Le recyclage pour réduire l’empreinte environnementale du nucléaire - Sfen

Le recyclage pour réduire l’empreinte environnementale du nucléaire

Publié le 30 septembre 2015 - Mis à jour le 28 septembre 2021
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Une nouvelle évaluation de l’empreinte environnementale de l’énergie nucléaire démontre que le recyclage de l’uranium et du plutonium est la pierre angulaire de tout système nucléaire durable et respectueux de l’environnement. Trier et recycler les matières valorisables issues des déchets ménagers et industriels est en passe devenir une démarche naturelle pour préserver l’environnement. Elle permet de diminuer significativement le volume des déchets, d’économiser les ressources naturelles et donc de limiter notre impact sur l’environnement. Personne ne remet en cause les bénéfices du recyclage qui a vu se développer de nouveaux procédés et des industries à la base d’une future économie circulaire. 

 

Dans le domaine de l’énergie nucléaire, le recyclage est déjà mis en œuvre industriellement comme en France, au Japon ou au Royaume-Uni. Recycler les matières nucléaires est un pilier essentiel des systèmes nucléaires du futur. En effet, le recyclage des matières nucléaires énergétiques contenues dans les combustibles irradiés permet d’utiliser plus efficacement la ressource en uranium naturel, et réduit considérablement l’empreinte environnementale globale du nucléaire. Ainsi, recycler les matières nucléaires permet d’économiser près de 20 % d’uranium naturel pour une même quantité d’électricité produite. En changeant de génération de réacteurs, l’économie d’uranium peut encore être démultipliée : la quantité de matières nucléaires et d’uranium appauvri produite pendant la durée de fonctionnement d’un réacteur pourrait permettre, grâce au recyclage, de produire pendant plus de mille ans la même quantité annuelle d’électricité. Cela requiert néanmoins de disposer de réacteurs avec un flux de neutrons plus important et avec des neutrons plus énergétiques : c’est tout l’enjeu des réacteurs de 4ème génération, et notamment des réacteurs à neutrons rapides (RNR). Ils pourraient devenir une réalité industrielle dans la seconde moitié du siècle et produire une électricité de base décarbonée sans production de CO2 atmosphérique.

Dans ce contexte, disposer d’indicateurs quantitatifs et robustes pour évaluer l’impact du recyclage sur l’empreinte environnementale est important. Nous avons donc développé un outil de simulation de type « Analyse de Cycle de Vie » qui a pour originalité de prendre en compte la réalité des intrants et entrants environnementaux pour toutes les installations du cycle électronucléaire français, sur la base des rapports environnementaux de chaque installation. Cet outil – NELCAS (Nuclear Energy Life Cycle Assessment) – nous a permis d’évaluer l’empreinte environnementale de l’énergie nucléaire, de la comparer avec d’autres sources d’énergie et d’examiner l’influence du recyclage des matières.

 

Le recyclage des matières nucléaires

Lier l’énergie nucléaire, en particulier le traitement des combustibles, avec une faible empreinte environnementale n’est pas une évidence pour le grand public, car le nucléaire est souvent associée à des accidents ou aux déchets à vie longue. La réalité de l’empreinte environnementale du nucléaire est tout autre.

Les réacteurs nucléaires utilisent l’énergie libérée par la fission d’une partie des noyaux d’uranium, (l’isotope 235 de l’uranium) pour produire de la chaleur et vaporiser de l’eau qui fait tourner une turbine pour produire de l’électricité. La quantité d’énergie libérée par chaque réaction de fission est si importante que même après avoir été utilisé pendant 3 à 4 ans, seul environ 5 % du combustible initial a été réellement consommé, le reste constituant le combustible nucléaire « usé » qui contient encore environ 95 % de l’uranium initial, mais avec une moindre teneur en uranium 235. Il contient aussi 1 % de plutonium, autre réserve énergétique importante. Néanmoins, ce combustible ne peut pas être brûlé plus, car il contient des produits de fission qui « empoisonnent » progressivement les réactions de fission. Alors, que faire de ce combustible nucléaire usé ?

Certains pays, comme la Suède et la Finlande, considèrent ce combustible usé comme un déchet ultime, à enfouir profondément, en stockage géologique. C’est le « cycle direct » ou « cycle du combustible ouvert » (Once Through Cycle – OTC). Cette option fait fi des 95 % d’uranium et du 1 % de plutonium que contient encore le combustible. D’autres pays (la France, le Japon, le Royaume-Uni et bientôt la Chine) ont décidé de récupérer par des procédés performants de recyclage, ces matières énergétiques valorisables encore présentes dans le combustible usé pour produire une deuxième génération de combustible, le MOX (mixed oxides). Cela permet d’avoir un cycle partiellement fermé dans lequel les matières énergétiques passent deux fois en réacteur (Twice Through Cycle – TTC – cycle avec monorecyclage).

