Japon : le redémarrage d’une centrale nucléaire pas comme les autres - Sfen

Japon : le redémarrage d’une centrale nucléaire pas comme les autres

Publié le 12 novembre 2024

Au Japon, les opérations de redémarrage d’une treizième unité ont débuté le 29 octobre 2024 : une première au nord-est du Japon ! Symbole de résilience, la centrale nucléaire d’Onagawa était la plus proche de l’épicentre du tremblement de terre de mars 2011.

La politique nucléaire japonaise repose quasi exclusivement sur le redémarrage du parc de réacteurs. Pour rappel, celui-ci fut totalement arrêté après l’accident de Fukushima Daiichi dans l’attente d’une décision politique, dans un premier temps, puis d’une réforme de la sûreté (nouveaux standards, nouvelle autorité de sûreté…). Depuis le retour sur le réseau d’un premier réacteur en 2015, 12 unités ont été relancées et Onagawa 2 (800 MW) devrait être la treizième à se reconnecter au réseau électrique. Le 29 octobre à 19h heure locale, l’exploitant Tôhoku EPCO a en effet annoncé le redémarrage de l’unité. Un événement qui revêt une symbolique importante, car il s’agit du premier réacteur à eau bouillante (REB) à redémarrer, mais aussi la toute première tranche de la région du Tôhoku.

Le premier réacteur à eau bouillante

Contrairement à la France qui a fait le choix d’une technologique unique, le Japon a importé les deux technologies américaines. Mitsubishi s’est tourné vers Westinghouse pour développer des réacteurs à eau pressurisée (REP) alors que Toshiba et Hitachi se sont adossés à General Electric pour construire des réacteurs à eau bouillante (REB). Une répartition régionale s’est alors faite à travers les compagnies locales d’électricité. En résumé, des REB ont été construits pour alimenter la région de Tokyo et du Tôhoku ; des REP pour celles d’Ôsaka, de Kyûshû et d’Hokkaidô. Avant l’accident nucléaire de 2011, le Japon comptait 30 REB et 24 REP. Aujourd’hui 33 réacteurs sont considérés comme opérables dont 17 REB et 16 REP[1]. Onagawa 2 sera le premier REB du pays à être reconnecté au réseau alors qu’un second devrait lui emboîter le pas à l’ouest dans la région du Chûgoku.

La centrale nucléaire la plus proche du tremblement de terre de 2011

Bien plus symbolique encore, il s’agit du premier réacteur à redémarrer dans la région sinistrée par le tremblement de terre et le tsunami du 11 mars 2011. La centrale, située sur la péninsule d’Oshika, était la plus proche de l’épicentre : 80 km contre 145 km pour Fukushima Daiichi[2]. Contrairement à la seconde, les marges de sûreté calculées dès la conception d’Onagawa ont offert à la centrale une grande résilience face aux événements et l’installation est devenue un cas d’école mettant en lumière les facteurs humains déterminants de l’accident nucléaire de Fukushima. En effet, selon la littérature scientifique[4][5], la divergence du sort des deux centrales s’explique par une bien meilleure culture de sûreté chez l’exploitant d’Onagawa (Tôhoku EPCO) en comparaison de Tôkyô EPCO.

« En amont de la construction de la centrale, la Tôhoku Electric Power Company a mené des enquêtes bibliographiques, archéologiques et sédimentaires, ainsi que des recherches littéraires sur les catastrophes naturelles historiques du Tohoku afin de déterminer la hauteur potentielle du tsunami », expliquent deux chercheurs américains[6].

« Tohoku EPCO a conduit ses propres recherches sédimentaires sur les tsunamis dès 1988 pour la centrale nucléaire d’Onagawa […]. Des recherches similaires n’ont été entreprises par Tokyo EPCO qu’en 2009, soit 20 plus tard », rapportait la commission d’enquête parlementaire japonaise sur l’accident nucléaire de Fukushima[7]. Il est question ici de rechercher dans le sol des dépôts caractéristiques (tsunamite) pour identifier d’importants raz de marée passés.

Résultat, les marges de sûreté prises dès la conception étaient plus importantes pour Onagawa que pour Fukushima Daiichi. La centrale nucléaire d’Onagawa, située sur une plateforme plus haute que celle de Fukushima Daiichi (13,8 m. contre 10 m.), a conservé une ligne à haute tension et ses diesels de secours[8] malgré le passage du raz de marée. L’opérateur a réussi à mettre en arrêt à froid ses trois unités dès le 12 mars 2011[3].

