La Sfen décrypte le nucléaire mondial dans un nouveau rapport

La Sfen entend témoigner du dynamisme du secteur nucléaire à l’échelle internationale. Elle publiera désormais chaque année un document recensant les avancées et les défis du secteur. Un rapport à retrouver in extenso sur son site.
La relance du nucléaire dans le monde – édition 2023 », est le nouvel outil de référence proposé par la Société française d’énergie nucléaire (Sfen) à l’usage de la vaste communauté des acteurs du secteur. Le document fera l’objet d’une mise à jour annuelle rendant compte des concrétisations, des défis ou des difficultés rencontrés par le secteur. Après une décennie de ralentissement consécutif à l’accident de Fukushima-Daiichi au Japon, le retour du nucléaire dans les esprits et les stratégies énergétiques est notable. Mais l’engagement politique, le soutien de l’opinion publique ou encore la mise en place de modèles de financement adaptés sont autant de conditions requises pour le passage à la construction.
La relance, c’est quoi ?
Lorsqu’on parle de « relance du nucléaire », cela comprend l’ensemble des mesures faisant de l’énergie atomique un élément incontournable du mix énergétique mondial. À l’heure actuelle, sa plus importante manifestation est le lancement de nouveaux projets de construction de réacteurs de forte puissance, supérieure à 700 MWe1. Mais l’exploitation à long terme des unités en exploitation et le développement des petits réacteurs modulaires et avancés (SMR/AMR) en font aussi partie, leur place au sein des rapports à venir étant appelée à se développer.
Cette dynamique nouvelle concerne particulièrement l’Europe et les États-Unis après une longue période d’atermoiements. D’autres pays, comme la Chine et la Russie ont affiché, au contraire, un soutien continu au nucléaire. Parmi les grands acteurs de l’industrie, il faut mentionner l’Inde, qui vise à en devenir un acteur global, la Corée du Sud, qui remet en marche le nucléaire aussi bien pour elle qu’à l’export, mais aussi le Japon, qui souhaite accélérer le redémarrage de son parc tout en préparant, depuis peu, son renouvellement. Enfin, la relance, c’est aussi la fin de l’invisibilisation du nucléaire dans les grands sommets internationaux. Longtemps boudé pendant les COP sur le climat, le nucléaire y est désormais présenté comme une solution tandis que l’Alliance du nucléaire en Europe a aussi permis de mettre en évidence l’intérêt d’une quinzaine de pays pour l’atome : la France bien sûr, la Belgique, la Bulgarie, la Croatie, l’Estonie, la Finlande, la Hongrie, les Pays-Bas, la Pologne, la République tchèque, la Roumanie, la Slovénie, la Slovaquie et la Suède, mais aussi l’Italie avec le statut d’observateur, et le Royaume-Uni en tant qu’invité non communautaire.
L’Europe et les États-Unis se réveillent
L’Europe est le siège de grands programmes de construction : le Royaume-Uni vise un objectif de 24 GW de nucléaire en 2050 et a deux EPR en construction ; la France souhaite construire six EPR tout en étudiant la réalisation de huit unités supplémentaires ; la Pologne a un programme pour développer 6 à 9 GW de nucléaire. La Bulgarie, les Pays-Bas, la République tchèque ont également des projets nucléaires en gestation. Cette relance européenne est d’autant plus remarquable que l’accident nucléaire de Fukushima-Daiichi, en 2011, avait provoqué un gel durable des nouveaux projets. L’Allemagne avait décidé la fermeture de son parc nucléaire de 20 GW et la France, sous la présidence de François Hollande, prévoyait de faire passer le nucléaire de 75 % à 50 % de son mix électrique en 2025. Mais la guerre en Ukraine2 a interrompu le sommeil de l’Europe dont une grande partie des membres continuait à compter sur le gaz russe, à l’exception de la Pologne et du Royaume-Uni. Marc-Antoine Eyl-Mazzega, directeur du Centre énergie & climat de l’Institut français des relations internationales (Ifri), l’expose sans détours dans la préface du rapport. « En réalité, Berlin s’est enfermé dans une dépendance au gaz russe bon marché et aux exportations vers la Chine. Sa stratégie était d’y associer toute l’Europe, dont les politiques devaient soutenir le modèle allemand de transition appuyé sur les énergies renouvelables tous azimuts, le gaz naturel bon marché en équilibrage, les contrats carbone, et l’hydrogène à grande échelle ».
