Refus de prolonger les centrales nucléaires allemandes : l’examen gouvernemental est contesté
Malgré les besoins d’indépendance énergétiques au niveau européen vis-à-vis du gaz russe, le gouvernement allemand réaffirme sa volonté de fermer ses trois derniers réacteurs fin 2022. Il invoque des raisons réglementaires, technologiques et pratiques, qui apparaissent relativement contestables.
En pleine crise du gaz russe, la question de prolonger les réacteurs nucléaires allemands, censés être mis à l’arrêt fin 2022, se pose. Le ministre vert de l’économie allemande Robert Habeck, interrogé le 27 février sur le calendrier de sortie du nucléaire lors d’une session parlementaire extraordinaire, avait répondu : « Répondre à cette question fait partie des tâches de mon ministère. Je ne la rejetterais pas pour des raisons idéologiques ». Pourtant, à peine quelques jours après, le 8 mars, Steffi Lemke (photo), ministre de l’Environnement (BMUV), et Robert Habeck, ministre de l’Économie (BMWI), tous deux membres du parti vert Die Grünen, publiaient une « note d’examen » commune opposée à toute revue du calendrier.
Elle comporte un certain nombre d’arguments réglementaires ou techniques. Ces éléments n’ont visiblement fait l’objet d’aucune vérification auprès des spécialistes ou des parties prenantes, que ce soient les organismes de sûreté ou les industriels et ils apparaissent comme discutables. L’association nucléaire allemande, KernD (Kerntechnik Deutschland e.V.) a publié[1] le 15 mars un commentaire détaillé qui remet en cause un certain nombre de conclusions des ministères.
Sur l’intérêt de prolonger les réacteurs au-delà du 1er janvier 2023
Aujourd’hui, trois réacteurs nucléaires sont en exploitation, officiellement jusqu’au 31 décembre 2022, d’une capacité totale de 4GW : Emsland (Konvoi PWR, 1 300 MW, RWE, 1988 soit 34 ans), Neckarwestheim-2 (Konvoi PWR, 1 300 MW, EnBW, 1989 soit 33 ans) et Isar-2 (Konvoi PWR, 1 400 MW, E.on, 1988 soit 34 ans). Trois autres réacteurs nucléaires viennent d’être mis à l’arrêt le 31 décembre 2021, là encore d’une puissance totale de 4 GW : Gundremmingen (1 300 MW), Grohnde (1 300 MW) et Brokdorf (1 400 MW).
Leur puissance cumulée, 8 GW, est modeste comparée aux 64 GW d’éolien, 60 GW de solaire, 30 GW de gaz ou 40 GW de charbon. Pourtant, en 2021, ces six réacteurs nucléaires ont produit près de 70 TWh d’électricité, soit 12 % de la production brute d’électricité allemande. À la fois bas carbone et pilotables, ils peuvent jouer à certains moments un rôle clef dans la sécurité d’approvisionnement allemande. Ainsi le 15 mars 2022, à 17 heures, jour particulièrement peu venté et peu ensoleillé, les 4 GW de nucléaire restant en Allemagne produisaient plus que les 120 GW de solaire et d’éolien[2]. Le mix électrique, quant à lui, était dominé par le charbon et le gaz.
Sur d’éventuelles difficultés réglementaires
Le gouvernement fédéral soutient qu’une nouvelle autorisation d’exploitation des réacteurs serait nécessaire. Il ajoute que cette nouvelle autorisation devrait se faire à une norme de sûreté « EPR ». La KernD dément ces deux analyses juridiques. En Allemagne[3], les autorisations d’exploitation sont données sans limitation de temps et sont valables légalement tant qu’une autorisation de démanteler n’a pas été émise.
En revanche, depuis la loi atomique de 2002 relative à l’abandon progressif du nucléaire, chaque exploitant s’est vu assigner une certaine quantité d’électricité limite à produire dans le temps. En 2010, ces quantités avaient été augmentées, pour être revues à la baisse en 2011 après l’accident de Fukushima. C’est au même moment qu’un amendement avait ajouté la date limite du 31 décembre 2022 pour l’exploitation. Aussi, pour exploiter les centrales au-delà de 2022, le Bundestag devrait donc simplement modifier, avec une majorité parlementaire, l’article 7 de la loi sur l’énergie atomique à la fois sur la date limite et les quantités d’électricité.
