Le redéploiement industriel, un instrument de maîtrise de notre empreinte carbone

Le redéploiement industriel est un levier qui (ré)concilie les ambitions économiques et écologiques. L’Union des industries utilisatrices d’énergie (UNIDEN) et le cabinet d’audit Deloitte ont présenté le 16 décembre 2020 les premiers résultats de leur étude visant à estimer l’impact carbone de la désindustrialisation. Une politique de reconquête industrielle des sept filières étudiées pourrait réduire l’empreinte carbone de la France de 5 millions de tonnes de CO2.
L’étude vise à répondre à la question suivante, explique Nicolas de Warren, président de l’UNIDEN, « la forte réduction des émissions domestiques de l’industrie depuis 1990 n’est-elle pas due à la forte désindustrialisation que la France a connu sur la même période contribuant dès lors à la dégradation de son empreinte carbone ? », avant de décrire une « double peine », c’est-à-dire une perte de capacités industrielles et une hausse des émissions carbone.
L’étude se concentre sur les évolutions de sept filières intensives en énergie (acier, aluminium, papier, PVC, ciment, verre plat, sucre) sur la période 1995-2015.L’empreinte carbone de la France a augmenté de 18 % entre 1995 et 2015. Cet indicateur comprend les émissions directes des ménages, de la production intérieure pour la demande intérieure et celles des biens et services importés. L’inventaire national d’émissions de gaz à effet de serre a, quant à lui, diminué de 17 % sur la même période. A noter que le calcul des émissions carbone de l’inventaire national exclut les imports mais comprend les émissions de CO2 des exportations. Cette tendance peut notamment s’expliquer par le décrochage industriel de la France qu’il est nécessaire d’illustrer en chiffres :
– la part de l’industrie dans le PIB (produit intérieur brut) est passée de 15 % en 1995 à 10 % en 2015[1]. La part des sept filières étudiées a même été divisée par deux (une part de 1 % en 1995 contre 0,5 % en 2015) ;
– l’emploi industriel en France a baissé de 23 % entre 1995 et 2015[2] ;
– en dehors de l’acier, toutes les filières étudiées ont vu leur solde commercial se dégrader[3]. En 2010 la part moyenne de l’industrie dans le PIB était de 6 points inférieure à la moyenne européenne (12,6 % contre 18,6 %)[4].
« L’enjeu de l’étude a été de mesurer l’impact de ce déclassement relatif : nous avons retracé entre 1995 et 2015, ce qu’aurait été le niveau de production de chaque filière si elle n’avait pas subi la pression d’importations supplémentaires, tout en contrôlant l’évolution de la consommation afin de ne pas confondre une baisse imputable à une variation de la consommation avec une autre, imputable au commerce international », explique Olivier Sautel, chef de projet à Deloitte. Les résultats montrent que sur la période donnée, la production industrielle des seules filières étudiées est inférieure de 3 milliards d’euros à ce qu’elle aurait été sans cette pression extérieure et 13 000 emplois ont été supprimés ou n’ont jamais été créés.
Une augmentation de l’empreinte carbone de la production substituée
Une fois ce volume de production substituée quantifié, en se basant sur les données des douanes, il a été couplé aux données d’analyse d’émissions carbone. L’étude montre ainsi que la désindustrialisation a provoqué une hausse d’émissions de 50,3 % sur les volumes substitués et confirme qu’une production en France est presque systématiquement et nettement préférable à une production importée en matière d’émissions carbone », résume Olivier Sautel Il apparaît que les émissions de gaz à effet de serre (GES) d’une production d’aluminium en Chine sont 6 fois supérieures à celles d’une production française. Pour la filière du papier, la France émettrait 8 fois moins que l’Allemagne et 3 fois moins que l’Espagne pour la production de papier journal. L’importante variation des émissions carbone s’explique par le mix électrique bas carbone de la France. En dehors, de l’électricité l’avantage de certaines filières liée à la production de chaleur, l’efficacité des procédés et les émissions liés aux transports sont également des facteurs importants.
Des volumes de reconquêtes ont été analysés et pourraient représenter en 2035 3,7 milliards d’euros de productions supplémentaires (1,1 milliard d’euros de valeur ajoutée), la création de 9 600 emplois et induire une baisse d’émissions de 5 millions de tonnes de CO2.
L’intégralité de l’étude sera publiée en février 2021.
[1] Voir présentation de l’étude. http://www.uniden.fr/vag2020.htm
[2] Un phénomène qui s’explique aussi par le progrès technique et par le transfert statistique d’une partie des activités industrielles dans le secteur des services.
[3] Voir présentation de l’étude à 21 : 00. http://www.uniden.fr/vag2020.htm
[4] Elie Cohen, Pierre-André Buigues, Le décrochage industriel, éditions Fayard, 2014.