R.Schellenberger : « Le territoire de Fessenheim n’a jamais souhaité la fermeture de la centrale nucléaire » - Sfen

R.Schellenberger : « Le territoire de Fessenheim n’a jamais souhaité la fermeture de la centrale nucléaire »

Publié le 25 février 2020 - Mis à jour le 28 septembre 2021
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Raphaël Schellenberger, député du Haut-Rhin (LR), répond aux questions de la rédaction de la RGN l’hebdo à la suite de l’arrêt de la première tranche de la centrale nucléaire de Fessenheim, le 22 février dernier. L’élu alsacien est également président de la mission d’information sur le suivi de la fermeture de la centrale nucléaire aux côtés de 21 députés de la commission du développement durable.

Le mercredi 29 janvier 2020, l’Assemblée nationale a mis en place une mission d’information sur le suivi de la fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim, dont vous êtes le président. En quoi consistera le travail de cette mission d’information ?

La création de cette mission d’information fait suite à une demande que j’avais formulée en septembre dernier auprès de Richard Ferrand, président de l’Assemblée nationale, et de Barbara Pompili , présidente de la commission du Développement durable et de l’aménagement du territoire. Il me semble essentiel que le Parlement puisse engager dès à présent un travail de suivi et de contrôle en la matière, l’arrêt prématuré des deux réacteurs de la centrale nucléaire de Fessenheim constituant une première inédite dans l’histoire industrielle de notre pays. La situation mérite l’exemplarité ; cette mission parlementaire devra y contribuer.

Notre travail doit, à mon sens, permettre de faire la lumière sur les véritables raisons ayant présidé au choix d’arrêter Fessenheim plutôt qu’un autre site, alors même que cette centrale est l’une des plus sûres de France selon l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN).

Le suivi des conséquences économiques, sociales et énergétiques, que je crains, lourdes, constituera naturellement un axe majeur de nos travaux.

Il nous faudra également interroger le processus juridique de fermeture et suivre, techniquement, l’arrêt puis le démantèlement des deux réacteurs.


Je ne crois pas au pari hasardeux d’une baisse aussi significative de la consommation d’électricité en Alsace, région industrielle qui compte nombre de sites électro-intensifs.


Quels sont les différents projets envisagés pour la reconversion du site de Fessenheim ? L’Allemagne est-elle proactive dans la reconversion du territoire ?

Le territoire de Fessenheim n’a jamais souhaité la fermeture de la centrale nucléaire. Cette décision lui a été imposée par l’Etat qui, de fait, assume une pleine responsabilité et doit s’engager dans la reconversion économique du territoire. Les collectivités territoriales n’ont pas attendu l’arrêt des réacteurs pour penser l’avenir de l’Alsace. Dès le 1er comité de pilotage, il y a plus de deux ans, étaient notamment identifiés le besoin d’un site de production d’énergie important, avec une centrale de 600 MW pouvant brûler du gaz vert, et d’évolution sur le tarif de rachat pour la méthanation.

Sur ces éléments, le gouvernement n’a permis aucune avancée concrète. Les annonces faites en matière de photovoltaïque ne seront pas à même de compenser le recul du nucléaire en Alsace.

C’est donc la double peine. A la perte de l’outil industriel exceptionnel que constitue une centrale nucléaire performante, le territoire de Fessenheim se voit subir un abandon de la part de l’Etat, dont il apparaît aujourd’hui clairement aux yeux de tous que son engagement dans la reconversion n’est pas à la hauteur de sa responsabilité.

Au sujet de l’engagement de nos voisins allemands, le gouvernement semble bien en peine de les associer au projet de techno-centre EDF de recyclage des métaux issus de centrales nucléaires. Mais la France se donne-t-elle véritablement les moyens de développer un projet en mesure de les intéresser ? J’en doute quand je vois que rien n’est fait sur la définition d’un seuil de libération, pourtant identifié par EDF depuis deux ans comme un préalable indispensable à la réalisation de ce techno-centre.



En 2019, la centrale nucléaire de Fessenheim a battu un record de production couvrant, à elle seule, 85 % des besoins en électricité du territoire alsacien. Quelles seront les conséquences en matière de sécurité d’approvisionnement et d’émissions de CO2 ?

La centrale nucléaire de Fessenheim occupe aujourd’hui une place centrale dans le système électrique alsacien. Son arrêt est une source de préoccupations sérieuses sur le plan énergétique.

L’espace très industrialisé du Rhin supérieur, avec ses 6 millions d’habitants, consomme en pointe 22 000 MW. Cet espace produisait jusqu’à présent 15 000 MW principalement avec des centrales nucléaires et à charbon. Avec la fermeture d’ici 2022 des centrales nucléaires allemandes et de la plupart des centrales suisses, la production d’électricité sera alors limitée à 4 000 MW dans le Rhin supérieur après 2023, articulée autour d’un équilibre très fragile reposant sur les éoliennes allemandes de la mer du Nord, dont la disponibilité moyenne est de 25 %, et sur la centrale nucléaire de Cattenom située à 300 km de Fessenheim. Aucune alimentation ne pourra donc venir en pointe d’Allemagne et de Suisse pour soutenir le réseau alsacien.

La pointe historique alsacienne est supérieure à 3 000 MW alors que la production hydroélectrique du Rhin tombe à moins de 300 MW en hiver, soit un déséquilibre de 2 700 MW. Or, avec les chiffres de l’alimentation électrique fournis par le modèle de RTE, on arrive à une puissance de 1 236 MW dont il faudra en plus déduire les pertes réseau et transformation. On se demande alors d’où viennent, dans ces conditions, les quelques 1 500 MW manquants ?

Je ne crois pas au pari hasardeux d’une baisse aussi significative de la consommation d’électricité en Alsace, région industrielle qui compte nombre de sites électro-intensifs. RTE et l’Etat doivent apporter davantage de garanties.


Propos recueillis par Maruan Basic (SFEN)