« Une contamination est toujours traitée le jour même » - Sfen

« Une contamination est toujours traitée le jour même »

Publié le 28 février 2015 - Mis à jour le 28 septembre 2021
philippedemeaux

Dans une centrale, la prise en compte de la santé des salariés est une préoccupation constante. En cas de contamination corporelle, une série de mesures est immédiatement mise en œuvre pour éliminer toute trace de radioactivité. Comment s’organise un processus de décontamination, et quels sont les risques ? Philippe Demeaux, médecin du travail à la centrale EDF de Penly, répond aux questions de la RGN.

RGN : Médecin du travail dans une centrale nucléaire, qu’est-ce que cela implique ?

Ce poste comprend d’abord les missions classiques de médecine du travail : suivre l’état de santé des salariés de la centrale, par des visites médicales régulières. Puisque nous sommes sur un site d’activité nucléaire, ces visites sont complétées par des examens et analyses, plus approfondis (-suivis sanguin, mais aussi ORL, cardiologique, ophtalmologique… réguliers). Je suis en cela aidé par deux autres -médecins et quatre infirmières diplômées d’État, spécialisées dans le nucléaire. Deuxième aspect : s’assurer que les conditions de travail sont bonnes. Cela m’amène à réaliser des mesures ergonomiques ou à me rendre sur des chantiers. Enfin, je suis responsable du volet médical des plans d’urgence, pour lesquels je donne mon avis, gère la formation des secouristes de la centrale, et suis en contact avec les hôpitaux locaux.

RGN : Dans quelles circonstances des contaminations peuvent-elles être constatées ?

En sortie de zone contrôlée, lorsqu’un travailleur quitte la zone nucléaire, il doit respecter des mesures de sécurité et passer à travers plusieurs portiques de contrôle de non-contamination corporelle. De plus, au service médical, des examens anthropogammamétriques (contrôle et mesure de la contamination corporelle) sont systématiquement réalisés lors des visites médicales obligatoires (tous les six mois pour les salariés en 3X8, et tous les ans pour les autres) et après chaque décontamination effectuée au service médical. Les portiques placés en sortie de zone contrôlée permettent de dépister au plus tôt la présence éventuelle de poussières radioactives sur la personne, afin que la prise en charge soit la plus rapide possible.

RGN : Quelles sont alors les mesures mises en œuvre ?

Si une personne est détectée par le portique de contrôle, le gardien du vestiaire de zone contrôlée intervient et localise précisément, avec un compteur radiologique, la zone corporelle contaminée.

En l’absence de contamination à la tête, la personne est invitée, sous la surveillance du gardien, à se décontaminer soit à la douche, soit avec des lingettes, puis à se recontrôler aux portiques. Si le deuxième contrôle est toujours positif, le gardien appelle le service médical qui prend la personne en charge et la décontamine au service médical.

Si la contamination est à la tête, le service médical vient directement chercher la personne pour la décontaminer au service médical. En faisant ainsi, nous évitons qu’une contamination externe, si par exemple les particules radioactives sont sur la joue, ne se transforme en contamination interne en entrant dans le corps par le nez ou la bouche.

Au service médical, aussitôt que la contamination est localisée, la peau est soigneusement nettoyée à l’eau et au savon jusqu’à élimination des particules radioactives. Chaque décontamination est systématiquement suivie d’une douche au service médical et d’une anthropogammamétrie de contrôle. Si tout est bon, le salarié peut rentrer chez lui ou reprendre son activité.

RGN : Ces mesures suffisent-elles toujours ?

Ce sont des mesures éprouvées : les poussières partent facilement au lavage, comme les poussières « domestiques » qui ne résistent pas à l’eau et au savon.

En cas de contamination persistante, on suspecte alors une contamination interne et l’examen anthropogrammamétrique permet alors de quantifier précisément la dose reçue. Dans ce cas de figure, aucun traitement n’est habituellement nécessaire du fait de la modicité des doses intégrées. Nous invitons la personne à faire des anthropogammamétries de suivi les jours suivants, car dans la majorité des cas, les poussières s’éliminent naturellement par voie digestive. Depuis vingt-huit ans que je travaille à Penly, la dose la plus « importante » intégrée lors d’une contamination était inférieure au centième de la limite réglementaire. Évidemment, à de tels niveaux, la contamination est considérée comme insignifiante et n’a aucun impact sur la santé. Mais elle est quand même enregistrée dans la dosimétrie du salarié.

