Interview du maire de Fessenheim, défi d’une reconversion complexe - Sfen

Interview du maire de Fessenheim, défi d’une reconversion complexe

Publié le 11 février 2020 - Mis à jour le 28 septembre 2021
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La SFEN a prévu de publier un certain nombre d’articles dans les semaines à venir, relatifs à l’arrêt définitif de la centrale nucléaire de Fessenheim. Ces articles couvriront les aspects industriels, sociaux, économiques et climatiques.

Claude Brender est maire de Fessenheim depuis 2014. Il intègre le conseil municipal en 1989 et devient adjoint en 1995. Les problématiques que va connaître sa commune dans les mois et à venir, il les connait bien. 

Comment réagissent les habitants de Fessenheim et des environs face à l’arrêt définitif prochain de la centrale nucléaire ?

Aujourd’hui, rien n’a changé. Depuis la décision prise par l’Etat de fermer la centrale de Fessenheim, par François Hollande en 2012, puis par Emmanuel Macron en 2017, les niveaux de perceptions sont partagés. On peut noter une forme de déni chez certains, du fatalisme chez d’autres. Nous nous sommes battus jusqu’au bout pour éviter la fermeture de la centrale nucléaire. Aujourd’hui, l’enjeu est de continuer de faire vivre la commune après la centrale, qui compte 2 400 habitants.

Avez-vous déjà connaissance des conséquences de la fermeture de la centrale sur les emplois dans la commune et plus généralement sur la vie économique ?

Aujourd’hui, la centrale nucléaire compte près de 900 emplois directs dont 300 sous-traitants(1). Plus de 140 logements EDF sont occupés par des salariés de la centrale. D’autres ont fait construire leur maison dans la commune. Ce sont donc potentiellement plus de 200 personnes qui peuvent quitter la commune demain.

Pour l’instant, nous sommes dans l’incertitude des conséquences sur les emplois induits de notre commune. Il est trop tôt. Mais d’ores et déjà, un des enjeux est de compenser la perte d’habitants par de nouveaux. Nous devons impérativement attirer une nouvelle population qui habitera à Fessenheim mais qui ne travaillera plus pour la centrale nucléaire mais pour d’autres activités… autour d’un bassin d’emplois qui reste à créer. C’est un axe fort sur lequel on travaille depuis des années, anticiper en faisant venir une nouvelle population, comme par exemple au Jardin des poètes qui propose une cinquantaine de parcelles et qui attire de nouveaux habitants. A terme, nous espérons accueillir 150 à 160 personnes qui viendront compenser les premiers départs de personnels de la centrale.  Deuxième enjeu et donc deuxième action : maintenir les services, les écoles, le périscolaire, la garderie, etc. Nous ferons tout pour « garder » les médecins la pharmacie, les commerces car ces services sont sources d’attractivité et constituent nos principaux atouts. Fessenheim s’inscrit dans une région rurale, en dehors des grands axes de communication. Ce n’est donc pas un territoire où les industries viennent s’installer naturellement. Nous devrons être inventifs pour créer un nouveau pôle d’activités.

Quels sont les projets possibles pour maintenir des activités ?

Depuis que la fermeture de la centrale a été confirmée, des réflexions et échanges ont été menées pour définir des actions et accompagner le changement, sous la direction du préfet du Haut-Rhin, du ministère de la transition écologique et solidaire, avec la région Grand Est, le département, la communauté de communes, les deux agglomérations de Colmar et de Mulhouse, les chambres d’industrie, des métiers, d’agriculture… Des phases de diagnostic et de projection ont abouti à la signature le 1er février 2019 d’un projet de territoire, qui est une déclaration d’intention.


Nous avons conscience que les répercussions pourraient commencer d’ici trois à quatre ans, si nous ne recréons pas une dynamique, sachant aussi que notre fiscalité va être alourdie et constitue une véritable menace pour nous demain


 Il s’agira alors de créer une société d’économie mixte, un outil à disposition des territoires et dont les actionnaires sont les mêmes et comprennent aussi des communes allemandes. Nous sommes en effet à moins d’un km de la frontière. Cette société d’économie mixte, qui se veut transfrontalière, aura la vocation de préparer le foncier en vue de l’implantation d’entreprises potentielles sur un site, en bord du canal d’Alsace. Le projet d’un Technocentre est toujours d’actualité avec une possible implantation aussi près du Tricastin dans la Drôme. EDF serait favorable à l’installation de ce Technocentre à Fessenheim, sous certaines conditions, comme celle de traiter également les déchets TFA (très faible activité) issus du démantèlement des centrales nucléaires allemandes. Cela dépend aussi de l’évolution de la législation en matière de seuil de libération des déchets TFA en France. Nous sommes un des rares pays à ne pas les recycler, à l’inverse de l’Allemagne, la Suède, l’Espagne, etc.  Récemment, Elisabeth Borne a déclaré qu’un projet près de Fessenheim semblait difficile vu l’opposition des Allemands. Je m’interroge sur l’autonomie de la France en matière de politique industrielle. Mais quand bien même le Technocentre verrait le jour près de Fessenheim, ce sera au mieux dans une dizaine d’années.  A ce jour, nous n’avons aucune autre piste sérieuse, concrète pour recréer des emplois et de la richesse. Nous avons conscience que les répercussions pourraient commencer d’ici trois à quatre ans, si nous ne recréons pas une dynamique, sachant aussi que notre fiscalité va être alourdie et constitue une véritable menace pour nous demain.


Nous devrons être inventifs pour créer un nouveau pôle d’activités


Aujourd’hui, la commune de Fessenheim bénéficie d’une recette fiscale conséquente. Qu’en est-il demain ?

La fiscalité versée par la centrale nucléaire est décomposée en deux parties. L’une bénéficie au territoire d’implantation. Ce sont 3,4 millions d’euros que la commune de Fessenheim va perdre demain. L’autre, d’un montant de 2,9 millions d’euros, est reversée par la commune d’implantation au Fonds national de garantie individuelle des ressources (FNGIR). Ce dernier a été instauré lors de la réforme de la taxe professionnelle en 2011, et ses contributions sont fixes. Rien ne prévoit cette suppression. Cela veut dire que demain, la commune de Fessenheim sera dans l’obligation de continuer le versement de ce montant au FNGIR, alors qu’elle-même ne percevra plus qu’une très faible fiscalité. Ce sera la double peine. Nous craignons que le territoire n’en sorte exsangue.

Plus généralement, nous constatons parfois une certaine incompréhension ou méconnaissance de certains élus et membres du gouvernement pour notre territoire, reprochant aux élus locaux de n’avoir pas suffisamment anticipé l’arrêt de la centrale nucléaire de Fessenheim. Mais « rebondir » économiquement après une telle décision, qui reste récente, voire brutale d’à peine 5 ans, relève d’un véritable défi… Même si nous restons pleinement mobilisés pour le relever. 

 

(1) En termes d’emplois, il est prévu pendant la phase de démantèlement de la centrale de Fessenheim une soicantaine d’emplois EDF (contre 600 aujourd’hui) ; 100 sous-traitants (contre 300 aujourd’hui). Contrairement à certaines idées reçues, une installation nucléaire en démantèlement ne crée pas d’emplois. 


Cécile Crampon (SFEN)

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