La construction du parc nucléaire japonais
Dans les années 1950, le Japon lance son programme nucléaire avec le soutien des États-Unis. En 1957, le premier réacteur de recherche de l’archipel diverge et, en 1966, le Japon compte son premier réacteur nucléaire en opération commerciale. Retour sur les débuts du programme nucléaire japonais.
Le 8 décembre 1953, le président américain Dwight D. Eisenhower prononce son célèbre discours « Atoms for Peace » devant l’assemblée générale des Nations unies. Il y propose notamment la création d’une Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) afin de promouvoir et d’encadrer le développement des technologies nucléaires pour des usages civils. Quelques mois plus tard, en 1954, la Diète japonaise vote un budget pour développer l’énergie nucléaire, un programme qui prend forme avec la loi fondamentale sur l’énergie atomique de 1955. Cette loi structure la politique nucléaire de l’archipel : l’usage du nucléaire est limité aux domaines civils (l’énergie, le médical, etc.) et différentes institutions sont créées dont notamment l’Institut de recherche atomique du Japon (JAERI) et les autorités de sûreté.
Le nucléaire se développe au village de Tokai (Tôkai-Mura), situé à une centaine de kilomètres au nord-est de Tokyo, où les premiers réacteurs de recherche sont construits avec l’aide américaine. Le premier, d’une puissance de 10 MW, le JRR-1, diverge en 1957. Le JRR-3, premier réacteur de construction japonaise, diverge en 1962. En 1963, le JAERI’s Power Demonstration Reactor (JPDR), un réacteur à eau bouillante de 12,5 MW produit pour la première fois de l’électricité. Le parc électronucléaire se développe dès les années suivantes principalement à travers des partenariats industriels nippo-américains. Deux technologies à eau légère vont se développer : les réacteurs à eau pressurisée (REP) et les réacteurs à eau bouillante (REB).
L’installation d’un parc nucléaire bicéphale
Le premier réacteur du Japon à entrer en opération commerciale est Tokai-1 (160 MW), exploité de 1966 à 1998. Situé au nord-est de Tokyo, Tokai-1 sera le seul réacteur de la technologie britannique, Magnox (graphite-gaz), sur le territoire. En effet, le pays s’oriente rapidement vers les réacteurs à eau légère, une technologie portée par son nouvel allié. Les trois grands industriels japonais travaillant sur la partie réacteur sont alors Mitsubishi, Toshiba et Hitachi. Le premier se lie à Westinghouse et sa technologie REP. Toshiba et Hitachi se tournent vers General Electric qui développe la technologie REB. La transmission de la technologie se fait en deux phases. Tout d’abord, des réacteurs sont commandés aux entreprises américaines qui assurent la construction avec l’appui de sous-traitants japonais et en particulier du bénéficiaire de la licence. Ensuite, les rôles s’inversent au fur et à mesure que la maîtrise japonaise de la technologie augmente. Les deux technologies se répartissent sur le territoire selon le choix des compagnies d’électricité régionales qui exploitent les centrales nucléaires et distribuent l’électricité. Ainsi TEPCO (Tokyo Electric Power Company) développe avec General Electric un parc REB pour alimenter en électricité la région de Tokyo et KEPCO (Kansai Electric Power Company) développe avec Westinghouse un parc REP pour alimenter la région d’Osaka.
Une montée en puissance du parc nucléaire
Le rythme des constructions s’accélère puisque le Japon connecte 22 réacteurs au réseau électrique entre 1969 et 1980 et 18 entre 1981 et 1990. Néanmoins la maîtrise industrielle prend un certain temps, comme en témoigne le facteur de charge moyen de 46 %1 de 1975 à 1977. Le conseiller nucléaire à l’ambassade de France de Tokyo, dans la Revue Générale Nucléaire de décembre 1978, écrivait [1] : « d’une manière générale, chaque incident fait l’objet d’une analyse détaillée pour en déterminer les causes, les réparations et les mesures à prendre sont longuement examinées et discutées […]. Les centrales nucléaires japonaises sont, de plus, soumises à des inspections annuelles qui, actuellement, durent en moyenne de trois à quatre mois, mais se prolongent jusqu’à six mois et au-delà en cas d’anomalie : pour les réacteurs à eau pressurisée, il est habituel de faire un contrôle exhaustif de tous les tubes de générateur de vapeur et de tous les assemblages combustibles ». Afin d’améliorer les performances du parc, le ministère du Commerce international et de l’Industrie (MITI) [2] lance un programme d’amélioration et de standardisation du parc au milieu des années 1970. En effet « la standardisation des tranches nucléaires à eau légère se heurte, au Japon, à des difficultés originales », note le conseiller nucléaire. Que ce soit « le partage entre REP et REB, trois constructeurs et neuf compagnies électriques de tailles différentes, les sites qui nécessitent chaque fois une adaptation des tranches à cause de leur exiguïté et des conditions variables de sismicité », nombreux sont les facteurs qui donnent au parc nucléaire un aspect très disparate. Le programme sera néanmoins efficace puisque le facteur de charge du parc atteint 79 % en 2001.
Les Japonais ne se limitent pas à l’import des technologies américaines. En effet, les ingénieurs explorent d’autres concepts de réacteurs notamment à neutrons rapides avec un réacteur opérationnel dès 1977 (Jôyô) dans la préfecture d’Ibaraki, les réacteurs à eau lourde avec celui de Fugen en exploitation de 1979 à 2003 et les réacteurs à haute température (HTR), un peu plus tard, avec le démarrage du HTTR en 1998. En 1985, le Japon possède même l’un des plus grands tokamaks, enceinte destinée à la fusion nucléaire, le JT- 60. Celui-ci a donné naissance, à travers un programme nippo-européen, au JT-60SA (Super Advanced) dont l’assemblage s’est achevé en 2020. Bien que l’accident nucléaire de Fukushima de 2011 ait remis en cause l’organisation de la sûreté nucléaire (réformée de- puis), la quête d’un apport stable en énergie est une caractéristique immuable du Japon qui est un pays « pauvre en ressources », comme le rappelle régulièrement le METI, et fortement dépendant des imports de ressources fossiles (près de 100 % du gaz, du charbon et du pétrole sont importés). C’est pourquoi, le Japon vise un retour du nucléaire à hauteur de 20 à 22 % du mix électrique d’ici 2030 contre 7 % aujourd’hui et reste engagé dans la R&D que ce soit dans le domaine de la fusion nucléaire ou des petits réacteurs modulaires (SMR).
B. Guillemard – « L’énergie nucléaire au Japon », Revue – Générale Nucléaire n° 6, 1978
Yamashita Kiyonobu « History of Nuclear Technology Development in Japan », AIP Conference Proceedings, vol. 1659, 2015
Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) « The Power Reactor Information System (PRIS) »