Pour les États-Unis, la relance consiste à préserver la santé économique du parc historique, à renforcer le secteur du combustible et à faire un retour en force à l’export. Ils soutiennent aussi les petits réacteurs modulaires (SMR/AMR) qui ont bénéficié d’un soutien important et continu : GAIN3 en 2015, lois Neica4 en 2018 et Neima5 en 2019, ARDP6 en 2020. Résultat : une série de nouveaux acteurs apparus dès le début des années 2000, comme TerraPower en 2006, NuScale en 2007 ou X-Energy en 2009 ont pu prendre de l’ampleur. Malgré ce volontarisme, le ministère de l’Énergie américain constatait en avril 2020 que « l’Amérique [était] en train de perdre sa position de leader mondial dans le domaine du nucléaire au profit d’entreprises d’État, notamment [celles de] la Russie et [de] la Chine […] ». L’invasion de l’Ukraine par la Russie de 2022 a très certainement renforcé la frontalité de ces rivalités internationales et incité les États-Unis à opérer un retour dans le domaine nucléaire (entre autres) en Europe de l’Est avec la proposition de réacteurs AP1000 en Ukraine, en Bulgarie et en Pologne.
En Europe, malgré le foisonnement de projets et le nombre limité d’acteurs à l’export, la compétition sera rude comme l’illustre l’exemple tchèque ou s’opposent l’américain Westinghouse, EDF et le coréen KHNP.
Chine et Russie : la constance de la politique nucléaire
S’ils partagent la même constance, la grande différence entre la Chine et la Russie tient en ce que la première construit uniquement sur son territoire (Pakistan excepté), alors que la Russie est le premier exportateur mondial de réacteurs. Le carnet de commandes russe est bien rempli : début des chantiers des premiers réacteurs biélorusses à partir de 2013, du Bangladesh (2017), de la Turquie (2018) et de l’Égypte (2022), sans oublier le lancement de nouveaux réacteurs en Inde (2017) et en Chine (2021). En 2023, la Russie comptait pas moins de 19 réacteurs en construction ou en projets à l’extérieur de ses frontières (les deux unités biélorusses sont entrées en service en 2020 et 2023). Au niveau national, la Russie a également mis en service huit réacteurs depuis 2015 dont les deux petits réacteurs de la barge Akademik Lomonosov et Beloyarsk-4, un réacteur à neutrons rapides refroidi au sodium de 800 MW (BN-800). Avec le BN-600, le pays compte aujourd’hui deux réacteurs à neutrons rapides en exploitation. Ainsi la Russie reste à la pointe de l’industrie nucléaire.
La Chine connaît un rythme de construction important avec la mise en service de plus de 20 unités entre 2018 et 2023. Le pays dispose également de deux réacteurs à haute température en exploitation et construit deux réacteurs à neutrons rapides refroidis au sodium de 600 MWe à Xiapu. Outre ces deux technologies, la Chine s’est illustrée par l’octroi d’une licence d’exploitation au réacteur expérimental à sels fondus (TMSRLF1) de 2 MWth en juin 2023. La Chine dispose d’une filière industrielle performante et qui investit fortement dans les nouvelles technologies de réacteurs.
Une analyse dynamique appelée à s’étoffer
À la Sfen, la réflexion pour la mise à jour du document de 2024 est d’ores et déjà lancée : maîtrise du cycle du combustible, SMR/ AMR, approvisionnement en combustible, gestion des déchets nucléaires sont autant de sujets déterminants qui seront abondamment traités. Comme de nombreux acteurs cherchent à se défaire de la Russie dans le domaine du combustible (les Russes détiennent le monopole sur le combustible moyennement enrichi [Haleu]), nul doute que la concurrence se renforcera au gré des opportunités commerciales. Par ailleurs, la liste des pays mentionnés, ou la place qui leur est donnée pourraient également s’enrichir. C’est notamment le cas de l’Italie et de la Suède. Il s’agira également d’être attentif au développement des nouveaux entrants, comme les Émirats arabes unis, la Turquie ou l’Égypte… Ainsi qu’à ceux qui pourraient à moyenne échéance se lancer dans l’aventure du nucléaire comme l’Arabie saoudite ou le Kazakhstan.
1. Selon les critères de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA). 2. En France, le discours de Belfort d’Emmanuel Macron annonçant le programme EPR 2 est intervenu deux semaines avant l’invasion de l’Ukraine. 3. Gateway for Accelerated Innovation in Nuclear. 4. Nuclear Energy Innovation Capabilities Act. 5. Nuclear Energy Innovation and Modernization Act. 6. Advanced Reactor Demonstration Program.