Énergie nucléaire et atténuation du changement climatique : l’analyse de l’AEN - Sfen

Énergie nucléaire et atténuation du changement climatique : l’analyse de l’AEN

Publié le 3 mai 2022 - Mis à jour le 16 mai 2022

Dans une étude sur le rôle du nucléaire pour atténuer le réchauffement climatique, l’Agence de l’énergie nucléaire (AEN) calcule que la prolongation des réacteurs existants et le développement du parc mondial pourraient éviter 87 gigatonnes d’émissions de CO2. De plus, une vague d’innovations dans ce secteur permettrait à court et à moyen terme de remplacer une partie des énergies ayant un fort taux d’émission de gaz à effet de serre.

Le 3 mai, l’Agence de l’énergie nucléaire (AEN) de l’OCDE a publié une étude intitulée : « Atteindre les objectifs en matière de changement climatique – Le rôle de l’énergie nucléaire ». Il y est mis en avant la nécessité de développer le parc nucléaire déjà existant afin de tenir les engagements pris en 2015 lors de l’Accord de Paris. Ce travail, en plus de détailler les avantages du recours à l’énergie nucléaire, émet également une série de recommandations politiques en vue de faire face au changement climatique.

Les auteurs rappellent en préambule que le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) des Nations unies conclut qu’aujourd’hui le changement climatique est généralisé, rapide et s’intensifie. Cela appelle à des réductions fortes, rapides et durables des émissions de gaz à effet de serre. De son côté, l’Agence Internationale de l’Énergie (AIE) a signalé que, pour tenir la trajectoire vers un objectif de neutralité carbone, il sera nécessaire de déployer massivement toutes les technologies d’énergie propre disponibles.

L’électrification de divers secteurs représente un élément clé de la stratégie de décarbonisation mondiale. Toutefois, même avec des améliorations de la gestion de la demande et de l’efficacité énergétique, la demande d’électricité augmentera à un rythme de plus en plus rapide au cours des prochaines décennies.

Le besoin de mobiliser toutes les technologies bas carbones

Contraintes par le budget carbone mondial, les émissions de carbone doivent culminer dans les prochaines années et atteindre zéro d’ici 2100, voire plutôt. Pour atteindre cet objectif, des changements de politique dans le monde entier sont nécessaires ainsi que des investissements massifs dans l’innovation, les infrastructures et le déploiement de ressources énergétiques non émettrices.

Face à ce constat, tous les modèles reconnus montrent que l’énergie nucléaire a un rôle important à jouer dans les efforts mondiaux d’atténuation du changement climatique. En effet, les investissements dans les prolongations de la durée de vie des centrales nucléaires, les rénovations des réacteurs existants, ainsi que de nouvelles constructions, rendraient moins coûteux et plus faisable la réalisation des objectifs de l’Accord de Paris.

Si les pays n’investissent pas dans l’énergie nucléaire, les risques de ne pas atteindre les objectifs de Paris seront nettement plus grands. L’AIE estime que, sans énergie nucléaire, il en coûterait au monde environ 1 600 milliards de dollars de plus pour atteindre les objectifs de Paris.

Le rôle de l’énergie nucléaire dans une politique de neutralité carbone

Le parc nucléaire mondial actif est actuellement la seconde source de production d’électricité sans émission fournissant environ 10 % de l’électricité mondiale grâce à 444 réacteurs nucléaires en fonctionnement.

En 2018, le Giec a constaté qu’en moyenne, les trajectoires du scénario 1,5 °C nécessitent que l’énergie nucléaire atteigne une capacité de 1 160 gigawatts d’électricité d’ici 2050, contre 394 gigawatts en 2020.

L’étude menée par l’AEN révèle que cet objectif pourrait être atteint en combinant l’exploitation à long terme des centrales existantes avec la construction à grande échelle de nouvelles technologies nucléaires de génération III et de petits réacteurs modulaires. Cela permettrait d’éviter ainsi 87 gigatonnes d’émissions cumulées entre 2020 et 2050, préservant 20 % du budget carbone mondial dans un scénario de 1,5 °C.

