Responsabilité civile nucléaire : entrée en vigueur des conventions de Paris et de Bruxelles, 18 ans après leur adoption - Sfen

Responsabilité civile nucléaire : entrée en vigueur des conventions de Paris et de Bruxelles, 18 ans après leur adoption

Publié le 21 janvier 2022 - Mis à jour le 1 février 2022
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Le 1er janvier sont entrés en vigueur les protocoles d’amendement des conventions de Paris et de Bruxelles. Ils régissent la responsabilité civile des exploitants nucléaire en cas d’accident.

Un événement très important marque le début de l’année 2022 dans le domaine de la responsabilité civile pour dommage nucléaire (RCN). Il s’agit de l’entrée en vigueur des protocoles d’amendement des conventions de Paris et de Bruxelles signés le 12 février 2004. Ces protocoles, dont le texte vient d’être publié au Journal Officiel par décret du 17 janvier, ont pu entrer en vigueur 18 ans après leur signature grâce au dépôt simultané des instruments de ratification par les États parties aux conventions d’origine, ce qui s’est produit le vendredi 17 décembre 2021 dans le cadre de l’Agence de l’énergie nucléaire (AEN) de l’OCDE.

Ce dépôt simultané était une condition rendue nécessaire par le fait que les protocoles modifient, notamment, une règle de compétence juridictionnelle, matière qui relève aujourd’hui du droit communautaire.

Le régime de la RCN

Rappelons que la RCN est un régime de responsabilité civile propre aux exploitants d’installations nucléaires et qui est dérogatoire au droit commun de la responsabilité civile. Ce régime est fondé, depuis plus de 60 ans, sur les principes suivants :

La « canalisation » de la responsabilité sur l’exploitant de l’installation : personne d’autre que lui ne peut voir sa responsabilité engagée au titre des dommages résultant d’un accident nucléaire (que celui-ci trouve son origine dans son installation ou dans un transport à destination ou en provenance de celle-ci) ; l’exploitant peut, cependant, dans certaines conditions et seulement après que les victimes ont été indemnisées, exercer un recours contre le ou les fournisseurs qui seraient à l’origine de l’accident ;
La responsabilité objective ou sans faute de l’exploitant (1) : les victimes sont dispensées d’apporter la preuve de la responsabilité de ce dernier ;
La limitation de la responsabilité de l’exploitant : son montant est fixé par des conventions internationales et peut être complété par des contributions de l’Etat de l’installation ainsi que d’Etats qui ont décidé de s’unir pour s’apporter mutuellement une contribution supplémentaire ;
– En contrepartie, l’obligation pour l’exploitant de posséder et de maintenir une assurance ou une garantie financière couvrant le montant de sa responsabilité pour chacun des éléments entrant dans la définition du dommage nucléaire ;
La limitation de la responsabilité de l’exploitant dans le temps : les actions doivent être introduites dans un certain délai après la survenance du dommage ;
– L’unicité de compétence juridictionnelle : seuls sont compétents, pour accueillir les demandes de réparation, les tribunaux de l’Etat sur le territoire duquel est survenu l’accident.

Les conventions internationales sur la RCN

Ces principes ont été introduits pour la première fois dans le droit international par la convention de Paris sur la responsabilité civile dans le domaine de l’énergie nucléaire, adoptée en 1960 sous l’égide de l’OECE (devenue l’OCDE). Ils ont été repris à l’identique par la convention de Vienne relative à la responsabilité civile en matière de dommages nucléaires, adoptée en 1963 dans le cadre de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA). La convention de Paris a été complétée par la convention de Bruxelles adoptée en 1963 qui offre un financement complémentaire à l’indemnisation des dommages nucléaires. La convention de Vienne a, elle aussi, été complétée par la convention de réparation complémentaire des dommages nucléaires (CRC) adoptée en 1997. En 1988, soit juste après l’accident de Tchernobyl, a été adopté le Protocole commun qui fait le pont entre les conventions de Paris et de Vienne et permet d’étendre aux victimes d’un Etat partie à l’une des conventions le bénéfice de l’autre, pourvu que chacun des Etats ait adhéré au Protocole. Coexistent donc deux systèmes conventionnels mais fondés sur les mêmes principes.

