Le nucléaire est une solution dont il ne faut pas se priver

Chercheur au Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement CEA / CNRS / UVSQ, François-Marie Bréon a contribué à la rédaction du dernier rapport du GIEC. Pour RGN, il revient sur l’élaboration du rapport et ses conclusions, et livre sa vision de la contribution du nucléaire à la réduction des émissions de CO2.
Les scientifiques sont-ils désormais tous d’accord pour parler de changement climatique ?
Plus personne ne le conteste aujourd’hui. La vraie question est de savoir si ce dérèglement est dû aux activités humaines : l’immense majorité des climatologues considère que c’est le cas, et ceux qui le réfutent ne sont en général pas des climatologues. C’est en tout cas sans ambiguïté la conclusion du GIEC.
Comment le GIEC est arrivé à cette conclusion ?
L’étude de l’évolution du climat sur les 1 000 dernières années nous permet de constater que les modifications observées aujourd’hui sont absolument sans précédent, du fait de leur amplitude, mais aussi du fait de la rapidité avec laquelle elles se produisent et s’accélèrent. Surtout, nous sommes capables d’expliquer ce qui se passe : l’homme met du CO2 dans l’atmosphère, la température de la basse atmosphère augmente tandis que celle de la haute atmosphère diminue, les glaciers fondent, le niveau des océans monte… tout cela est parfaitement compatible avec notre compréhension du climat, comme le démontre la trentaine de modèles climatiques développés dans le monde (dont deux en France).
Comment avez-vous travaillé ?
Le GIEC s’est réparti le travail en trois groupes. Le premier s’est attaché à décrire le changement climatique, le second s’est intéressé à ses conséquences et le troisième aux moyens de le limiter. J’étais pour ma part membre du groupe 1, constitué de plus de 250 climatologues, et dont le travail a abouti à la publication d’un rapport scientifique de 1 000 pages et d’un résumé pour les décideurs d’une trentaine de pages. Les auteurs étaient affectés à l’un des 14 chapitres. Notre travail a consisté dans un premier temps à recenser toute la littérature publiée dans chaque domaine, puis à évaluer la pertinence de ces travaux. La première version du rapport a été soumise à un très grand nombre de chercheurs. La prise en compte de leurs commentaires a donné lieu à un processus itératif très rigoureux, qui s’est étalé sur deux ans et demi.
Quel sera l’impact du changement climatique sur notre vie quotidienne ?
À l’échelle de la planète, l’homme sera confronté à une plus grande variabilité des températures et des précipitations, à la multiplication d’événements extrêmes (pluies intenses, tempêtes, sécheresses), et à l’élévation du niveau de la mer. Cela aura inévitablement un impact sur l’agriculture : avec un climat globalement plus chaud et plus sec, les récoltes ne seront pas les mêmes. Très injustement, les pays développés, qui émettent le plus de gaz à effet de serre, seront les moins impactés. À l’inverse, les pays moins développés seront les plus touchés alors qu’ils ne sont pas les principaux responsables de ce dérèglement. C’est ce qui fait la difficulté des négociations actuelles sur le climat : tout le monde n’est pas impacté de la même manière. Une chose est sûre : quel que soit l’endroit où l’on vit, nos modes de vie et nos infrastructures sont adaptés à un certain type de climat et tout changement, dans un sens ou dans l’autre, est néfaste au regard de ces infrastructures. En France, on note déjà des incidences sur les zones côtières, ou dans certaines régions soumises à des précipitations très intenses et donc plus sensibles aux inondations, ou encore en moyenne montagne où la neige se fait de plus en plus rare.
Chacune des trois dernières décennies a été successivement plus chaude à la surface de la Terre que toutes les décennies précédentes depuis 1850. Dans l’hémisphère Nord, la période 1983-2012 a été la plus chaude des 1 400 dernières années.
Ces 20 dernières années, la masse des calottes glaciaires a diminué, comme les étendues de la banquise arctique et du manteau neigeux de printemps de l’hémisphère Nord. Et les glaciers ont continué à reculer.
Depuis le milieu du XIXe siècle, le taux d’élévation du niveau moyen des mers et supérieur à celui des deux derniers millénaires : il s’est élevé de 18 cm entre 1901 et 2010.
Les concentrations de CO2 ont augmenté de 40 % depuis la période préindustrielle. Cette augmentation s‘explique d’abord par l’utilisation de combustibles fossiles puis par des émissions nettes dues à des changements d‘utilisation des sols.
La hausse de la température moyenne du globe en surface dépassera très probablement 1,5 °C pour la fin du XXIe siècle. Ce serait même un miracle que la hausse des températures ne soit pas plus élevée.
Le contraste de précipitations entre régions humides/régions sèches et saisons humides/saisons sèches augmentera.
Les événements de précipitations extrêmes deviendront très probablement plus intenses et fréquents sur les continents des moyennes latitudes et les régions tropicales humides.
Le niveau moyen des mers continuera à s’élever et le phénomène aura tendance à s’accélérer.
Quelle peut-être la place du nucléaire dans la prévention contre le dérèglement climatique ?
Nous savons que les émissions de CO2 sont en grande partie responsables de ce dérèglement. Ce CO2 provient du fait que nous brûlons des combustibles fossiles pour convertir de l’énergie chimique, stockée dans le charbon, le gaz ou le pétrole, en chaleur et en énergie mécanique pour nous déplacer. Le nucléaire est un mode alternatif qui, à l’instar des énergies renouvelables, produit de l’énergie sans émettre de CO2. Du fait de leur intermittence, les énergies renouvelables ne permettent pas, à mon avis, de répondre à nos besoins énergétiques. Du moins tant que nous n’aurons n’a pas résolu le problème du stockage de l’énergie. Le nucléaire est par contre une technologie fiable et disponible tout de suite pour remplacer le charbon. J’estime pour ma part que le risque lié au changement climatique est bien plus important que le risque lié aux accidents nucléaires, ou que le problème des déchets, que nous savons gérer. Partant de là, le nucléaire est une solution dont il ne faut pas se priver ! Même si je suis conscient qu’elle n’est pas la panacée partout, car elle exige une structure étatique très stable pour garantir une maintenance rigoureuse des installations et une gestion responsable des déchets.
Qu’attendez-vous du sommet climatique ?
J’en attends un accord international de limitation des émissions. Ce ne sera pas facile. En effet, de quel droit les pays occidentaux, principaux responsables de la situation actuelle, peuvent exiger des efforts de la part de la Chine, sous prétexte que son développement s’accompagne d’une explosion de ses émissions de CO2 ? Quoi qu’il en soit, une chose est sûre : il est impératif de diviser par 3 ou 4 nos émissions de CO2 si l’on veut limiter le réchauffement climatique à 2 °C en 2050. Cet objectif sera déjà difficile à atteindre en conservant la part actuelle du nucléaire, voire en l’augmentant. Si on la réduit, ça devient vraiment mission impossible ! À ce titre, la loi sur la transition énergétique adoptée en France me semble totalement aberrante. Nous avons en effet la chance de disposer dans notre pays d’un système de production d’électricité décarbonée à 90 % grâce au nucléaire et à l’hydraulique. Cela nous permet d’émettre deux fois moins de CO2 que nos voisins allemands. Si l’objectif est de lutter contre le changement climatique, réduire le nucléaire n’est certainement pas la bonne approche ! Au contraire, on pourrait développer le nucléaire en parallèle à l’électrification des transports et l’évolution progressive du chauffage au fuel vers le chauffage électrique.