Canicule : les réacteurs nucléaires s’adaptent aux évènements extrêmes
Une vague de chaleur va traverser la France dans les jours à venir. Le mercure pourrait atteindre, voire dépasser les 40°C. Dans ce contexte, certains réacteurs nucléaires, à l’instar de toutes les centrales électriques, pourraient voir leur puissance réduite afin de protéger les écosystèmes des fleuves et rivières. Ces pertes de production se chiffrent en moyenne à 0,4 % par an.
Alors que Météo France annonce pour cette semaine une vague de chaleur possiblement caniculaire dans l’Hexagone, le débat politique sur le nucléaire s’échauffe sur la question de l’opération des réacteurs nucléaires dans des situations de grande chaleur ou grande sécheresse. Ces situations seront en effet amenées à se produire de plus en plus souvent avec le changement climatique. Certains y voient une preuve d’une « intermittence » du nucléaire. En pratique, selon RTE, de 2015 à 2020, les indisponibilités des réacteurs nucléaires pour raisons climatiques se sont élevées en moyenne à 1,4TWh, soit moins de 0,4% de la production nucléaire annuelle.
Des contraintes réglementaires pour préserver la biodiversité
D’une manière générale, une centrale nucléaire, comme toute centrale thermique (charbon, gaz) a besoin d’eau pour permettre le fonctionnement et le refroidissement de ses différents circuits. Les installations sont donc installées à proximité de la mer, d’un fleuve ou d’une rivière. Elles y prélèvent une certaine quantité d’eau, avant d’en restituer la majeure partie à l’environnement (environ 98 %, source : centre d’information sur l’eau). Ces prélèvements et rejets sont strictement encadrés par des contraintes réglementaires fixées site par site par l’ASN. Les arrêts ou réductions de puissance de réacteurs n’ont pas pour origine le manque d’eau mais le souci de prélever moins d’eau ou d’en limiter l’augmentation de température, pour des raisons environnementales, principalement la protection de la biodiversité.
Les épisodes de chaleur et de sécheresse peuvent avoir des impacts sur la température et sur le débit de certains fleuves ou certaines rivières, en amont même des centrales. Aussi EDF peut être amenée, pour rester conforme à la réglementation, à réduire ponctuellement la production de certaines unités. Ainsi le 10 mai dernier, EDF a dû baisser sa production sur la centrale du Blayais de 100MW pour satisfaire la limite réglementaire de température de 30 degrés pour les rejets thermiques d’hiver dans la Gironde. À noter que cette limite passe à 36,5 degrés pour l’été à partir du 15 mai. De la même manière, EDF a annoncé, comme c’est son obligation légale vis-à-vis du gestionnaire de réseau et du marché, une baisse probable de production du réacteur n°1 de la centrale de Saint-Alban Saint-Maurice, située sur le Rhône. Sur cette centrale, la règlementation fixe à 3°C maximum l’échauffement du Rhône, avec une température aval maximale de 28°C du 16 mai au 30 septembre, afin d’éviter toute conséquence sur la flore et la faune aquatique. Les centrales situées en bord de mer (14 réacteurs sur les 56), sont peu, voire pas, impactées. L’eau y est plus froide et abondante, et les rejets n’ont qu’un très faible impact thermique au-delà de la zone proche de l’endroit des rejets.
Ces baisses de production restent très faibles, non seulement au regard de la production annuelle, mais aussi au regard des autres causes d’indisponibilités ou de modulation. (cf. RTE rapport de mars 2021)
Ces baisses ont concerné, selon RTE, 9 des 14 centrales fluviales entre 2015 et 2020, et sont induites soit par des températures élevées soit par des débits faibles. Selon une présentation de RTE en mars 2021 (GT1 Climat réunion #4), les pics de puissance simultanément indisponibles se sont élevés entre 1 et 6GW. Elles ont été sans conséquence sur la sécurité d’approvisionnement française, dans la mesure où elles adviennent pendant la période estivale ou la consommation d’électricité, de l’ordre de 50GW, est très inférieure au pic de consommation hivernal (de l’ordre de 80GW). La période d’été est d’ailleurs en général le moment que choisit l’exploitant pour procéder à la maintenance et au rechargement des réacteurs nucléaires en combustible.
