De la réalité à la fiction, retour sur la série « Chernobyl »
Le 3 juin a été diffusé le dernier épisode de la nouvelle série à succès « Chernobyl ». Co-produite et diffusée par la chaine de télévision américaine HBO (Games of Thrones, Westworld…) et par OCS en France, cette mini-série revient sur l’accident nucléaire de Tchernobyl le 26 avril 1986.
« Pour un million de raisons cette série n’est pas un brulot anti-nucléaire. Elle est anti-soviétique, anti-mensonge et fondamentalement pro-humaine. Ceux qui pensent le contraire ont manqué l’essentiel », affirme Craig Mazin, le réalisateur de la série dans une interview du magazine en ligne Slate.
En dépit de quelques exagérations et arrangements avec la réalité pour les besoins de l’intrigue (risque d’une seconde explosion, bébé « absorbant » les radiations dans le ventre de sa mère…), « Chernobyl » nous dépeint avec un certain réalisme les conséquences de l’explosion du réacteur n°4 de la centrale Lénine. Des premiers pompiers et liquidateurs présents sur le site, aux réunions de crise au Kremlin, la série nous montre le point de vue des protagonistes aux prises avec une situation inédite.
Le déroulé des évènements
Dans la nuit du 25 au 26 avril 1986, les opérateurs de la centrale nucléaire de Lénine, située dans la petite commune de Pripiat, à 15 km de la ville de Tchernobyl, désactivèrent malencontreusement les systèmes de sécurité durant un essai à faible puissance alors que le réacteur était instable. Concrètement, Tchernobyl reste l’unique accident de l’histoire où le contrôle de la réaction de fission fut perdu jusqu’à l’emballement du cœur. Une explosion de vapeur souleva la dalle du bâtiment, l’imposant modérateur de graphite s’enflamma entrainant un incendie pendant plus de sept jours.
Dans l’urgence, des pilotes d’hélicoptères déversèrent au péril de leur vie 5 000 tonnes de plomb, de sable et de bore sur le réacteur ouvert, comme on peut le voir dans l’épisode 2 de la série.
Quelles sont les conséquences sanitaires de l’explosion ? Les isotopes radioactifs de l’iode et du césium sont les principaux responsables des expositions à la radioactivité. Aujourd’hui les études de l’AIEA et des Nations Unies (UNSCEAR) font autorité en matière de bilan sanitaire : on dénombre 134 syndromes d’irradiation aiguë et 28 décès parmi les pompiers et liquidateurs exposés les premiers jours à des doses très importantes. A cela il faut ajouter 19 autres décès entre 1987 et 2004 pour des raisons multiples qui n’étaient pas nécessairement liées à la radioexposition. L’effet des radiations sur les personnes moins touchées continue d’être l’objet de débats. Leur nombre reste incertain car les cellules cancéreuses ne possèdent pas dans leur ADN de signature reliant le cancer à des rayons reçus 30 ans plus tôt.
Un accident de ce type peut-il se produire en France ?
Au cours de la Guerre Froide, l’URSS a développé son propre modèle de réacteur nucléaire. Considéré comme le fleuron de la recherche soviétique, les réacteurs de type RBMK possédèrent pourtant des faiblesses importantes : une absence d’enceinte de confinement, un risque d’instabilité intrinsèque lors de certains modes d’exploitation, un système d’arrêt d’urgence trop lent…
Les RBMK sont des réacteurs à neutrons thermiques, qui utilisent le fameux graphite que l’on voit dans la série comme modérateur, c’est-à-dire comme ralentisseur de neutrons. L’eau légère bouillante est ici le fluide caloporteur, c’est-à-dire le vecteur qui transporte la chaleur produite par les réactions nucléaires dans le cœur du réacteur (la fission de l’uranium).
En France nos réacteurs sont des REP (réacteur à eau sous pression). Ce sont les réacteurs les plus nombreux dans le monde. Ils représentent l’essentiel des réacteurs en exploitation, en construction et en projet. Le cœur bénéficie de caractéristiques de stabilité qui contribuent à la sûreté de leur fonctionnement. Le combustible d’un REP est l’uranium enrichi sous forme d’oxyde (comme dans un RBMK mais avec un enrichissement de 4 % au lieu de 2 %). L’eau sert à la fois de modérateur (et non le graphite comme dans un RBMK) et de caloporteur. L’eau est maintenue sous pression, pour maintenir son état liquide même à une température de 300°C. Les risques pris en compte sont les dégagements d’hydrogène en cas de fusion du combustible (avec des recombineurs d’hydrogène) et la filtration des rejets atmosphérique pour éviter la mise sous pression des enceintes. En effet une enceinte de confinement, constituée par le bâtiment en béton, abrite le circuit primaire où se trouve le réacteur. Ces dispositifs n’existaient pas à Tchernobyl.