La convention de Paris réunit 16 États, dont la France et la plupart des pays d’Europe occidentale, soit 11 Etats nucléaires ou ayant un projet de programme électronucléaire. La convention complémentaire de Bruxelles réunit 13 de ces 16 Etats. La convention de Vienne réunit 43 Etats, dont 19 Etats d’Europe centrale et orientale, mais seulement 10 Etats nucléaires ou ayant un projet de programme électronucléaire ; la CRC réunit 11 Etats, dont 7 Etats nucléaires, parmi lesquels les Etats-Unis, le Japon et l’Inde. En l’absence d’une réglementation unique au sein de l’Union européenne, les Etats européens sont partagés entre les deux systèmes de conventions : 11 sont parties à la convention de Paris et 9 le sont à la convention de Vienne.

Les protocoles de 2004 : quelles améliorations ?

Les protocoles de 2004 ont pour but d’améliorer le régime de RCN établi par les conventions de Paris et de Bruxelles en offrant des moyens accrus pour l’indemnisation d’un plus grand nombre de victimes. Les principales améliorations portent sur les points suivants :

Augmentation des fonds disponibles en cas d’accident nucléaire survenant sur le territoire (ou dans la zone économique exclusive – ZEE) d’un des Etats parties : désormais les montants de responsabilité des exploitants s’élèvent à 700 millions d’euros (M€) par installation et par accident (70 M€ pour les installations à « risques réduits ») et à 80 M€ pour les accidents survenant lors d’un transport de substances radioactives.
S’y ajoutent deux contributions supplémentaires, dont les montants ont été également augmentés : celle de l’Etat de l’installation, soit 500 M€, et celle des Etats parties à la convention de Bruxelles, soit 300 M€. Les fonds disponibles pour l’indemnisation des victimes d’un accident nucléaire s’élèvent donc au total à 1,5 Md€.
Extension de l’indemnisation des dommages nucléaires à de nouvelles catégories de victimes : Pourront être indemnisées non seulement les victimes des Etats contractants mais aussi celles des États non-contractants à condition que ceux-ci soient parties à la convention de Vienne et au Protocole commun ou qu’il s’agisse d’Etats non nucléaires ou offrant des avantages équivalents.
Élargissement des catégories de dommages nucléaires ouvrant droit à indemnisation :
Pourront être indemnisés : les dommages immatériels, le coût des mesures de restauration d’un environnement dégradé, les manques à gagner en lien avec une utilisation de l’environnement, le coût des mesures de sauvegarde.
Extension du délai de prescription en cas de décès ou de dommage corporel : ce délai passe de 10 à 30 ans.
Attribution de compétence juridictionnelle aux Etats côtiers dans certaines conditions : lorsqu’un accident survient dans la ZEE d’un Etat contractant, les tribunaux de cette partie seront seuls compétents pour connaître des actions en réparation des dommages nucléaires.

Quels changements, en pratique, en France ?

La France avait partiellement anticipé en 2016 l’entrée en vigueur du protocole d’amendement de la convention de Paris en fixant les montants de responsabilité à la charge des exploitants aux mêmes niveaux que ceux prévus par ce protocole (700, 70 et 80 M€). En revanche, les montants de responsabilité à la charge de l’Etat français ainsi qu’à celle des États parties à la convention de Bruxelles sont désormais applicables.

Sont également applicables toutes les autres améliorations apportées par les protocoles de 2004 et décrites ci-dessus. En outre, le régime de la RCN est désormais défini par les articles L. 597-1 à L. 597-25 du code de l’environnement, qui ont été introduites dans le code par l’ordonnance du 5 janvier 2012.

Marc Léger, Président de la Section droit et assurance de la Sfen

(1) L’Allemagne et la Suisse ont adopté un régime de responsabilité illimitée mais les exploitants ne sont tenus de fournir une assurance ou une garantie financière que dans la limite prévue par la loi.