Dukovany : la République tchèque s’oriente vers le Coréen KHNP pour ses nouveaux réacteurs - Sfen

Dukovany : la République tchèque s’oriente vers le Coréen KHNP pour ses nouveaux réacteurs

Publié le 19 juillet 2024 - Mis à jour le 25 juillet 2024

La République tchèque a sélectionné Korea Hydro & Nuclear Power (KHNP) pour des négociations exclusives en vue de la construction de deux réacteurs à Dukovany, préférant ainsi l’APR1000 coréen à l’EPR1200 d’EDF. Sur cette décision planent des incertitudes. En particulier, Westinghouse pourrait bloquer l’industriel coréen arguant que l’export de l’APR1000 nécessite un feu vert préalable des États-Unis.

En finale face à EDF, c’est le dossier du coréen KHNP qui a été préféré par les autorités tchèques pour entrer en négociations exclusives en vue de construire deux réacteurs sur la centrale de Dukovany. Les deux APR1000 de l’opérateur asiatique ont été préférés en phase finale face aux deux EPR1200 (une variante de l’EPR) portés par EDF. L’électricien français avait beaucoup investi dans cet appel d’offres alors qu’il devait, en plus du programme de 6 à 14 EPR2 en France, mobiliser la supply chain française et européenne. Une décision finale est attendue pour le premier trimestre 2025.

Westinghouse s’oppose de nouveau à KHNP

Selon le Premier ministre tchèque, Petr Fiala, « L’offre coréenne était meilleure sur tous les critères évalués ». Mais le travail pour finaliser l’accord est encore long. En effet, sur ces négociations, plane l’ombre d’un véto américain. Dans un communiqué, la société américaine Westinghouse écrit : « KHNP n’est pas autorisée à utiliser la technologie des réacteurs de Westinghouse, qui constitue la base de l’offre et des références de KHNP pour l’appel d’offres nucléaire tchèque, sans l’accord de Westinghouse ».

KHNP aurait besoin d’une autorisation du gouvernement américain avant de partager la technologie au-delà du transfert convenu à la Corée. La société ajoute : « Westinghouse se réserve le droit de contester cela devant les juridictions nationales et internationales compétentes ». Ni KHNP, ni les autorités tchèques n’ont encore réagi. Une offensive similaire a été menée contre KHNP lorsque la Pologne était à la recherche d’un partenaire pour son programme nucléaire. Dans cette première affaire, la plainte a été rejetée par la cour de justice de Columbia fin 2023 mais l’affaire se poursuit.

« La décision n’a aucune incidence sur la procédure d’arbitrage en cours contre Kepco/KHNP concernant le transfert non autorisé par Kepco/KHNP de la propriété intellectuelle de Westinghouse en dehors de la Corée. Westinghouse s’est engagée à protéger sa propriété intellectuelle et nous nous attendons à ce que l’arbitrage aboutisse sur tous les points. Le groupe d’arbitrage a confirmé qu’une décision finale n’est pas attendue avant la fin de l’année 2025 », avait fait savoir Westinghouse.

L’enjeu économique

Un autre sujet interroge les observateurs proches du dossier. L’offre coréenne s’appuie sur un prix fixe d’environ 200 milliards de couronnes tchèques par unité, soit un peu moins de 8 milliards d’euros. Ce modèle de commercialisation n’est pas habituel sur le marché et pourrait exposer à des difficultés comme celles rencontrées par Areva en Finlande avec le projet Olkiluoto.

Enfin, si l’offre coréenne promet le recours à 60 % de main-d’œuvre locale, d’aucuns regrettent que la relance européenne du nucléaire ne s’appuie pas plus sur des ressources européennes. EDF avait mis en avant cet aspect dans son offre en travaillant depuis plusieurs années avec le tissu industriel tchèque, l’impliquant en particulier sur le chantier de Hinkley Point C au Royaume-Uni.

La position européenne

Dans le cadre de cette discussion avec ce « preferred bidder » (candidat préféré), la nouvelle Commission européenne (dont la Présidente Ursula Von den Leyer a été réélue jeudi 18 juillet) apportera aussi son examen. Notons que l’ancienne Commission avait apporté un premier soutien au projet en validant son modèle de financement. Ce dernier comprend un prêt étatique à taux zéro couvrant 98 % des coûts d’investissement, une garantie de revenu sur 40 ans pour l’exploitant, et un mécanisme de protection contre les imprévus dès la phase de construction.

Aujourd’hui, l’électricien tchèque CEZ exploite six réacteurs de conception russe sur son territoire : quatre sur la centrale de Dukovany et deux sur le site de Temelín. Cela représente environ 37,5 % de son mix électrique (dominé par le charbon à 44%). Afin de viser un objectif de décarbonation, Prague a lancé un appel d’offres en 2022 qui pourrait concerner au final quatre nouveaux réacteurs.

Si EDF note le choix fait par Prague, l’entreprise française dit se tenir prête à poursuivre ou à relancer les discussions avec CEZ et le gouvernement tchèque si le processus d’appel d’offres devait être modifié ou réajusté dans les semaines ou les mois à venir. ■

Par Ludovic Dupin (Sfen)

Photo : Centrale nucléaire de Dukovany en République tchèque – @Shutterstock