Plutonium 227 : un nouvel isotope découvert expérimentalement - Sfen

Plutonium 227 : un nouvel isotope découvert expérimentalement

Publié le 26 novembre 2024

Une équipe de chercheurs chinois en physique nucléaire a synthétisé un nouvel isotope du plutonium, le Pu227. Cette découverte apporte de nouvelles données essentielles pour approfondir notre compréhension de la stabilité des noyaux atomiques.

En physique nucléaire, les chercheurs explorent la matière afin de repousser les limites de notre compréhension des lois fondamentales qui régissent l’Univers. Par ailleurs, la découverte de nouveaux isotopes permet d’approfondir les connaissances sur la structure des atomes et les propriétés des éléments lourds, tels que le plutonium. Le 3 octobre 2024, des chercheurs de l’Institut de physique moderne (IMP) de l’Académie chinoise des sciences (CAS) ont publié une étude détaillant leur découverte d’un nouvel isotope du plutonium, le plutonium 227. Jusqu’ici, c’est le 39ème nouvel isotope découvert par l’institut et le premier isotope du plutonium synthétisé par l’équipe de scientifiques chinois.

D’abord, un peu de physique nucléaire

Rappelons que le noyau d’un atome est constitué d’un amalgame de particules appelées nucléons, qui est constitué de deux particules élémentaires : le proton, de charge électrique positive et le neutron qui ne porte aucune charge électrique. De ce fait la charge électrique globale d’un noyau atomique est toujours positive.

Le nombre de protons d’un noyau, noté ici Z, caractérise un élément chimique, et c’est pourquoi il est appelé aussi numéro atomique. En effet, dans un atome, le nombre d’électrons (de charge négative) qui gravitent autour du noyau est toujours égal à Z de façon à ce que l’atome dans son ensemble soit électriquement neutre. Or, on sait que les propriétés chimiques d’un atome dépendent uniquement de ce cortège d’électrons répartis en différentes couches, à la manière des orbites des différentes planètes qui tournent autour d’une étoile. Plus exactement, elles dépendent essentiellement  du nombre d’électrons situés dans la couche externe d’électrons.

Le nombre de neutrons contenus dans le noyau d’un élément chimique donné, que l’on notera ici N, est variable. Pour les premiers éléments de la liste, il est généralement égal au nombre de protons (sauf pour le premier d’entre eux, l’hydrogène, Z=1, qui n’a aucun neutron dans son noyau), puis, au fur et à mesure que l’on s’avance dans la liste (Z croissant), les neutrons deviennent plus nombreux que les protons (voir figure à la fin).

Il existe donc pour chaque élément (Z donné) des variétés de noyaux ayant un nombre de neutrons différent : on les appelle des isotopes. Ce sont en quelque sorte les frères et sœurs d’une même famille. Ces isotopes ont des propriétés chimiques identiques, mais ils ont presque toujours des propriétés nucléaires extrêmement différentes. Pour filer la métaphore, des frères et sœurs peuvent se ressembler physiquement, mais avoir des caractères très contrastés !

Il existe deux grandes catégories de noyaux atomiques, appelés aussi nucléides : ceux qui sont stables, c’est-à-dire dont la durée de vie est éternelle et ceux qui au contraire finissent toujours par disparaître à la suite d’une transformation spontanée appelée « désintégration radioactive ». Ce phénomène se caractérisée par une durée de vie moyenne appelée « période radioactive, encore appelée « demi-vie », qui est le temps T au bout duquel la moitié d’une quantité donnée de noyaux s’est désintégrée. Ces noyaux radioactifs sont aussi appelés des radionucléides.

