L’énergie nucléaire pourra aussi décarboner d’autres secteurs

Les technologies nucléaires ont le potentiel pour participer à la construction d’un monde bas carbone. Cette contribution passera évidemment par l’électricité, mais pas seulement, certains réacteurs étant aussi en mesure de fournir d’autres applications bénéfiques pour l’environnement : cogénération pour produire de la chaleur pour les usages industriels ou du chauffage urbain, la production d’hydrogène ou encore d’eau douce – le tout contribuant la flexibilité du mix électrique.
Ces applications sont à l’étude, au point que certains réacteurs sont d’abord pensés pour y répondre.
Produire de l’eau douce
Changement climatique et accroissement démographique mettent les ressources en eau douce sous pression. Au XXIe siècle, « l’or bleu » est déjà une ressource rare pour de nombreux pays, qui n’ont d’autre choix que de recourir au dessalement de l’eau de mer pour subvenir à leurs besoins.
Les usines de dessalement n’utilisent pratiquement que des centrales thermiques pour générer de la chaleur ou de l’électricité, les deux vecteurs pouvant être utilisés séparément ou conjointement pour désaliniser. Des pays comme l’Arabie saoudite ou la Jordanie étudient déjà sérieusement l’implantation de réacteurs sur leur territoire dans une optique de production d’eau douce.
L’AIEA promeut activement la désalinisation nucléaire depuis plus de deux décennies.
Décarboner la production d’hydrogène et de carburants de synthèse
La consommation d’hydrogène est amenée à croître dans les prochaines décennies. Actuellement, 95 % de la production mondiale d’hydrogène dérive de la production d’hydrocarbure. Ces méthodes sont fortement émettrices de CO2 et l’hydrogène produit alimente surtout des procédés industriels (production d’ammonium, raffineries).
Comme l’eau douce, l’hydrogène peut être produit à partir d’électricité, essentiellement via l’électrolyse. Une centrale multi-SMR de 300 ou 600 MW pourrait fournir respectivement l’hydrogène nécessaire pour une usine de production d’ammoniaque ou une raffinerie, affirme l’entreprise américaine NuScale. La production d’autres molécules est à l’étude.
La méthanation, qui permet avec la chaleur de convertir le monoxyde de carbone ou le CO2 en méthane et en eau, tout comme la production de carburants de synthèse, sont d’autres débouchés.
Chauffer les villes, et fournir de la chaleur industrielle aux usines
La production de chaleur est l’un des principaux postes de consommation énergétique mais également l’un des plus émetteurs de CO2 compte tenu de l’hégémonie des énergies fossiles. Les centrales nucléaires, qui sont des installations thermiques pouvant (aussi) produire de l’eau chaude ou de la vapeur, constituent une solution pour alimenter les réseaux de chauffage urbain ou les sites industriels. Les SMR pourraient alors être déployés en étant simplement installés en remplacement des capacités fossiles existantes.
Plus de 70 centrales nucléaires font déjà de la cogénération, produisant essentiellement de la chaleur pour les réseaux urbains. Plusieurs projets de SMR dédiés à la production de chaleur sont à l’étude. L’exploitant chinois CNNC étudie ainsi la faisabilité d’utiliser un projet de réacteur, le NHR200-II, pour chauffer les réseaux urbains des villes du Nord du pays. Des villes finlandaises, soutenues par les Verts, étudient la possibilité de construire des SMR pour alimenter en chaleur des réseaux tels que ceux de l’agglomération d’Helsinki.
Le potentiel français de chaleur qui pourrait être produite par le nucléaire, dans le cas de la France à l’horizon 2050, serait de l’ordre de 40 à 50 TWh d’après la récente thèse de Martin Leurent [1]. Cette opportunité est précieuse, la décarbonation de la chaleur étant, après les transports, un sujet majeur de la transition.
« Nuclear plants as an option to help decarbonising the European and French heat sectors ? A techno-economic prospective analysis » Thèse de doctorat de l’Université Paris-Saclay préparée à CentraleSupelec septembre 2018.