RGN : Les personnes décontaminées bénéficient-elles d’un accompagnement particulier ?

Oui. Elles ont souvent un grand besoin d’explications. Même si la contamination a rapidement été traitée, elle peut engendrer des inquiétudes. Il est important que les professionnels de santé de la centrale soient en mesure d’assurer une présence rassurante et informative sur les implications pour la santé, sur les mesures prises… Les infirmières savent parfaitement remplir ce rôle, et repérer les personnes les plus anxieuses. Quoi qu’il en soit, l’équipe médicale se tient à la disposition des salariés, qui peuvent venir ou revenir poser des questions, exprimer leurs inquiétudes… Dans les faits, nous passons plus de temps à faire œuvre de pédagogie qu’à décontaminer ! Mais c’est tout aussi important.

RGN : Quelle est la fréquence des cas de contamination à la centrale de Penly ?

Elle est faible : en moyenne pas plus de vingt cas par an. Il est vrai que les règles de radioprotection en vigueur sur le site sont drastiques. De ce fait, nous sommes rarement confrontés à des contaminations.

Les périodes les plus « sensibles » sont celles des arrêts pour maintenance programmée où des interventions sont faites en zone contrôlée avec l’ouverture de nombreux circuits.

En réalité, le risque principal n’est pas nucléaire. Ce sont plutôt les risques classiques liés aux accidents de plain-pied, aux travaux en ambiance thermique chaude ou l’exposition aux produits chimiques… Prévenir une telle diversité de risques rend mon métier passionnant. D’autant que, comme je suis à Penly depuis longtemps, j’ai la chance de pouvoir tisser des liens avec les salariés. Certains me considèrent presque comme leur médecin de famille, même si, en tant que médecin du travail, je ne peux pas prescrire de traitement, sauf cas d’urgence.

 
ZOOM SUR 
 
96 % des personnes travaillant sous rayonnements ionisants reçoivent une dose annuelle inférieure à 1 Msv
 
Chaque année, l’IRSN réalise un bilan de la surveillance dosimétrique des travailleurs dans le cadre de leur activité professionnelle. En 2013, 352 082 personnes ont été suivies, dont 63 % dans le domaine médical et vétérinaire. Parmi elles, 96 % ont reçu une dose individuelle annuelle inférieure à 1 mSv – la limite annuelle réglementaire fixée pour la population générale selon le Code de la santé publique. Cette limite était dépassée pour 9 travailleurs (instruction non terminée lors de la rédaction de cet article), dont 6 étaient des professionnels du milieu médical, 2 de l’industrie non nucléaire et 1 de l’industrie nucléaire.
Dans le domaine médical, la dose individuelle moyenne calculée sur l’effectif exposé [1] était de 0,57 mSV, de 1,27 mSv dans l’industrie nucléaire et de 1,62 mSv dans l’industrie non nucléaire. Le nombre de cas avérés de contamination interne reste faible : en 2012, 18 travailleurs ont eu une dose engagée [2] supérieure à 1 mSv, la plus forte étant de 9 mSv.
 

Pour en savoir plus : « La radioprotection des travailleurs, exposition professionnelle aux rayonnements ionisants en France : bilan 2013 », IRSN.


L’effectif exposé correspond au nombre de travailleurs pour lequel au moins une dose supérieure au seuil d’enregistrement des dosimètres a été enregistrée. La réglementation impose un seuil d’enregistrement maximal de 0,1 mSv. 

En cas de contamination interne par un radionucléide, la dose dite engagée est celle délivrée sur toute la durée pendant laquelle le radionucléide est présent dans l’organisme. Par défaut, la période d’engagement est prise égale à 50 ans.

Philippe Demeaux, médecin du travail à la centrale EDF de Penly