Décryptage : schéma de financement proposé pour la première centrale nucléaire polonaise - Sfen

Décryptage : schéma de financement proposé pour la première centrale nucléaire polonaise

Publié le 8 avril 2025

La Sfen avait récemment décrypté le modèle de financement de la centrale de Dukovany [1] approuvé par la Commission européenne. La Sfen décrypte ici celui proposé par la Pologne pour la construction de sa première centrale nucléaire. Le choix de retenir des prêts étrangers dans un contexte de taux sans risques relativement hauts pour la Pologne conduit à des prix relativement élevés pour les consommateurs futurs.

Début novembre 2022, la Pologne, qui produit une grande partie de son électricité avec des centrales à charbon confirme le lancement du programme nucléaire polonais avec la sélection de l’américain Westinghouse pour la construction d’une première centrale nucléaire. Le site de Lubiatowo-Kopalino, dans le nord-ouest du pays, doit accueillir 3 réacteurs AP1000, conçus par un consortium entre Westinghouse et Bechtel, qui apportera son expérience en ingénierie, gestion de projet et achats. L’entreprise publique Polskie Elektrownie Jadrowe (PEJ), sera chargée elle de la construction et de l’exploitation de cette première centrale, ainsi que celles qui suivront. Le gouvernement prévoit en effet la construction de 6 à 9 GW de capacités nucléaires d’ici 2043.

En septembre 2024, les autorités polonaises ont soumis à la Commission européenne leur proposition pour apporter un soutien au projet sous la forme d’une aide d’État. Le coût total du projet est estimé à environ 192 milliards de PLN, soit 47 milliards de dollars [2] pour une puissance nette installée de 3,3 GW. Le 18 décembre 2024, la Commission européenne a officiellement lancé la procédure d’instruction et publié les détails du schéma financier [3]. Celui-ci diffère par certains points du schéma de Dukovany [4] lequel inspire aujourd’hui les autorités françaises pour le financement du programme des 6 EPR2. Il reprend néanmoins quelques grands principes des schémas développés en Europe ces dernières années. L’instruction devrait durer entre 12 à 18 mois.

En France, à l’occasion du Conseil de politique nucléaire du 17 mars dernier, le gouvernement a annoncé avoir progressé sur la définition du schéma financier pour la construction de 6 réacteurs EPR2. Il prévoit un prêt à taux bonifié pour au moins la moitié du coût de construction et un CFD inférieur à 100€/MWh.

Une participation de l’État polonais destinée à réduire le coût du capital

La Sfen a souvent documenté que, pour les projets nucléaires, le coût final de production de l’électricité est très sensible au coût moyen pondéré du capital.

  • L’État polonais a prévu, de même que l’État britannique pour le projet de Sizewell C, une part d’investissement direct : le Trésor public doit fournir 30 % des coûts d’investissement totaux sous forme de fonds propres via des injections de capital à PEJ. Ce capital, même s’il est apporté par l’État, n’est pas une subvention, et devra donc être rémunéré au Coût moyen pondéré du capital (CMPC Equity (CoE)) de PEJ.
  • Les 70% des coûts d’investissement restants, soit entre 130 et 150 milliards de PLN (environ 31 à 35 milliards d’euros) seront financés sous forme de dettes, garanties à 100% par l’État polonais, avec la répartition suivante :

– 40% de la Banque d’import-export des États-Unis (EXIM)

– 10% d’autres agences de crédit à l’exportation (ECAs)

– 20% par des emprunts auprès d’investisseurs polonais et étrangers

Si l’État polonais n’exigera pas de prime pour garantir intégralement la dette à hauteur de 100 %, il faut noter que ces prêts ne sont pas bonifiés, à la différence du projet Dukovany en République Tchèque, où l’État prévoit un prêt à taux zéro pendant la phase de construction, ou du programme français. Cette garantie est néanmoins cruciale car PEJ, en tant qu’entité nouvelle, juridiquement distincte et indépendante, est un emprunteur à haut risque, qui ne dispose pas de note de crédit. Les agences de crédit à l’exportation et les banques commerciales ne financeront ce projet qu’en fonction du risque souverain.

La répartition pourra évoluer en fonction de plusieurs facteurs dont la liquidité du marché, les conditions offertes par les différents acteurs, et l’apport éventuel, si nécessaire, de fonds supplémentaires du Trésor public polonais. Il est prévu en effet qu’en cas de dépassement des coûts, PEJ chercherait en priorité des financements auprès des agences de crédit à l’export, qui bénéficieraient alors de garanties de l’État sans frais supplémentaires. En dernier ressort, PEJ pourrait recevoir des contributions supplémentaires en fonds propres de l’État.