Une culture de la transparence et de la sûreté des installations
Plus que la technologie utilisée, la série met en lumière les déficiences de tout la chaine de commandement en matière de politique de transparence et de sûreté. La sûreté nucléaire est l’ensemble des dispositions permettant d’assurer le fonctionnement d’une installation nucléaire, de prévenir les accidents et d’en limiter les effets, pour protéger les populations et l’environnement.
En France, l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), surnommée le « gendarme du nucléaire », est une autorité indépendante. Elle est responsable de l’élaboration de la réglementation et du contrôle, qu’il s’agisse de la construction, de l’exploitation ou du démantèlement des réacteurs. Dotée de plus de 500 agents, l’ASN a effectué en 2017, 635 inspections dans les 130 installations nucléaires françaises. Indépendante du Gouvernement et des industriels, l’ASN dispose d’importants pouvoirs, comme celui d’imposer la mise à l’arrêt provisoire d’une installation pour demander des vérifications ou des travaux. Elle rend compte de son action au Parlement qui l’auditionne plusieurs fois par an.
L’ASN s’appuie sur Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), fort de 1500 agents chargés à la fois du suivi des installations nucléaires et de travaux de R&D, utiles à la vérification des doctrines de conception et d’exploitation proposées par les exploitants nucléaires.
Au niveau international, l’AIEA, située à Vienne, évalue la sûreté des centrales françaises (évaluations OSART). Les rapports d’évaluation sont publiés sur le site de l’ASN. Enfin, trois ans après l’accident, en 1989, les exploitants de centrales du monde entier ont créé WANO, un organe d’inspection, d’échange et de dialogue indispensable à la coopération et à la circulation d’information.
Tchernobyl aujourd’hui
Les résidus du cœur détruit, le corium, est désormais froid et solidifié, limitant ainsi à un niveau très faible les migrations éventuelles de produits radioactifs dans le sol. Depuis 2 ans un nouveau sarcophage impressionnant, réalisé par deux entreprises françaises, Bouygues et Vinci, recouvre l’ancien sarcophage. Il est pleinement opérationnel depuis avril 2019. Etanche et bénéficiant d’une ventilation nucléaire, il permet de maitriser les rejets atmosphériques et permettra, ultérieurement, le démantèlement de l’installation accidentée.
Tchernobyl est loin d’être le terrain en friche que l’on pourrait imaginer, c’est même tout l’inverse. Dans la zone d’exclusion (2600 km2), la vie naturelle a repris ses droits avec une diversité impressionnante de la faune et la flore. On y rencontre des lynx, des bisons, des ours bruns, des sangliers, des cerfs, des loups, des chevaux… C’est ce que nous apprend une étude internationale de 2015, ces mammifères seraient aussi nombreux à l’intérieur du périmètre autour de la centrale, que dans les réserves naturelles voisines non contaminées par la radioactivité. Une quasi-absence de vie humaine, résultant des interdictions de séjour ou d’agriculture intensive, a eu pour effet de relancer la vie sauvage. De plus, chaque année, des dizaines de milliers de touristes visitent le site et ses alentours. Un phénomène qui n’est pas près de s’arrêter car la série a eu l’effet surprenant de booster le tourisme local. Les tour-opérateurs évaluent entre 30 % et 40 % la hausse du nombre de visiteurs par rapport à l’année précédente.
Les évènements de ce 26 avril 1986 ont permis à toute une génération d’apprendre et de développer une culture de sûreté et de transparence inédite. A l’instar des premiers pompiers et volontaires du 11-septembre, la série met en avant l’héroïsme d’hommes et de femmes face à l’adversité tout en dénonçant une culture du mensonge propre au système soviétique. Loin de faire le procès du nucléaire, « Chernobyl » nous donne une véritable leçon d’humanisme en seulement cinq épisodes.