De nouveaux dispositifs de sûreté

Pour ce redémarrage, Tôhoku EPCO a détaillé de nouveaux dispositifs de sûreté pour la centrale nucléaire[9]. Par exemple, l’installation bénéficie de structures antisismiques supplémentaires et d’un mur sur la digue, face à la mer, qui culmine à  29 mètres au-dessus du niveau de l’océan. Pour la diversification des sources d’approvisionnement électriques en cas de crise, le réacteur dispose d’un bâtiment équipé d’un générateur diesel d’ultime secours et de plusieurs camions dotés, eux aussi, de générateurs. Ces derniers s’appuient sur une réserve de combustible sur site équivalent à 7 jours d’alimentation. Pour la diversification de l’approvisionnement en eau, la centrale dispose d’une réserve sur site, mais également d’une dizaine de véhicules de pompiers pour l’injecter. « Bien que toutes les mesures de sûreté aient été mises en œuvre, nous croyons que la sûreté ne doit jamais être prise pour acquise, ainsi, nous continuons à travailler pour l’amélioration de la sûreté des installations », a fait savoir Tôhoku EPCO.

Plusieurs unités attendues sur le réseau électrique

Dans un premier communiqué[10] le 29 octobre 2024, Tôhoku EPCO avait annoncé une connexion au réseau électrique début novembre. Un calendrier qui est en attente de révision suite à un arrêt pour régler un problème d’instrumentation. En plus d’Onagawa 2, quatre réacteurs sont en attente d’un redémarrage après avoir obtenu l’aval de l’autorité de sûreté nucléaire (NRA). Chûgoku EPCO a annoncé relancer la réaction en chaîne de son réacteur Shimane 2 (800 MW) à la fin de l’année 2024 pour une reprise des opérations commerciales en janvier 2025. Tôkyô EPCO a reçu le feu vert de la NRA et du pouvoir local pour redémarrer les unités n°6 et n°7 de la centrale de Kashiwazaki-Kariwa (2 x 1300 MW). L’objectif affiché est d’atteindre 20 % à 22 % de nucléaire dans le mix électrique en 2030 contre environ 6 % aujourd’hui.■


[1] https://www.enecho.meti.go.jp/category/electricity_and_gas/nuclear/001/pdf/001_02_001.pdf

[2] IRSN, https://www.irsn.fr/sites/default/files/documents/connaissances/installations_nucleaires/la_surete_nucleaire/risque_sismique_installations_nucleaires/IRSN_seisme-Japon_V2-22042011.pdf.

[3] Akiyoshi Obonai, Takao Watanabe & Kazuo Hirata (2014) Successful Cold Shutdown of Onagawa: The Closest Nuclear Power Station to the March 11, 2011, Epicenter, Nuclear Technology, 186:2, 280-294, DOI: 10.13182/NT13-61.

[4] Airi Ryu, Najmedin Meshkati, Nuclear Safety Culture in TEPCO and Tohoku Electric Power Company: The root-cause of the different fates of Fukushima Daiichi Nuclear Power Plant and Onagawa Nuclear Power Station, Vitebi School of Engineering University of Southern California (USC).

[5] Michaela Ibrion, Nicola Paltrinieri, Amir R. Nejad, “Learning from non-failure of Onagawa nuclear power station: an accident investigation over its life cycle”, Results in Engineering, Volume 8, 2020, 100185, ISSN 2590-1230, https://doi.org/10.1016/j.rineng.2020.100185.

[6] Op. Cit., Airi Ryu, Najmedin Meshkati, https://bpb-us-w1.wpmucdn.com/sites.usc.edu/dist/f/450/files/2019/09/Onagawa-NPS-Final-03-10-13.pdf

[7] https://warp.da.ndl.go.jp/info:ndljp/pid/3856371/naiic.go.jp/wp-content/uploads/2012/08/NAIIC_Eng_Chapter1_web.pdf

[8] Op. Cit, Obonai et al.

[9] https://www.tohoku-epco.co.jp/news/atom/topics/__icsFiles/afieldfile/2024/09/17/1245241.pdf

[10] https://www.tohoku-epco.co.jp/english/press/__icsFiles/afieldfile/2024/10/29/1245791.pdf

Gaïc Le Gros (Sfen)

Crédit photo Taketo Oishi – The Yomiuri Shimbun via AFP