Chronique du sauvetage de la centrale californienne de Diablo Canyon - Sfen

Chronique du sauvetage de la centrale californienne de Diablo Canyon

Publié le 20 septembre 2022 - Mis à jour le 22 septembre 2022
  • Californie
  • Diablo
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Revenu sur sa décision de 2016 de fermer la centrale de Diablo Canyon, le gouverneur démocrate de Californie, à la suite des black-out de 2020 et, de façon récurrente, des tensions sur le réseau, a soumis au vote du Sénat américain, démocrate par la majorité, une proposition de loi visant d’une part à reporter la fermeture de 10 ans, d’autre part à soutenir financièrement l’exploitant PG&E pour la réalisation des investissements de maintenance nécessaires. Bien que la loi fut votée à une très large majorité favorable, le gouverneur n’obtiendra qu’une remise de fermeture de 5 ans.

Vendredi 2 septembre 2022, le gouverneur Gavin Newsom a entériné la décision de prolongation de l’exploitation des deux réacteurs de la centrale de Diablo canyon pour cinq années supplémentaires, repoussant ainsi leur fermeture de novembre 2024 et août 2025 à octobre 2029 et octobre 2030. Pourtant, rien ne portait à croire en pareil revirement lorsque six ans auparavant, en 2016, le gouverneur s’exprimait sur la dernière centrale nucléaire de Californie en ces termes : « Je ne vois pas cette centrale survivre au-delà de 2024, 2025 ».

C’est l’ONG Friends of Earth (FOE) qui lance le top départ d’un processus institutionnel d’un an et demi qui aboutira en 2018 à un plan de fermeture de la centrale. Pour cette dernière, l’enjeu est clair : il faut développer les énergies renouvelables (ENRi) et Diablo Canyon, en fournissant l’électricité bas carbone en base, provoque l’inertie du système et freine le déploiement des ENRi dans le système électrique californien. Par ailleurs, FOE pointe le risque sismique[1], et l’impact sur l’environnement, en particulier les organismes marins à cause du système de refroidissement de la centrale.

La Sfen avait déjà publié sur le très bon niveau de sûreté de la centrale. Quant à l’impact sur la destruction de biomasse, essentiellement des petits poissons et des larves, la centrale de Diablo est classée treizième, en terme d’impact, sur l’ensemble des centrales thermiques en bord de mer, là où par exemple, la centrale au gaz fossile de Moss Landing est classée sixième, avec un rapport de presque six en terme d’impact sur la biomasse et pour une puissance installée moindre, selon une étude du California Water Board.

Une décision basée sur un rapport d’ONG

L’ONG commandite au Centre pour l’efficacité énergétique et les technologies renouvelables (CEERT) un rapport sur l’opportunité économique de la fermeture de Diablo Canyon pour la collectivité. D’après l’étude, la Californie aura besoin de moins d’électricité dans les deux décennies à venir, et le coût de renouvellement des licences de Diablo sera de 17 milliards de dollars, là où l’option renouvelable et efficacité énergétique se chiffrerait entre 12 et 15 milliards de dollars. Au-delà de la critique scientifique et technique qui peut en être faite – notamment les hypothèses extrêmement conservatrices[2] sur le coût de production de Diablo Canyon -, on s’étonne de la légitimité d’une telle décision prise sur la seule base d’un rapport commandité par une ONG, ouvertement antinucléaire, qui a bénéficié d’une dotation initiale de 500 000 dollars apportée par Robert Orville Anderson, propriétaire d’une compagnie pétrolière, la Atlantic Richfield.

Rapport en main, FOE rencontre Melissa Lavinson, vice-présidente de la compagnie PG&E. Or, à cette époque, cette dernière est incertaine sur l’avenir de la centrale pour raisons économiques, notamment car l’organe gouvernemental en charge de la gestion de l’eau, le ‘California Water Board’, devait se prononcer cette année sur la question de savoir si PG&E doit être contraint ou non d’installer un nouveau système de refroidissement utilisant moins d’eau de mer. Le groupe, qui estime le coût de remplacement du système de refroidissement à 14 milliards de dollars, voit la fermeture de la centrale poussée par les groupes environnementaux comme une aubaine. Un groupe de discussion se forme, incluant les ONGs, l’électricien PG&E, les autorités gouvernementales et les syndicats. Ces derniers, ultime obstacle à la décision de fermeture avec 1500 emplois en jeu, obtiennent de l’entreprise un package de 350 millions de dollars en bonus ainsi qu’un plan d’aide à la reconversion pour ses futurs ex-employés. Les militants pronucléaire n’auront pas eu voix au chapitre durant toute la négociation de l’accord.

Une décision de fermeture où chaque participant y trouve son compte

La décision, certes prise sous la pression de groupes environnementalistes politiquement animés par le désir de sortir du nucléaire, permet à tous les acteurs réunis de trouver leur compte. Pour le gouverneur, il s’agissait de ne pas se mettre à dos l’électorat écologiste en vue des élections de 2018. Pour l’industriel PG&E, il s’agissait de se débarrasser de ce qui est alors perçu comme un possible futur fardeau économique. Ainsi, la California Public Utilities Commission approuve en 2018 un plan de fermeture de la première tranche du réacteur en 2024 et de la seconde l’année suivante.