La contribution de l’État dans le financement permet de réduire le CMCP pour ce premier projet. Selon le document publié par la Commission, sans soutien public, ce coût se situerait entre 8,5 % et 10,5 %.  Avec l’intervention de l’État, ce coût est réduit à une fourchette de 6 % à 8 %. Bien que ce taux puisse paraître élevé, il reflète le coût relativement important de la dette (même souveraine) en Pologne, actuellement de 5.43 %.

Un mécanisme de garantie de revenu sous forme de CfD (contract for difference)

Il est prévu que PEJ vende toute l’électricité qu’elle produit sur le marché, soit directement, soit par le biais d’enchère de contrats d’achat d’électricité (PPA). Il est précisé que la centrale ne pourra limiter volontairement son offre pour influencer le prix, ni non plus vendre son électricité en dessous de ses coûts marginaux.

PEJ recevra un montant de revenu déterminée par la somme de ces revenus de marché et le cas échéant le paiement de compensations dans le cadre du contrat par différence CfD bilatéral. Ce contrat permettra d’assurer la stabilité des revenus pour une durée de 60 ans, correspondant à la durée d’exploitation de la centrale.

Le recours à des prêts étrangers – en particulier un financement à 40 % via des banques d’investissement/export américaines – dans un contexte où les taux sans risque restent relativement élevés pour la Pologne, conduit l’État polonais à compenser ce coût de l’argent par une hausse du strike price. Ce surcoût sera in fine supporté par les consommateurs futurs. Ainsi dans le scénario de base, incluant une marge de 10 % sur les coûts d’investissement, le prix d’exercice après l’aide de l’État est estimé à environ 470-550 PLN/MWh (110-130€/MWh).

Des mécanismes de partage des risques entre PEJ et l’État Polonais

Au-delà du scénario de base, il est prévu que le prix du CfD varie pour compenser un certain nombre de risques portés par PEJ :

  • En cas de retard dans la construction : ainsi il est précisé qu’une hypothèse de retard d’un an entraînerait une augmentation du prix d’exercice à 500-580 PLN/MWh (120-133€/MWh), tandis qu’un retard de trois ans le porterait à 550-630 PLN/MWh (130-150€/MWh) ;
  • En cas variation du taux de change avec le dollar américain : il est précisé qu’une dépréciation du PLN de 20 % d’ici 2040 entraînerait une hausse du prix d’exercice à 550-630 PLN/MWh (130-150€/MWh), tandis qu’une appréciation du PLN dans la même période le réduirait à 450-530 PLN/MWh (110-125€/MWh) ;
  • En cas de risques imprévisibles : sont inclus des changements sur les coûts éligibles strictement définis et aussi sur des variables échappant au contrôle de PEJ, tels que les changements imprévisibles de l’inflation pouvant entrainer une augmentation des prix, ou des taux d’intérêts. La vérification de ces changements dans les coûts éligibles serait effectuée par l’autorité de régulation.

Un autre mécanisme important prévu est la prise en compte, dans le mécanisme de soutien au prix, des phénomènes de prix négatifs, liés au développement des sources de production renouvelables. Les autorités polonaises souhaitent que la centrale n’ait pas intérêt à maximiser sa production, en continuant à produire sans réagir aux signaux de marché, même dans ces périodes de prix très bas. Il est prévu d’observer, dans le mécanisme du CfD, les variations du facteur de charge réel (augmentation ou diminution) à la fin d’une période donnée par rapport au facteur de charge prévu pour cette même période, en tenant compte de l’évolution attendue du marché, et de prévoir un ajustement de la rémunération en conséquence. ■

Par Floriane Jacq et Valérie Faudon (Sfen)

Image : Vue d’artiste de la centrale polonaise de Lubiatowo-Kopalino, Source : Polskie Elektrownie Jadrowe

[1] https://www.sfen.org/rgn/decryptage-leurope-approuve-un-financement-innovant-pour-le-nucleaire-tcheque-une-inspiration-pour-la-france/

[2] EU examines Polish state aid for nuclear power plant – World Nuclear News

[3] STATE AID – MEMBER STATE – State aid SA.109707 (2024/C) (ex 2024/N) – Aid measures for the first nuclear power plant in Poland – Invitation to submit comments pursuant to Article 108(2) of the Treaty on the Functioning of the European Union

[4] https://www.sfen.org/rgn/decryptage-leurope-approuve-un-financement-innovant-pour-le-nucleaire-tcheque-une-inspiration-pour-la-france/