Malheureusement, en raison de l’accumulation d’isotopes du plutonium non-fissiles dans les réacteurs, le MOX usé ne peut pas être recyclé dans les réacteurs, ce qui limite donc le recyclage. Pour un multi-recyclage (MTC) effectif des matières, il faut disposer de réacteurs avec des neutrons d’énergies plus élevées (réacteurs à neutrons rapides) permettant la fission de tous les isotopes du plutonium et de favoriser la transformation de l’uranium 238 en plutonium fissile. Ces réacteurs transforment l’uranium 238 non-fissile en matière fissile. On parle alors d’isotope fertile.

Ces RNR consommant très efficacement l’uranium naturel, ils sont appelés à se développer dans pour permettre une production propre et plus efficace d’énergie nucléaire décarbonée. Leur capacité à utiliser efficacement l’uranium-238 pourrait permettre de produire de l’électricité pendant plusieurs millénaires sans avoir besoin de nouvelles ressources naturelles, simplement en utilisant les stocks d’uranium appauvri et multi-recyclant le plutonium. Néanmoins, une telle perspective ne deviendra réalité que si l’acceptabilité du nucléaire est suffisamment large dans l’opinion publique, ce qui requiert en particulier, de répondre aux craintes du public concernant son empreinte environnementale (déchets, accidents, rejets …).

Définir l’empreinte environnementale du nucléaire

Pour définir l’empreinte environnementale du nucléaire, l’outil numérique d’Analyse de Cycle de Vie (NELCAS[1]) prend en compte pour chaque installation du cycle électronucléaire les flux réels de matière et d’énergie tels que publiés annuellement dans les rapports environnementaux des installations. NELCAS permet ainsi d’évaluer les principaux indicateurs environnementaux globaux, comme les émissions de gaz à effet de serre (GES), les émissions de particules, l’utilisation des terres agraires, le prélèvement, la consommation et la pollution de l’eau, la production de déchets technologiques et nucléaires, la toxicité écologique et humaine. Cette étude est originale car elle repose pour une grande part non sur des estimations, mais sur des données réelles accessibles au public. Les principaux résultats de l’étude sont présentés ici ; son intégralité a fait l’objet d’un article scientifique dans la revue Energy (Poinssot et coauteurs, Energy, 69, 199-211).

Energie nucléaire vs. autres énergies

Les données pour le nucléaire sont issues de NELCAS. Les données pour les autres sources d’énergie sont tirées de la littérature disponible. 

Figure 1 : Empreinte environnementale de l’énergie nucléaire comparée aux autres sources d’énergies.

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GHG : Gaz à effet de serre (Green-House Gas)  –  Acidification : Acidification  – Eutrophication : Eutrophisation  –  Land use : Utilisation des surfaces terrestres  –  Water withdrawal : Prélèvement d’eau

Comme le montre la figure 1, un système de production électronucléaire bien optimisé peut avoir une très faible empreinte environnementale comme c’est déjà le cas en France. A l’exception des rejets radioactifs spécifiques, l’énergie nucléaire est parmi les 3 sources d’énergies les plus respectueuses de l’environnement, avec un impact similaire à celui de l’éolien ou de l’hydraulique. Ceci est en particulier dû à la très grande production électrique d’une centrale comparativement aux installations renouvelables. Ces résultats peuvent varier d’un pays à l’autre selon les conditions locales. Ainsi, la contribution de l’enrichissement de l’uranium a un impact limité sur l’empreinte carbone du nucléaire car l’usine est alimentée par de l’électricité nucléaire décarbonée, alors que dans d’autres pays, elle sera plus conséquente si l’usine est alimentée par une électricité d’origine fossile.

Le faible impact de l’énergie nucléaire en termes de gaz à effet de serre est connu depuis longtemps. Mais notre étude démontre que l’effet bénéfique de l’énergie nucléaire est beaucoup plus large et que cette énergie est également importante pour de nombreux autres indicateurs environnementaux.

 

Origine de l’impact de l’énergie nucléaire

Le modèle NELCAS a permis d’identifier pour chaque indicateur la contribution des différentes étapes du cycle, depuis l’extraction du minerai d’uranium jusqu’au stockage géologique final des déchets nucléaires (Figure 2).

Figure 2 : Contribution relative des étapes/installations du cycle du combustible aux indicateurs environnementaux. 

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Les activités de l’amont du cycle du combustible dominent de manière significative (plus de la moitié) l’empreinte environnementale globale, à la seule exception de la consommation d’eau. Inversement, l’influence des activités de l’aval du cycle, y compris le recyclage des combustibles usés, est très limitée (inférieure à 20 %), la seule exception étant la contribution à l’émission de gaz à effet de serre puisque le stockage des déchets représente près de 30 % de l’impact total.

A l’inverse, les rejets radioactifs liquides et atmosphériques proviennent essentiellement des opérations de recyclage mais il a été démontré qu’ils n’ont pas d’impact sur la santé des populations (<1 % de la radioactivité naturelle).

Améliorer l’empreinte environnementale du nucléaire nécessite d’améliorer les de l’amont du cycle pour les rendre plus propres et/ou de limiter l’activité minière en utilisant plus efficacement les ressources naturelles. Recycler les combustibles nucléaires usés est donc un moyen performant pour améliorer l’empreinte environnementale globale du nucléaire.