Des épisodes de plus en plus médiatisés
Les baisses de production sont très médiatisées et reprise dans les débats sur l’avenir du nucléaire. Cela a été le cas par exemple pour la baisse de production du Blayais le 10 mai dernier, même si elle représentait moins de 1 % de la production nucléaire de ce jour. Dans la même journée, les productions éoliennes et terrestres ont présenté des variations de production d’amplitudes de 50 à 100 %, mais n’ont fait l’objet d’aucune couverture médiatique. Il est important de noter que, d’une manière générale, l’accroissement de la fréquence et de la durée des événements chaud affecteront le système électrique dans son ensemble, que ce soient la consommation, les différents moyens de production et les réseaux de transport et de distribution.
Le cas le plus important d’un épisode de ce genre a concerné les coupures de courant imposées en août 2020 en Californie[1]. Ces coupures ont résulté à la fois d’une utilisation intensive de la climatisation, de l’indisponibilité imprévue de certaines centrales électriques, d’imports limités en électricité des États voisins et de la production solaire et éolienne insuffisante. Cela a conduit à un déséquilibre entre la production et la consommation d’électricité. À noter que la centrale nucléaire de Diablo Canyon a fonctionné de manière normale au maximum de sa capacité pendant toute la vague de chaleur. D’une manière générale, de nombreux exemples dans le monde montrent que les centrales nucléaires peuvent être adaptées pour fonctionner en situation très fortes chaleurs ou de manque d’eau. La centrale de Barakha[2] aux Émirats arabes unis comporte ainsi deux réacteurs de 1,4GW en opération depuis 2020 et 2021. La centrale de Palo Verde aux États-Unis, d’une puissance de 4GW, située dans le désert de l’Arizona, est refroidie avec les eaux usées de villes avoisinantes, dont la ville de Phoenix. De la même façon, l’Espagne, dont un seul des sept réacteurs est en bord de mer, a montré[3] ces dernières années très peu d’indisponibilités.
Quelles perspectives à 2050 ?
Dans son étude « Futurs énergétiques 2050 », RTE rappelle que l’essentiel du risque sur la sécurité d’approvisionnement électrique restera concentré sur les vagues de froid hivernal. Néanmoins, elle note que « l’augmentation des situations de sécheresse à la fin de l’été et à l’automne pourra également conduire à des périodes de tension pour l’équilibre offre-demande d’électricité, d’autant plus si ces sécheresses se combinent avec des périodes de faible vent ». RTE met l’accent sur la nécessité de gérer différemment le stock hydraulique, car le remplissage des barrages lié à la fonte des neiges sera plus précoce dans l’année et les sécheresses tardives seront plus fréquentes au début de l’automne.
Elle note que, même si les centrales nucléaires existantes situées en bord de fleuve seront plus régulièrement affectées par des périodes de forte chaleur et de sécheresse, les volumes d’énergie « perdue », qui pourraient concerner des baisses de puissance ponctuelle significatives, resteront faibles à l’échelle annuelle. La sensibilité des nouveaux réacteurs nucléaires à ces aléas climatiques pourra être minimisée grâce aux aéroréfrigérants pour les futures centrales en bord de fleuve. ■
Par Valérie Faudon (Sfen)
Photo : Centrale du Blayais (Gironde), @PATRICK BERNARD- AFP
[1] https://www.sfen.org/rgn/californie-revele-transition-energies-renouvelables-simple/
[2] https://fr.wikipedia.org/wiki/Centrale_nucl%C3%A9aire_de_Barakah
[3] Canicule, sécheresse… pourquoi le parc nucléaire espagnol est-il peu sensible aux aléas climatiques ? Blog énergie et développement Aout 2021