De plus, une vague d’innovations dans le secteur du nucléaire offrirait à court et à moyen terme de nouvelles opportunités technologiques et énergétiques en vue de remplacer une partie des énergies ayant un fort taux d’émission de gaz à effet de serre.

Challenges et opportunités

Bien qu’il soit possible que l’énergie nucléaire joue un rôle beaucoup plus important dans les efforts mondiaux d’atténuation du changement climatique, de nombreux défis subsistent.

Les estimations présentées dans l’étude ne sont pas des prévisions, mais bien ce qui pourrait être réalisé si des décisions sont prises rapidement afin de saisir cette opportunité. La question des coûts de système, des délais de réalisation de projets, de la confiance du public et du financement de l’énergie propre sont alors autant de sujets qui doivent être abordés par les décideurs politiques. De plus, une approche systémique est nécessaire pour comprendre les coûts totaux de la fourniture d’électricité ainsi que pour s’assurer que les marchés valorisent les résultats souhaités.

Les gouvernements ont donc un rôle important à jouer. Ce rôle peut aller du un financement direct à la définition d’un cadre politique permettant aux projets nucléaires innovants de rivaliser sur un pied d’égalité avec d’autres projets énergétiques non émetteurs tout en garantissant une répartition efficace des risques.

Enfin, il est crucial d’assurer une pleine représentation de l’énergie propre et du changement climatique dans les discussions politiques. L’énergie nucléaire apporte déjà une contribution importante à la réduction des émissions et doit continuer à se développer pour atteindre les objectifs de l’Accord de Paris. Les innovations nucléaires, quant à elles, devraient à court terme contribuer de manière significative aux objectifs de réduction des émissions. Les politiques doivent être neutres sur le plan technologique et structurées de manière à encourager les résultats souhaités tels que la réduction des émissions et la sécurité de l’approvisionnement énergétique.

La construction rapide d’une nouvelle énergie nucléaire est donc possible. Mais elle nécessite une vision et un plan clair. L’expérience montre qu’avec un cadre politique approprié et une approche programmatique robuste, l’énergie nucléaire peut être rapidement l’une des énergies alternatives à faible émission de carbone. En Chine et en Corée du Sud, les délais de construction sont d’environ 5 à 6 ans. En s’inspirant de ces pays, l’énergie nucléaire pourrait ainsi jouer un rôle clé dans l’atténuation du changement climatique.

Les recommandations de l’AEN

  1. Agir maintenant : Les gouvernements et l’industrie doivent maintenant travailler ensemble pour déployer les innovations dans le domaine de l’énergie nucléaire.
  2. Comprendre et réduire les coûts: Le secteur de l’énergie nucléaire devrait mettre en œuvre les recommandations de l’étude de l’AEN[1] publiée en 2020. Les gouvernements, eux, devraient adopter une perspective au niveau des systèmes lors de l’élaboration des politiques de l’électricité.
  3. Traiter les délais : Les gouvernements et l’industrie devraient s’inspirer des exemples réussis de déploiement rapide de l’énergie nucléaire pour décarboner les réseaux électriques. Les régulateurs, eux, devraient collaborer pour harmoniser les approches d’octroi de licences.
  4. Renforcer la confiance du public : Les gouvernements et l’industrie devraient impliquer leurs citoyens pour renforcer la confiance du public, en veillant à ce que le dialogue public sur les options énergétiques soit fondé sur des preuves et non pas sur des intox.
  5. Soutenir l’investissement : Les gouvernements devraient soutenir une approche technologiquement neutre et devraient également investir davantage dans l’énergie nucléaire.
  6. Assurer une pleine représentation dans les discussions politiques sur l’énergie propre et le changement climatique : Les gouvernements devraient briser le silence sur l’énergie nucléaire dans les discussions politiques sur l’énergie propre et le changement climatique, rehausser le profil de l’énergie nucléaire aux côtés d’autres technologies énergétiques non émettrices et veiller à ce que le nucléaire soit inclus dans les discussions lors des conférences sur le changement climatique. ■

Par Maximilien Struys (Sfen)
[1] Unlocking Reductions in the Construction Costs of Nuclear : A Practical Guide for Stakeholders pour s’assurer que le secteur respecte les objectifs de coûts (AEN, 2020).