Terrestrial Energy mise sur les réacteurs à sels fondus - Sfen

Terrestrial Energy mise sur les réacteurs à sels fondus

Publié le 31 octobre 2015 - Mis à jour le 28 septembre 2021
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L’effervescence américaine est contagieuse et d’autres entrepreneurs se lancent dans l’aventure pour créer leur propre technologie de réacteurs nucléaires. C’est le cas de Terrestrial Energy. Depuis bientôt trois ans, cette entreprise canadienne développe un Réacteur Intégral à Sels Fondus (Integral Molten Salt Reactor, IMSR). Pour le dirigeant de cette start-up de 30 personnes, Simon Irish, financier aguerri, l’objectif est de commercialiser une première unité dans la prochaine décennie.

Comment est née Terrestrial Energy ?

Simon Irish : Nous avons créé Terrestrial Energy en janvier 2013. Notre objectif est de commercialiser un réacteur à sels fondus : le réacteur intégral à sels fondus (Integral Molten Salt Reactor, IMSR). Ce réacteur a été imaginé par notre directeur technologique, le Docteur David Leblanc. Terrestrial Energy fête ses trois ans. Nous avons plus de 30 salariés aujourd’hui, dont certains hautement qualifiés, et le projet avance.

En 2016, nous allons présenter notre technologie à l’autorité de sûreté nucléaire canadienne et engager le processus de pré-licence. Notre ambition est d’avoir certifié, construit et commencé à exploiter notre première unité au Canada pendant les années 2020.

Nous sommes persuadés que nous pouvons commercialiser l’IMSR pendant les années 2020. Plusieurs facteurs viennent conforter cette idée. Le premier est l’état de préparation de la conception de l’IMSR. Un premier prototype avait été conçu et exploité entre 1965 et 1969 par le laboratoire national d’Oak Ridge (Tennessee, États-Unis). Il s’agissait alors du réacteur expérimental à sels fondus (MSRE) de 8 MW thermique. Tout comme le MSRE, l’IMSR utilise un combustible sous forme de fluorure d’uranium mélangé avec des sels porteurs. Le cœur de ce réacteur « brûleur » fonctionne avec un spectre thermique, modéré par des éléments de graphite. Le combustible est un liquide, alors que les réacteurs nucléaires conventionnels utilisent tous un combustible solide.

En outre, notre conception intégrée, qui comprend une unité-cœur remplaçable, supprime la problématique de la durée de vie des matériaux, souvent citée comme un obstacle à la commercialisation. En réalité, bien qu’il y ait beaucoup de travail d’ingénierie à faire, il n’existe pas d’obstacle technique insurmontable à la commercialisation de l’IMSR.

Quelle sera la puissance du réacteur ?

Simon Irish : L’IMSR est un petit réacteur modulaire. L’unité elle-même est de 400 MW thermique, ce qui représente 192 MW électrique, et nous sommes confiants à l’idée que nous pourrons commercialiser et exploiter une première unité pendant les années 2020.

Pourquoi avoir choisi cette technologie ?

Simon Irish : Notre analyse est que parmi les réacteurs de quatrième génération, seule la technologie des réacteurs à sels fondus offre « l’innovation coût » dont le nucléaire a besoin pour être compétitif dans un système énergétique dominé par les énergies fossiles.

J’entends trop souvent cette petite musique qui voudrait que le réacteur à sels fondus fait face à des défis technologiques importants qui mettront des années à se résoudre. C’est totalement faux. D’abord, il n’y a pas de « modèle unique » de réacteur à sels fondus. Derrière ce terme générique se cache une multitude de technologies. Il est vrai que certains modèles doivent surmonter des défis techniques majeurs, mais c’est aussi le cas pour les réacteurs à combustible solide.

Aujourd’hui, le nucléaire n’a pas de problème technologique, mais plutôt un problème économique : la technologie des réacteurs conventionnels est trop compliquée et trop chère. Si vous voulez remplacer les énergies fossiles vous avez besoin d’énergie nucléaire compétitive. Chez Terrestrial Energy, nous pensons que notre produit sera adapté aux besoins du marché et de l’industrie : sûr, simple et facile à exploiter. Ces atouts sont liés à l’utilisation d’un combustible liquide aux sels fondus avec notre architecture « intégrée ».

Est-ce difficile d’être une start-up dans l’industrie nucléaire ?

Simon Irish : En Amérique du Nord, et en particulier aux États-Unis, l’économie est très dynamique lorsqu’il s’agit d’investir pour soutenir des entreprises ou des technologies innovantes. Le secteur privé est moteur : il n’y a qu’à regarder le rôle croissant joué par les entreprises américaines dans le lancement de satellites pour s’en convaincre.

Il est important de comprendre qu’aujourd’hui, le développement d’une nouvelle technologie de réacteur n’a rien à voir avec un programme d’envergure comme le programme Apollo de voyage sur la Lune. Désormais, le secteur privé peut assurer le développement des nouveaux réacteurs.

 


Nous croyons que nous pouvons changer le secteur de l’énergie.


Comment l’industrie vous accueille-t-elle ?

Simon Irish : Ce qui est vraiment essentiel pour notre entreprise est de convaincre nos pairs – les ingénieurs des grandes entreprises du secteur – des mérites industriels et commerciaux de notre technologie.

Les premières expériences que nous avons eues depuis la création de Terrestrial Energy ont été très encourageantes. L’industrie se montre très intéressée par notre réacteur IMSR, ce qui est une excellente surprise ! Les différents acteurs reconnaissent qu’il n’y a pas d’obstacle technique à la commercialisation de l’IMSR. Ce sont aussi des hommes d’affaires qui reconnaissent à la fois l’opportunité énergétique de cette technologie et les perspectives commerciales des vingt prochaines années.

Que pensez-vous du programme « GAIN » ?

Simon Irish : La Maison Blanche a mis en place en 2015 un ensemble d’initiatives pour soutenir l’innovation nucléaire. L’administration Obama montre ainsi qu’elle reconnaît l’importance de l’innovation nucléaire pour l’économie américaine, la sécurité d’approvisionnement énergétique et le respect des engagements climatiques des États-Unis.

Le programme GAIN (voir page 53) s’intègre dans un panel de mesures et constitue un signal important pour les prochaines politiques en matière de R&D nucléaire. GAIN permettra de mettre les ressources considérables du réseau des laboratoires nationaux des États-Unis à la disposition des entreprises privées qui développent de nouveaux réacteurs. C’est une bonne chose ! Nous vivons des moments passionnants pour le développement des nouveaux réacteurs. 

Entretien avec Simon Irish, propos recueilli par la Rédaction de la SFEN