Lors des discussions de 2016, Ralph Cavanagh, co-directeur du Natural Resources Defense Council (NRDC), groupe environnementaliste influent aux États-Unis, a été un des maillons clefs de la décision de fermeture. Consulté en tant qu’expert indépendant, celui-ci avançait que dans un système avec de plus en plus d’EnRi, c’est de flexibilité dont nous aurons besoin et que « une ressource géante [Diablo Canyon], opérant 24/7 est déconnectée des besoins du système électrique ». La centrale produit 90 % du temps et fournit actuellement 17 % de l’électricité bas carbone à la Californie et 8,6 % du total, mais elle ne permet pas de faire du suivi de charge en temps réel. Dans un système électrique avec une pénétration du solaire forte (17 TWh en 2017 contre 27 TWh en 2020), cette situation augmente le besoin en écrêtage pour assurer l’équilibre électrique. In fine, les coûts système peuvent être plus grands avec Diablo Canyon, assurait-il.

Premièrement, PG&E n’a réalisé aucune étude chiffrée sur les coûts système induits par l’écrêtement avec ou sans Diablo Canyon. Deuxièmement, du point de vue de la collectivité, il n’est pas absolument pas certain que fermer une capacité qui produit une électricité autour de 40 €/MWh dans un État où les consommateurs payent plus cher leur électricité que leur compatriotes (160 €/MWh) soit optimal économiquement. Troisièmement, aucune étude prospective n’a été réalisée sur le potentiel de flexibilité offert par la centrale, quitte à changer son mode de fonctionnement en base à semi-base, voire en 100 % flexible.

Une analyse du MIT et de Stanford contradictoire

Ces trois points ont été analysés en profondeur par une équipe de chercheurs du MIT et de l’université de Stanford dans une étude parue en novembre 2021. Les auteurs de l’étude arrivent à la conclusion qu’en reportant à 2035 la mise hors service de Diablo Canyon, l’état pourrait réduire les émissions de CO2 de son secteur de l’électricité de plus de 10 % par rapport aux niveaux de 2017, économiser 2,6 milliards de dollars en coûts systèmes et améliorer la fiabilité d’un réseau aux prises avec un risque de défaillance élevé voire de black-out. Selon la même étude, la centrale pourrait, en changeant son profil de charge, produire de l’hydrogène à un coût inférieur de 50 % à celui produit à partir de solaire ou d’éolien. En outre, elle pourrait être utilisée comme source d’énergie pour le dessalement d’eau de mer, ce qui augmenterait sa valeur de près de 50 %. Il existe donc des opportunités économiques en dehors de l’injection d’électricité sur les réseaux.

On passerait d’une valeur économique de la centrale qui réside dans sa capacité à produire bas carbone, en base et à bas coût, dans un système ou les EnRi ne sont pas encore ultra-majoritaires, à une valeur du nucléaire qui réside dans sa capacité à faire de la flexibilité lors des épisodes hivernaux – peu de soleil – ou en été lors des épisodes anti cycloniques et caniculaires – peu de vent. Elle valoriserait également sa production hors réseaux. Au contraire des précédentes analyses menées en 2016, les auteurs démontrent dans cette étude la grande complémentarité entre nucléaire et ENRi. De façon significative, le graphique ci-dessous montre que, même dans un scénario 100 % flexible, le facteur de charge de la centrale reste élevé (~ 70 %) aux horizons 2040, ce qui démontre son rôle pivot dans la sécurité d’approvisionnement du système électrique de Californie.

Un revirement politique total

Reste que les études ne fournissent pas le comburant nécessaire aux changements de caps politiques. En revanche, les épisodes récurrents de pénuries et de black-out appellent des affects politiques bien plus puissants. Ce fut le cas  lorsque le système électrique de la sixième économie du monde faillit une soirée d’août 2020 et quelques heures durant la nuit suivante. Le gouverneur sera obligé entre autres d’autoriser les générateurs diesel. C’est dans ce contexte que le gouverneur Newsom, réélu après les élections de 2018, revient sur sa décision et somme les législateurs d’en faire de même en repoussant la fermeture de la centrale de 10 ans et en octroyant un prêt étatique de 1,4 milliard de dollars. La perte de la capacité nucléaire est non plus seulement interprétée sous le prisme abstrait et théorique des rapports d’expert, mais comme un évènement aux conséquences dramatiques, en témoigne le revirement radical de la sénatrice Dianne Feinstein, farouchement opposée à la centrale qui, dans un récent texte aux allures de repentance, écrit : « La fermeture de Diablo Canyon retirerait 18 TWh du réseau […]. Lorsque le courant est coupé, des vies sont mises en danger ».