Les nucléons sont « collés » entre eux par des forces nucléaires de très courte portée, mais d’une très grande intensité comparée aux forces électromagnétiques qui sont 100 fois moins fortes, et aux forces qui gouvernent le processus de désintégration béta mettant en jeu des interactions dites « faibles » qui sont cent mille fois moins fortes (la quatrième force fondamentale qui régit l’Univers est celle de la gravitation dont l’intensité est 1038 fois plus faible que celle des forces nucléaires, mais de portée infinie). À cet égard, il faut souligner que ces forces nucléaires sont apparues tellement fortes dès leur identification théorique au milieu des années 1930, qu’il semblait impossible de pouvoir « casser » un noyau en le bombardant avec des particules de très grande énergie pouvant y pénétrer (en l’occurrence des neutrons, car ils pouvaient impacter facilement un noyau atomique du fait de leur charge neutre et donc de l’absence de force de répulsion électromagnétique). Mais finalement, il fut établi expérimentalement par les chimistes allemands Otto Hahn et Fritz Strassmann à la fin de l’année 1938 qu’il est possible de les scinder en deux morceaux : ce fut la découverte de la fission. Ce phénomène totalement inattendu libérait alors une énergie colossale à l’échelle atomique, du fait de l’action des forces  nucléaires : l’énergie nucléaire était née.

Des milliers de sortes d’atomes

On sait aujourd’hui qu’il existe 90 éléments chimiques à l’état naturel. Le premier de la liste est l’hydrogène, Z=1, et le dernier est l’uranium, Z=92. En effet, deux éléments chimiques n’existent pas à l’état naturel, car ils ne possèdent pas d’isotope stable : ce sont le technétium (Z=43) d’une part et le prométhéum (Z=61) d’autre part. Par ailleurs, tous les éléments chimiques situés au-delà du bismuth (qui n’a qu’un isotope stable, le Bi209) c’est-à-dire qui ont un numéro atomique Z supérieur à 83, n’ont également aucun isotope stable. La plupart des éléments chimiques possèdent donc plusieurs isotopes naturellement stables, parfois jusqu’à dix comme l’étain (Sn). On dénombre au total 256 noyaux stables sur notre planète.

Toutefois, on trouve quand même des isotopes instables à l’état naturel qui sont des descendants de ce qu’on appelle des « familles radioactives ». Ils sont créés en permanence par des désintégrations radioactives successives de trois éléments eux-mêmes radioactifs originellement, mais encore présents sur terre du fait de leur très longue « durée de vie » : l’uranium 235 (U235), de période radioactive de 704 millions d’années, l’uranium 238 (U238), de période de 4,468 milliards d’années et le thorium 232 (Th232) de période de 14,05 milliards d’années. Comme ces différents descendants disparaissent eux-mêmes en permanence par leur propre radioactivité (sauf bien entendu le dernier de la liste qui est stable), il s’établit un équilibre de concentration selon les lois précises de décroissance radioactive. Un exemple très concret est le radon, Rn222 (Z=86, N=136, T=3,8 jours).

Outre ces trois familles, il existe d’autres isotopes instables qui étaient déjà présents à l’origine de la terre et le sont encore aujourd’hui à cause de leur très longue durée de vie et qui, de ce fait, sont appelés « primordiaux ». On ne recense une trentaine, dont le potassium 40 de période radioactive 1,248 milliards d’années, présent notamment dans l’eau de mer, qui engendre une radioactivité de 12 000 Becquerels par m3 d’eau.

D’autres radioéléments sont créés en permanence par des réactions nucléaires diverses provoquées par des rayonnements cosmiques, mais ils disparaissent également en permanence du fait de leur propre radioactivité, d’où une concentration d’équilibre présente dans tous les organismes vivants à la surface de la Terre qui sont exposés au rayonnement cosmique. Une fois que ces organismes enterrés, cette radioactivité diminue progressivement puisqu’ils sont à l’abri des rayons cosmiques qui leur donne naissance. C’est par exemple le cas du fameux carbone 14 présent dans l’atmosphère et donc dans les espèces vivantes, mais qui diminue une fois ces espèces enterrées (processus utilisé souvent dans la datation).

