plus opposées se sont non seulement parlé, mais ont aussi travaillé ensemble, dans le cadre de la clarification des controverses d’abord, et du débat ensuite. Le débat public s’est tenu et a tenu. Cela est la première des réussites ».

Et pourtant, il y a eu des craintes sur l’aboutissement de ces travaux. À deux reprises, à Lille le 26 janvier et à Lyon le 2 février, des manifestants, non revendiqués pour la première et affiliés à des associations antinucléaires pour la seconde, ont empêché la tenue des échanges. Paradoxalement ceux-ci se plaignaient du manque de débat. La Déléguée générale de la Sfen Valérie Faudon, qui est intervenue à de multiples reprises dans le travail de la CNDP, explique que : « le programme nucléaire s’est toujours inscrit dans l’exercice démocratique français, et qu’il a accompagné toutes les étapes du développement de la démocratie participative en France dans les débats ».

La CNDP dénonce des « éléments perturbateurs »

Lors d’une présentation en visioconférence des résultats par Michel Badré le jeudi 27 avril, il est expliqué qu’un autre « élément perturbateur » (SIC) a affecté les travaux de la CNDP, à savoir le vote par le Sénat de la loi d’accélération. En effet, la Chambre haute a voté le texte qui permet de simplifier l’installation de nouveaux réacteurs en France en janvier 2023. Même si le texte n’avait pas vocation à définir la politique énergétique française, les Sénateurs ont décidé d’abolir à la fois le maximum de puissance nucléaire installé en France (63,2 GW) et le plafond de 50 % dans le mix électrique.

Dans son compte-rendu, la CNDP juge que ce vote des Parlementaires est à l’origine de « la rupture de confiance dans l’utilité même du débat qui était mise en cause par ce calendrier imprévu » (page 3). Plus, elle ajoute même que la CNDP « regrette que le scepticisme manifesté par beaucoup depuis le début du débat (sur le fait que les décisions nucléaires ne prennent pas en compte l’avis du public, ndr), à l’encontre du point de vue exprimé par la Commission particulière elle-même, y trouve ainsi une confirmation aussi claire » (page 10).

L’enjeu du ‘fact-checking’

Tout au long du débat, de nombreux participants favorables à l’énergie nucléaire (dont la Société française d’énergie nucléaire) ont demandé la mise en place d’un outil de ‘fact-checking’ lors des échanges pour différencier les faits avérés, les opinions et les erreurs réelles. La Commission assure avoir entendu la demande, mais la relativise : « le consensus sur l’existence de lois déterministes à l’origine d’un phénomène physique n’entraîne pas pour autant la prévisibilité factuelle des évolutions à venir » (page 71). Elle ajoute : « tout ne se réduit pas sur de telles questions à une séparation simple entre des faits, supposés par nature indiscutables, et des opinions, qui seraient par définition contestables ».

Cependant elle relativise un peu : « L’équipe du débat est évidemment en accord avec l’idée selon laquelle des affirmations erronées doivent être corrigées (mais) il lui semblait impossible de la mener instantanément en séance, face à des questions qui demandent une vérification solide pour ne pas répondre à une contre-vérité par une autre » (page 71). Elle ajoute : « Le travail sur les réponses à apporter à cette demande du public devra en tout cas se poursuivre, pour aboutir à un processus de vérification fiable » (page 72).

Des recommandations

En fin de compte-rendu, la CNDP émet une série de 33 recommandations (page 75). Alors que l’interlocuteur de la CNDP est le porteur du projet, à savoir EDF, la Commission adresse aussi des demandes au gouvernement. La CNDP demande des précisions sur « l’opportunité du programme de nouveaux réacteurs », « des clarifications sur le programme de six nouveaux réacteurs », « la conduite et la réalisation des chantiers » et « l’information et la participation du public ».

Suite à la publication de ce compte-rendu, EDF a désormais trois mois pour répondre aux questions issues du débat et confirmer sa décision de poursuivre le projet. Les travaux de la CNDP devront alimenter les échanges des parlementaires sur la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) prévue pour début 2024. Il est à noter que le débat public n’est pas terminé, d’autres concertations auront lieu localement avec le public tout au long du processus engagé. ■

Par Ludovic Dupin (Sfen)

Photo : Lors de la conférence à Lyon en février 2023, des opposants au nucléaire ont empêché la tenue du débat public. ©Nicolas Liponne/HansLucas/Hans Lucas via AFP