La région côtière de Fukushima : transformation et résilience
Depuis l’accident nucléaire de mars 2011, la région de Fukushima a fait peau neuve et souhaite bien le montrer au monde entier. Bien que le Premier ministre Shinzô Abe ait annoncé le report des Jeux olympiques de Tokyo, également appelés Jeux de la reconstruction, à l’été 2021 en raison de la pandémie de Covid-19, la région est d’ores et déjà prête à dévoiler ses atouts. Début 2020, de nombreux centres de recherche ont ouvert dans la région côtière de Fukushima, Hamadôri, afin de dynamiser l’économie et l’attractivité de la région.
Dès février 2012, soit quelques mois après la triple catastrophe (séisme, tsunami, accident nucléaire) de mars 2011, un important programme de reconstruction a été mis en place par le gouvernement japonais avec la création de l’Agence de la reconstruction (Fukkô-chô). Outre les efforts de décontamination, préalables à toute reconstruction, réalisés dans 51 municipalités sur une superficie de 8 953 km2, l’agriculture, l’industrie et la recherche ont bénéficié d’un soutien important, réintégrant peu à peu la préfecture de Fukushima, socialement et économiquement, à l’archipel nippon. Ainsi, alors que des campagnes de promotion ont soutenu et soutiennent encore les agriculteurs, de nombreux centres de recherche ont ouvert en ce début d’année 2020 sur la « côte de l’innovation », le nom du programme visant l’établissement de structures industrielles dans la région orientale de Fukushima, Hamadôri.
La radioactivité en forte baisse
Les opérations de décontamination menées au lendemain de la catastrophe ont été jugées efficaces en particulier pour les exploitations agricoles situées sur les bassins-versants [1]. Néanmoins la radioactivité reste à surveiller, en particulier sur les territoires situés en contrebas des forêts qui constituent des réserves de radioactivité.
Selon l’Autorité de régulation nucléaire japonaise (NRA), la radioactivité moyenne dans un périmètre de 80 kilomètres autour de la centrale de Fukushima Daiichi a baissé de 77 % entre 2011 et 2018. Cette diminution est notamment due à la décroissance physique des deux césiums, césium-134 et césium-137, dont la demi-vie est respectivement de 2,1 ans et de 30,1 ans, précise l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN). Aujourd’hui, la région affiche des taux de radioactivité équivalents à ceux des grandes capitales mondiales : 0,06 μSv/h à Minami-sôma, 0,07 μSv/h à Kôriyama et 0,12 μSv/h à Fukushima (à titre de comparaison, on relève des taux de 0,05 μSv/h à Taipei, 0,11 μSv/h à Séoul et 0,10 μSv/h à Londres) [2]. Cette baisse a permis peu à peu le rétrécissement de la zone d’exclusion et la reprise des activités agricoles.
Une renaissance agricole en marche
L’accident nucléaire a fortement pénalisé la région agricole de Fukushima, et ce, même depuis l’absence constatée de danger radioactif. Les agriculteurs et leurs produits ont en effet souffert d’une mauvaise réputation malgré la transparence des résultats et la rigueur des contrôles sanitaires. « Bien que les contrôles assuraient que le riz était consommable en toute sécurité, je n’avais presque aucun client », résumait déjà en 2015 Miura Hiroshi, un riziculteur de la région côtière de Fukushima. Cette même année, parmi les 9 774 échantillons de produits agricoles testés dans la préfecture, seulement quatre échantillons issus de productions agricoles (non sauvages) dépassaient la limite de 100 bq/kilo, deux de soja et deux de riz brun [3]. Des résultats qui restent similaires lorsqu’on y ajoute l’ensemble de l’agroalimentaire (pêche, élevage, lait etc.), pour un total de quatre échantillons dépassant les 100 bq/ kilo sur 39 969 testés.
Aujourd’hui, mis à part les baies sauvages, le gibier, les champignons sauvages, l’inquiétude sanitaire est écartée. Au mois de mars 2020, le bilan des contrôles de plusieurs préfectures (Fukushima, Iwate, Tokyo, Ôsaka) ont rapporté un seul échantillon sur un total de 2014 (un faisan scintillant) à Iwate dont les césiums dépassaient 100 bq/kilo.