Concernant les normes de sûreté, l’Allemagne n’a pas à ce jour de norme dite « EPR ». Les derniers réacteurs allemands, qui ont entre 33 et 34 ans, sont soumis à une réglementation dite « SiAnf ». C’est-à-dire « l’exigence de prévention des dommages selon l’état de la science et de la technique » que ce soit pour les modifications des installations ou le contrôle périodique de sûreté. Cette réglementation a été actualisée en 2015.
Sur d’éventuelles difficultés pratiques
La note gouvernementale soulève un certain nombre d’impossibilités pratiques. Selon la KernD, ces dernières sont loin d’être insurmontables.
Selon le gouvernement, les trois réacteurs encore en activité aujourd’hui ne disposeraient pas de suffisamment de combustible après le 31 décembre 2022, ce qui ne permettrait « aucune production supplémentaire d’électricité » pour l’hiver prochain. Selon la KernD, les centrales nucléaires seraient en mesure de produire pendant quelques mois supplémentaires de deux manières. Les réacteurs pourraient économiser du combustible cet été en réduisant leur puissance dans les périodes de fortes productions solaires et éoliennes. De plus, les réacteurs pourraient utiliser le combustible actuel au-delà du cycle prévu, voire se faire livrer dans l’urgence quelques éléments de combustible. L’industrie nucléaire européenne s’est engagée à prioriser ses livraisons de combustible pour soutenir la filière allemande. Les quantités de combustibles importantes ne seraient pas nécessaires avant l’été 2023, ce qui constitue un délai suffisant pour un approvisionnement normal. Une disponibilité des centrales allemandes pendant l’hiver 2023 permettrait d’économiser du gaz aux moments de faibles productions d’électricité d’origine éolienne et solaire, périodes où les centrales à gaz sont les plus sollicitées.
Sur la question des pièces détachées, plusieurs centrales construites par l’ancienne Krafwerk Union (KWU) et de technologie proche sont actuellement en exploitation dans le monde : Angra 2 (Brésil), Trillo (Espagne), Gösgen (Suisse) et Borssele (Pays-Bas). Des stocks de pièces de rechange existent et des solutions sont disponibles industriellement.
Sur la question du personnel et des équipes d’exploitation, la KernD indique qu’à court et moyen terme, les exploitants peuvent couvrir les besoins et peuvent reconvertir du personnel d’autres centrales nucléaires dans un délai d’un an. Des personnels compétents existent aussi à l’étranger. Pour la poursuite d’exploitation à plus long terme, qui n’est pas à l’ordre du jour actuellement, une formation spécialisée de plusieurs années serait alors nécessaire.
Sur la question de la sûreté des installations
Selon les ministères, les installations actuellement en service n’ont pas fait l’objet du réexamen décennal de sûreté normalement prévu en 2019 et ont fait l’objet d’une dérogation en raison de leur situation de fin d’exploitation. Des déficits de sûreté ne peuvent donc être exclus au regard de la SiAnf de 2015, et des besoins d’investissements sont sûrement nécessaires.
Pour la KernD, plusieurs réacteurs, dont deux des réacteurs arrêtés en décembre dernier, avaient passé avec succès ces contrôles, ce qui laisse penser qu’il n’y a pas a priori de problème générique. Elle fait aussi valoir que les réacteurs ont fait l’objet de stress tests après l’accident de Fukushima. À cette occasion, il a été demandé de déployer des équipements supplémentaires. Précisions que les Konvoi sont des réacteurs particulièrement bien conçus, dont la redondance et la diversité des systèmes de sûreté sont très importantes et bénéficient d’une excellente notoriété sur le plan international.
La KernD conclut son analyse en rappelant que les centrales nucléaires peuvent « apporter une contribution décisive à la sécurité énergétique sans générer de dépenses disproportionnées ». ■