Une décision politique qui s’inscrit dans une stratégie électorale

L’arbitrage politique pour les Démocrates est clair. Puisque la responsabilité de la sécurité d’approvisionnement de la Californie leur incombe, il faut voter le maintien de Diablo, pilier de cette sécurité. C’est donc sans surprise que la loi a été votée au Sénat à 69 voix pour contre 3 voix contre. Parallèlement à sa décision, le gouverneur maintient le cap établi en 2018 pour les développeurs de projets renouvelables et insiste pour que le rythme de déploiement se poursuive comme si la centrale fermait en 2025. D’ailleurs, une clause dans le texte de loi prévoit que la centrale ne soit pas prolongée si le développement des EnRi atteint une maturité suffisante.

De son côté, PG&E n’aura rien vu venir. Dans son rapport sur sa stratégie climatique paru en juin 2022, l’entreprise évoque toujours une fin de production de Diablo canyon en 2025. En effet, l’entreprise souhaitait cesser l’activité de Diablo Canyon pour raisons économiques et ne poussait absolument pas à une remise en cause de la décision (rappelons ici que ce qui est rationnel économiquement pour un exploitant peut ne pas l’être pour la collectivité). La décision de poursuite de l’exploitation pour au moins cinq années supplémentaires appelle à des investissements de maintenance pour lesquels l’entreprise n’était pas préparée financièrement et, surtout, dans un contexte où les groupes d’oppositions continuent de faire peser un risque politique fort : « Certains de ces groupes […] déposent régulièrement des pétitions auprès de la Commission de régulation du nucléaire (NRC) […] pour contester les actions de la NRC et inciter les entités gouvernementales à adopter des lois ou des politiques en opposition à l’énergie nucléaire », peut-on lire dans le rapport susmentionné à l’adresse des investisseurs.

Par ailleurs, la stratégie de fourniture en combustibles devra s’inscrire dans le nouveau cahier des charges du département de l’énergie américain, ‘the Fueling Our Nuclear Future Act of 2022’ dont une ligne directrice est de sécuriser un approvisionnement complètement dégagé de la dépendance russe[3]. Ces mesures font suite au vote, en mars 2022, d’une loi interdisant les importations russes d’uranium. En 2020, 30 % de l’uranium enrichi et du plutonium venaient de Russie.

Patti Potte, CEO de PG&E, résume la situation dans le magazine Power : « Ce n’est pas une option facile et elle requerra une grande coordination entre l’état, les organes de régulation, PG&E ainsi que beaucoup d’autres acteurs impactés par cette décision. […] il y a beaucoup d’obstacles à surmonter pour aller de l’avant ». Un de ses obstacles sera notamment le renouvellement de la licence d’exploitation de la centrale accordée par la NRC. Cette dernière s’était déjà prononcée favorablement à l’exploitation des deux réacteurs jusqu’en 2024 et 2025.

Le ‘Civil Nuclear Credit Program’ a un rôle clef à jouer

L’administration Biden a lancé en avril dernier un programme de crédit public au nucléaire civil (le terme de crédit est trompeur, il s’agit ici de subventions). Ce programme prévoit une enveloppe de 6 milliards de dollars, au niveau fédéral, pour préserver le patrimoine nucléaire existant, ainsi que les milliers d’emplois hautement qualifiés qui en dépendent, en soutenant les exploitants-investisseurs qui, pour raisons économiques, planifient la cessation de leur activité à court et moyen terme (jusqu’en 2031 sous réserve de fonds suffisants).

La date limite de candidature au programme était le 6 septembre. Or pour être éligible, l’état de Californie devait faire voter sa loi. La Californie s’attend donc à ce que le prêt de 1,4 milliard de dollars soit remboursé, par une probable future subvention obtenue par le programme de crédit public. Un covenant au texte de loi spécifie toutefois que dans le cas où Diablo Canyon ne serait pas retenu par le programme fédéral, toutes les sommes non engagées devront être retournées, et le programme de prêt s’arrêterait. ■

Par Ilyas Hanine (Sfen)

Photo : Centrale de Diablo Canyon – ©CC

[1] La centrale de Diablo Canyon est située proche des failles de San Andreas et celle d’Hosgri entre autres. Au-delà des controverses d’expertise impliquant des capitaines de l’industrie fossile dont les intérêts pour la fermeture de la centrale sont évidents, la sismologue en chef de l’équivalent du BRGM américain indique en 2013 que la faille peut provoquer un séisme d’une magnitude de 6.4 à 6.8 ; en 2010, PG&E indiquait que la centrale était dimensionnée pour résister à un séisme de magnitude 7.5. D’autre part, la centrale se situe à 25 mètres au-dessus du niveau de la mer, là où le site de Fukushima se situe à 6 mètres au-dessus du niveau de la mer. La commission régulatoire du nucléaire américaine (NRC) estime dans une étude de 2010 que le risque annuel d’un séisme suffisamment puissant pour endommager le cœur du réacteur de la centrale est de 1 sur 23 810. https://en.wikipedia.org/wiki/Diablo_Canyon_earthquake_vulnerability (toutes les sources des études sont documentées sur la page Wikipédia dédiée).

[2] Le CEERT prend une hypothèse de coût à environ 100 $/MWh, là où l’étude du MIT/Stanford se situe un peu au-dessus de 40 $/MWh.

[3] Harvard, Atlas of economic complexity – “Uranium (enriched), plutonium”.

 

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