 

Recycler le combustible usé : une bonne solution

L’outil NELCAS et les données disponibles en France sur les systèmes de 4ème génération, notamment le REX des réacteurs Phenix et Superphénix, nous a permis de réaliser une première évaluation qualitative des indicateurs environnementaux des cycles du futur, dont l’impact potentiel d’un cycle mettant en œuvre le multi-recyclage du plutonium dans des réacteurs de 4ème génération (Multi-Through Cycle – MTC). Cette évaluation permet d’évaluer qualitativement l’influence d’un recyclage croissant des matières sur l’empreinte écologique globale du nucléaire. La Figure 3 montre l’évolution très favorable de l’ensemble des indicateurs environnementaux à mesure que le multi-recyclage des matières prend de l’importance.

Figure 3 : Evolution relative des indicateurs environnementaux par rapport au cycle ouvert sans recyclage (OTC) selon l’ampleur des activités de  recyclage.

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La Figure 3 montre que plus l’ampleur du recyclage croît, plus les indicateurs environnementaux génériques ont tendance à baisser, traduisant l’effet bénéfique du recyclage sur l’empreinte environnementale. Ce résultat est cohérent avec le fort poids relatif des activités de l’amont du cycle du combustible sur l’empreinte environnementale, et le fait que le recyclage conduit à diminuer les activités de l’amont du cycle au profit des activités de recyclage moins polluantes.

En revanche, augmenter le recyclage conduit à accroitre les rejets radioactifs atmosphériques (gaz rares) ou liquides dont il a été démontré qu’ils n’avaient pas d’impact radiologique sur la santé des populations les plus exposés, restant toujours de l’ordre de 0,1 % de la radioactivité naturelle.

D’autre part, les activités de recyclage ont un effet positif sur le stockage géologique profond en conduisant à diminuer le volume des déchets HAVL les plus thermiques, permettant de diminuer l’empreinte au sol et le volume global des roches excavées du stockage (voir figure 4).

Figure 4 : Evolution relative des volumes de déchets produits par les différents cycles et leur influence sur les caractéristiques du stockage géologique profond. 

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Le recyclage conduit évidemment à une réduction des besoins de stockage géologique profond. Alors que le volume total des déchets reste à peu près inchangé, le type de déchets est modifié : il  y a une diminution des déchets de haute activité (rouge) et un accroissement des déchets à vie longue de moyenne activité (vert). Le recyclage de l’uranium et du plutonium permet ainsi de réduire la surface et le volume du stockage en réduisant les volumes de déchets HAVL thermiques et ce pour un volume total de déchets à peu près constant. La mise en œuvre du multirecyclage du plutonium et des cycles de 4ème génération ne modifie pas considérablement cette situation alors qu’en revanche, la mise en œuvre éventuelle du recyclage de l’américium permettrait un nouveau gain substantiel en termes de surface et volume du stockage.

Sachant que le coût d’excavation d’un stockage géologique profond est un poste important du coût d’un stockage, le recyclage pourrait permettre un gain sur le coût attendu du stockage géologique profond. Par ailleurs, un stockage de surface donné (comme sur le site de Meuse/Haute-Marne) pourrait être utilisé beaucoup plus longtemps avant d’être saturé puisque le recyclage permettrait de réduire la surface utilisée de 40% pour une même quantité d’électricité. Recycler est donc aussi un moyen de préserver la ressource « stockage géologique profond » dont la complexité de mise en œuvre technique et politique démontre tous les jours la rareté et donc le coût intrinsèque.

 

Pour conclure

Les systèmes énergétiques du futur devront répondre à des critères de durabilité s’ils veulent être compétitifs et acceptés par le public, et prendre une place effective dans les mix énergétiques. Ils devront démontrer leur contribution à la préservation de l’environnement et des ressources naturelles. En raison de ses très faibles émissions de gaz à effet de serre, l’énergie nucléaire présente un fort potentiel pour contribuer à atténuer le changement climatique mondial.

Au-delà de ce résultat bien connu, notre étude démontre que la contribution de l’électronucléaire va encore plus loin et permet aussi de réduire l’impact global de la production d’énergie sur l’environnement, avec d’autant plus d’efficacité que les matières nucléaires présentes dans les combustibles usés sont recyclés.

Un tel choix est la base d’un développement durable des systèmes électronucléaires de demain. Il nécessite de disposer de procédés industriels performants et propres de séparation des actinides qui sont pour une grande part disponibles, et des nouveaux réacteurs capables de consommer plus efficacement l’uranium naturel, en l’occurrence des réacteurs à neutrons rapides.

A très long terme, de tels réacteurs devraient être capables de produire de l’électricité à partir des seuls stocks existants d’uranium appauvri et de plutonium recyclé, supprimant ainsi les activités de l’amont du cycle qui portent une grande part de l’impact environnemental global.

 

[1] Poinssot, C, Bourg, S, Ouvrier, N, Combernoux, N, Rostaing, C, Vargas- Gonzalez, M, Bruno, J, “Assessment of the environmental footprint of nuclear energy systems. Comparison between closed and open fuel cycles”, Energy, 69, 199–211, 2014.

Article paru dans le Revue Générale Nucléaire de Mai – Juin 2015

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Publié par Christophe Poinsot (CEA)