D’autres enfin, de loin les plus nombreux, ont été créés artificiellement dans les laboratoires ou dans les réacteurs nucléaires. À ce jour 3248 nuclides ont été identifiés expérimentalement, dont le plus lourd est l’oganesson de numéro atomique Z=118.

Un nouveau-né : le plutonium 227 (Pu 227) – Z = 94

Pour mieux comprendre l’intérêt de cette découverte, il faut savoir qu’il existe principalement deux modèles théoriques du noyau atomique :

  1. Le modèle de la goutte liquide dans lequel on considère un noyau comme un ensemble de nucléons traités collectivement, mais qui interagissent entre eux via les forces nucléaires fortes. Historiquement c’est le premier modèle qui a été utilisé pour décrire le comportement des noyaux. C’est d’ailleurs celui qui explique le mieux le processus de fission par lequel un noyau se déforme sous l’action de l’énergie apportée par un neutron dans lequel il pénètre et se lie alors aux nucléons, libérant ainsi dans le noyau une énergie égale à celle du travail des forces de liaison au point de se rompre en deux morceaux.
  2. Le modèle en couche, plus récent, dans lequel chaque nucléon du noyau est considéré individuellement et caractérisé par 4 « nombres quantiques ». Ces nucléons sont alors répartis sur des niveaux d’énergie à la manière des électrons du nuage électronique qui enveloppe le noyau lui-même. C’est ainsi que l’on explique la très grande stabilité de certains noyaux ayant un nombre particulier de protons ou de neutrons, appelé « nombres magiques », qui correspondent à un arrangement des nucléons en couches complètes. On en connait sept aujourd’hui (vérifiés expérimentalement) qui valent 2, 8, 20, 28, 50, 82, et 126. suivant dans la liste pourrait être 184 nucléons selon les prédictions des modèles actuels. Lorsque le nombre de protons ET de neutrons est égal à l’un de ces nombres, on parle de noyaux doublement magiques. C’est par exemple le cas du plomb 208 qui est constitué de 82 protons et 126 neutrons et c’est le plus lourd de tous les nucléides stables existants.

La région du diagramme nucléaire 87≤Z≤97 et 112≤N≤136 montre le nouvel isotope plutonium-227 (étoile rouge) et les 12 nucléides (étoile bleue) qui ont été découverts à l’IMP, Source : Yang Huabin

Pourquoi la découverte du Pu 227 est-elle importante ?

Depuis de nombreuses années, les chercheurs ont observé expérimentalement des anomalies vis-à-vis des lois théoriques qui permettent de modéliser le remplissage des différentes couches de nucléons pour les isotopes des noyaux lourds ayant un déficit de neutrons par rapport à la proportion la moins instable. La question se posait donc de savoir si cette altération se poursuit dans les isotopes d’éléments lourds comme le plutonium. D’où l’intérêt d’identifier son isotope 227 dont la proportion de neutrons est la plus faible parmi ceux qui ont été identifiés jusqu’à présent.

Comment le plutonium 227 a-t-il été découvert ?

Pour arriver à cette découverte, l’équipe de recherche a utilisé une méthode appelée réaction de fusion-évaporation. Cette technique consiste à fusionner deux noyaux atomiques pour ainsi créer un nouvel isotope. Une fois l’isotope obtenu, les chercheurs ont observé ses caractéristiques, notamment sa demi-vie qui est d’environ 0,78 seconde.

Quelles sont les prochaines étapes ?

Les chercheurs souhaitent poursuivre leur travail en étudiant des isotopes encore plus légers du plutonium afin de mieux comprendre la fermeture de la couche de neutrons 126. Cela pourrait permettre de faire de nouvelles découvertes sur la stabilité des noyaux atomiques et d’approfondir nos connaissances sur les noyaux atomiques qui conservent encore bien des secrets. ■

Par Dominique Grenêche

Image : Shutterstock//True Pixel Art