Pour reconstruire leur image auprès du public, de nombreux agriculteurs de la région se sont réunis dans diverses associations afin d’informer les citoyens sur leur mode de production et de contrôle mais aussi pour vendre leurs produits dans des circuits de plus en plus courts pour des échanges de plus en plus humains. C’est par exemple la démarche de Noboru Saito, président de Satoyama Garden Farm Nihonmatsu, dans la région centrale de Fukushima (Nakadôri). Des visites sont organisées afin d’informer sur la radioactivité, les méthodes de décontamination qui ont été utilisées et leurs résultats. Ils sont également soutenus par les autorités avec par exemple le programme « Fukushima Pride » qui fait la promotion des produits de la région à la télévision et sur internet. La situation semble enfin s’améliorer pour les agriculteurs : depuis 2017, les exportations à l’international des produits agricoles de Fukushima sont en forte augmentation. Selon la préfecture, elles étaient de l’ordre de 150 tonnes en 2010, de moins de 25 tonnes en 2014 pour dépasser les 200 tonnes en 2018, bien que les prix soient en dessous du niveau de 2011. Malgré ces efforts de transparence et de pédagogie, la méfiance perdure : « neuf ans après la catastrophe, nous restons victimes de ces rumeurs », déplore Yasunori Oshima, un haut fonctionnaire de la préfecture de Fukushima. « Pour nous, c’est un quatrième drame qui vient s’ajouter au tremblement de terre, au tsunami et à l’accident nucléaire [4] ».
Un important soutien industriel
Les pouvoirs publics japonais ont soutenu le tissu industriel local avec le plan « côte de l’innovation » dans quatre secteurs : le démantèlement, la robotique, l’agriculture et l’énergie conçue en lien étroit avec la notion d’économie circulaire. Dans le domaine du démantèlement, cinq structures majeures ont vu le jour, dont le Centre de recherche collaborative sur le démantèlement (CLADS) de l’Agence de l’énergie atomique japonaise [5] (JAEA) et le Centre de surveillance de la radioactivité sous gouvernance de la préfecture de Fukushima.
S’agissant de la robotique, un immense centre de recherche a ouvert en 2018 à Minami-Sôma, à quelques kilomètres au nord de la centrale accidentée. Le centre comprend de nombreux équipements dont une piste d’atterrissage pour tester des drones et une zone aquatique pour expérimenter de nouveaux moyens de sauvetage. La ville souhaite devenir « la ville de l’innovation robotique », comme l’affiche la mairie avec le programme Minami-Sôma 5.0 présenté le 30 mars 2020. « Les robots ne sont pas que des outils, ils sont un espoir de reconstruction » a déclaré le maire de la ville. Dans les domaines de l’agriculture et de la pêche, en plus des initiatives soutenues par le gouvernement local, plusieurs centres ont ouvert en 2019 dont le Centre de recherche sur la restauration de l’agriculture côtière et le Centre de recherche préfectoral des produits de la pêche.
Dans le domaine de l’énergie enfin, un consortium composé de Toshiba, Nedo, Iwatani et Tôhoku Electric Power Company a construit une centrale à hydrogène au Centre de recherche sur l’hydrogène de Fukushima (FH2R), inaugurée le 7 mars 2020. L’installation, qui s’étend sur 180 000 m2, vise une production d’hydrogène « vert » par électrolyse de l’eau à l’aide de l’électricité produite par un parc solaire d’une capacité de 20 MW. Une centrale combinée gaz/charbon (625 g eq/CO2) d’une puissance de 540 MW est également en construction à Hirono, à côté du village olympique, sa mise en service étant prévue pour 2021. Les renouvelables ne se substituant pas aux moyens de production pilotables, le Japon, qui peine àredémarrer son parc nucléaire, s’est tourné vers une production d’électricité certes pilotable mais fossile (représentant une part de 80,9 % en 2017 contre 65,4 % en 2010).
Infrastructures et jeux olympiques
Les travaux de reconstruction des infrastructures notamment les routes, sont terminés à 95 %. Le 17 janvier 2020, le Quartier général d’urgence nucléaire (Nuclear’s Emergency Response Headquarters) du bureau du Premier ministre a partiellement levé l’évacuation dans les villes de Futaba, Ôkuma et Tomioka de la préfecture de Fukushima. Mise en oeuvre début mars, cette décision a permis la réouverture totale de la ligne de train JR East Joban qui dessert notamment le futur village olympique. « Le 14 mars 2020, pour la première fois depuis l’accident nucléaire de Fukushima, les gares de Tomioka, Yonomori, Ôno, Futaba et Namie étaient connectées par 20 kilomètres de voies ferrées » a détaillé Takahashi Akio, président du Forum atomique industriel japonais (JAIF). « Or a-t-il précisé, selon une enquête menée par l’Agence de reconstruction et les pouvoirs locaux, l’importance de la reconstruction des infrastructures de transport, des commerces et de centres médicaux est absolument décisive pour rendre possible le retour des populations évacuées ».
La consécration de cette renaissance et de cette connexion retrouvée sera symbolisée par le départ de la flamme depuis le village olympique situé à une vingtaine de kilomètres au sud de Fukushima Daiichi.
Olivier Evrard et al., ≪ Effectiveness of landscape decontamination following the Fukushima nuclear accident: a review ≫, 2019.
Données de la préfecture de Fukushima.
≪ Sum up of radionuclide test results reported in FY2015 ≫, chiffres du ministère de la Santé, du Travail et des Affaires sociales japonais (2016).
Yann Rousseau, Les Échos, janvier 2020.
L’équivalent japonais du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives.