Diablo Canyon : les défis du nucléaire californien
Surplombant l’océan Pacifique, la centrale nucléaire de Diablo Canyon opère sans encombre depuis 1985 ses deux réacteurs à eau pressurisée construits par Westinghouse, actuellement certifiés pour une durée de fonctionnement de 40 ans. Ces deux unités produisent en moyenne 18 TWh d’électricité par an, répondant aux besoins de près de trois millions de Californiens. Ceci représente près de 10% du mix énergétique californien, 20% de l’électricité que Pacific Gas and Electricity (PG&E) – l’opérateur local – fournit sur son secteur, et fait du nucléaire l’une des principales sources d’électricité décarbonnée de l’État.
Ainsi, depuis plus de 25 ans, Diablo Canyon a permis d’éviter chaque année l’émission de 6 à 7 millions de tonnes de gaz à effet de serre (GES) qu’auraient produites des centrales traditionnelles – au gaz naturel en particulier. Pourtant, malgré la contribution significative de l’énergie nucléaire dans la réduction des émissions de GES en Californie, un moratoire voté par l’État en 1976 interdit toute nouvelle construction de centrale nucléaire jusqu’à ce qu’une solution permanente soit trouvée au problème du stockage des déchets radioactifs. Suite à la fermeture des deux réacteurs de la centrale de San Onofre en 2013 pour des raisons économiques, Diablo Canyon pourrait donc être la dernière installation nucléaire à opérer dans le Golden State.
Diablo Canyon, la centrale nucléaire la plus surveillée des États-Unis
Le professeur Per Peterson est spécialiste de sûreté nucléaire au sein du département de Nuclear Engineering de l’Université de Californie à Berkeley et membre du Diablo Canyon Independent Safety Committee (DCISC, Comité Indépendant de Sûreté de Diablo Canyon) depuis 2008. Nous l’avons interrogé, le 10 février dernier, afin d’en apprendre davantage sur les caractéristiques de cette centrale et son impact sur le mix énergétique californien. Le DCISC, unique à l’échelle américaine, a été établi en 1988 et regroupe trois experts chargés de surveiller et d’émettre des recommandations concernant la sûreté de la centrale. Bien que le comité ne soit pas doté du pouvoir de régulation de la Nuclear Regulatory Commission (NRC, équivalent de l’ASN française), le professeur Peterson précise que « les visites mensuelles effectuées par ses membres et les rapports annuels qui en découlent sont systématiquement pris en compte par l’opérateur PG&E ».
Outre le DCISC, d’autres comités d’évaluation existent, tels que l’Institute of Nuclear Power Operations (INPO), entité nationale qui réalise régulièrement un classement des centrales nucléaires américaines en fonction de leur sûreté et de leurs performances. Dans ce contexte, « Diablo Canyon est l’une des centrales nucléaires les plus surveillées des Etats-Unis », affirme le professeur.
Un niveau de sûreté inégalé
Située à proximité des failles sismiques de San Andreas, Hosgri et Shoreline (découverte plus récemment), dont les tremblements de terre ne dépasseront pas une magnitude de 6.5 sur l’échelle de Richter d’après les sismologues, la centrale nucléaire de Diablo Canyon est dimensionnée pour résister à un séisme de magnitude 7.5. Suite à l’accident de Fukushima, de nouvelles voix se sont élevées, remettant en question la sûreté de cette centrale qui concentre la plupart des luttes anti-nucléaires de l’État depuis les années 1970. Pourtant, le professeur Peterson nous rappelle que « Diablo Canyon est intrinsèquement plus sûre que Daiichi ». En effet, elle est située à 25 mètres au-dessus du niveau de l’océan – contre seulement 6 mètres pour les murs protecteurs de la centrale japonaise –, ce qui la rend plus résistante aux tsunamis.
Par ailleurs, contrairement au Japon où l’autorisation du Premier ministre était requise avant toute action majeure des opérateurs pour gérer l’accident, le Code of Federal Regulation américain laisse aux opérateurs la responsabilité de prendre les décisions et d’agir immédiatement après un accident afin d’assurer la sûreté de leur centrale, ce qui accélère considérablement leur action. Outre ces facteurs intrinsèques, des améliorations sont en cours d’implémentation à Diablo Canyon suite aux recommandations post-Fukushima de la NRC et du DCISC. On compte ainsi le développement du matériel FLEX – équipements mobiles qui prennent le relais des générateurs diesel en cas de panne de courant prolongée – et l’amélioration de l’instrumentation de contrôle des zones difficilement accessibles en cas de sinistre telles que la piscine de stockage du combustible usagé.
De plus, le professeur Peterson mentionne que grâce aux observations du DCISC, « la protection des travailleurs de la centrale en cas de séisme – et non simplement des équipements classés de sûreté – est en train d’être revue à la hausse avec des espaces de travail plus sûrs ». Bien que les recommandations les plus importantes aient déjà été suivies d’effet, la durée de fonctionnement de la centrale ne sera pas prolongée à 60 ans tant que des études complémentaires de résistance aux séismes – actuellement prometteuses – n’auront pas été complétées.
Moratoire pour le « Cigéo » américain
Cependant, le plus gros défi présenté par le nucléaire en Californie, qui n’a pas encore été résolu, est la création d’un centre de stockage géologique permanent pour le combustible usagé après son entreposage sur site. À court terme, le fonctionnement de Diablo Canyon n’est pas problématique puisque sa capacité de stockage suffit à accueillir le combustible usagé de la centrale pendant les 20 prochaines années. À plus long terme, l’échec du projet de Yucca Mountain et l’absence d’un réel engagement politique, malgré les conseils émis en 2012 par la Blue Ribbon Commission[1], ne sont pas très encourageants. Pourtant, l’urgence de la situation est telle que l’on envisage actuellement de mettre en place des centres de stockage temporaires, permettant d’évacuer le combustible usagé des trois centrales californiennes en attente de démantèlement. Même si cette initiative devait être prise, il est peu probable qu’elle ait un impact sur le moratoire, et celui-ci ne sera remis en question que lorsqu’une solution pérenne aura été trouvée.
La place du nucléaire dans le futur paysage énergétique californien
Au-delà du défi posé par les déchets, l’intérêt économique du nucléaire en Californie est actuellement au cœur des discussions. Il n’est pas à craindre que la situation vécue à San Onofre – l’autre centrale nucléaire californienne fermée définitivement en 2013 suite à la découverte de fissures au niveau de ses générateurs de vapeur qu’il aurait fallu changer – se reproduise à Diablo Canyon. En effet, les générateurs de vapeur de cette dernière ont été remplacés il y a peu et se montrent particulièrement performants. Cependant, avec un gaz naturel historiquement peu cher et l’émergence d’énergies renouvelables qui entraînent parfois des prix négatifs de l’électricité, la compétition est à l’heure actuelle particulièrement rude pour le nucléaire aux Etats-Unis. La donne pourrait changer si la Californie, confirmant son rôle de précurseur dans la lutte contre le réchauffement climatique, implémentait une taxe carbone, et si une solution au problème du stockage permanent des déchets nucléaires était trouvée à l’échelle nationale, permettant de mettre fin au moratoire californien. L’innovation serait alors un facteur clé d’intégration du nucléaire et des énergies renouvelables, en permettant davantage de suivi de charge tel qu’il est actuellement fait en France afin de compenser l’intermittence des sources solaire et éolienne.
C’est la piste actuellement suivie par l’industrie nucléaire américaine avec ses projets innovants – incluant les Small Modular Reactors – qui pourraient révolutionner le secteur à long terme. Aux pouvoirs politiques de prendre le relais, alors que la position officielle du gouvernement consiste à explorer toutes les voies permettant de réduire les émissions de GES. C’est dans ce contexte que l’administration Obama a récemment réitéré son engagement en faveur du nucléaire à travers la voix de Pete Lyons, adjoint du Secrétaire d’État américain de l’Énergie chargé de l’énergie nucléaire, qui affirmait il y a quelques jours à Washington : « la fermeture prématurée de centrales nucléaires performantes nuirait gravement aux efforts poursuivis par les États-Unis afin de réduire leurs émissions de CO2 ».
Comité d’experts, dont fait partie le professeur Peterson, chargé en 2010 par le Secrétaire d’État américain de l’Énergie d’émettre des recommandations quant au futur de la gestion des déchets nucléaires aux Etats-Unis.