Gaz russe : l’Allemagne remet en question la fermeture de ses centrales nucléaires
Suite à l’offensive russe en Ukraine, le ministre allemand de l’Économie et du Climat, Robert Habeck a déclaré que l’Allemagne étudiait la possibilité de prolonger l’exploitation des trois dernières centrales nucléaires afin de sécuriser l’approvisionnement énergétique du pays.[1]
Alors que la part du gaz russe représente plus de 40 % du gaz importé de l’Union européenne, certains pays questionnent leur politique énergétique. C’est notamment le cas de l’Allemagne dont 66 % du gaz, composant 26 % du mix énergétique, est importé de Russie. Au-delà du gaz l’Europe est dépendante de la Russie pour son approvisionnement en charbon (46 %, 2019[2]) et en pétrole brut (27 %, 2019[3]).
Concernant la seule production d’électricité, le gaz représente en Allemagne une part de 15 %[4] et le charbon près de 30 %. Malgré sa forte dépendance énergétique, la République fédérale a fermé trois réacteurs nucléaires fin 2021 et le calendrier de sortie du nucléaire prévoit la fermeture des trois derniers réacteurs en exploitation fin 2022. En 2021, le parc nucléaire allemand avec seulement 3,6 % de la puissance installée a représenté 12 % de la production électrique.
Le conflit en Ukraine rappelle à toute l’Europe sa dépendance énergétique en particulier de la Russie avec laquelle les rivalités de pouvoir ont atteint un point critique. Dans ce contexte, la politique énergétique allemande interroge. Le 23 janvier 2022[5], le chancelier Olaf Scholz appelait encore à la prudence concernant de possibles sanctions : « nous devons tenir compte des conséquences que cela aura pour nous ». Le 22 février, l’Allemagne a finalement décidé de ne pas mettre en service Nord Stream II, un gazoduc directement connecté à la Russie.
Un prolongement à l’étude, annonce le ministre de l’Économie et du Climat
Les questions de dépendance, mais également de sécurité d’approvisionnement s’imposent. Interrogé sur le calendrier de sortie du nucléaire lors d’une session parlementaire extraordinaire, le ministre vert Robert Habeck a répondu : « Répondre à cette question fait partie des tâches de mon ministère. Je ne la rejetterais pas pour des raisons idéologiques ». Le Grünen a ensuite ajouté : « l’examen préliminaire a montré qu’un prolongement ne nous aiderait pas ».
Les industriels allemands en attente d’une décision claire
Du côté des industriels allemands, une position claire du gouvernement est attendue. « Nous nous préparons depuis des années, tant sur le plan technique qu’organisationnel, à l’arrêt et au démantèlement de nos centrales nucléaires », a déclaré un porte-parole d’Eon, exploitant de la centrale nucléaire d’Isar. Néanmoins, « dans cette situation exceptionnelle, nous [Eon, ndlr] sommes prêts à discuter des conditions techniques, organisationnelles et réglementaires dans lesquelles il serait possible de prolonger l’exploitation d’Isar 2, si le gouvernement fédéral le souhaite expressément ».
Pour EnBW, exploitant de la centrale de Neckarwestheim interviewé par Handelsblatt : « Avec l’Energiewende, l’Allemagne suit une voie claire, décrite pour l’essentiel par l’abandon du nucléaire et de la production d’électricité à partir de charbon ainsi que par le développement des énergies renouvelables. C’est l’objectif que poursuit EnBW […], si la guerre en Ukraine rendait nécessaire et indispensable [la prolongation, ndlr] pour assurer la sécurité de l’approvisionnement, EnBW contribuerait à explorer toutes les possibilités de manière ouverte sur le plan technologique ».
Quant au troisième exploitant, RWE, celui-ci a mis en avant plusieurs difficultés, réglementaires et techniques : « Le réacteur en exploitation à Emsland aura son combustible épuisé à la fin de l’année », tout en déclarant « comprendre que le gouvernement fédéral examine toutes les options d’approvisionnement dans cette situation grave ».
La filière française prête à se mobiliser
« Les approvisionnements en combustible nucléaire n’ont pas encore été sécurisés », a déclaré le ministre allemand plutôt en défaveur de la prolongation des trois unités. Le 28 février, Philippe Knoche, directeur général d’Orano, a déclaré sur le plateau de BFM TV : « si les allemands sont prêts à faire marche arrière je suis prêt à travailler nuit et jour pour faire en sorte que les trois centrales qui doivent s’arrêter puisse continuer à opérer ». Le combustible des unités en exploitation est par ailleurs fourni par Framatome qui possède une usine de fabrication d’assemblages en Allemagne à Lingen, mais aussi en France et aux États-Unis.
.@PhilippeKnoche @Oranogroup si l’Allemagne et les exploitants le souhaitent on saura trouver des solutions (équipes, combustible) pour que leurs centrales nucléaires puissent continuer à opérer. « Je suis prêt à travailler jour et nuit pour les aider » pic.twitter.com/dC6vwKnll3
— Valerie Faudon (@ValerieFaudon) February 28, 2022
[1] https://www.touteleurope.eu/economie-et-social/cartes-quels-pays-europeens-dependent-le-plus-du-gaz-russe/
[2] https://ec.europa.eu/eurostat/cache/infographs/energy/bloc-2c.html#carouselControls?lang=en
[3] Ibid.
[4] https://ag-energiebilanzen.de/wp-content/uploads/2021/02/Strommix-Dezember2021.pdf
[5] https://www.reuters.com/world/germany-urges-prudence-potential-sanctions-against-russia-over-ukraine-2022-01-23/