Progressivement, le monde de l’industrie s’ouvre à la transparence
Selon le baromètre IRSN 2014 [1], les Français appellent à plus de transparence. 90 % des interrogés plébiscitent le développement de structures de concertation pluralistes qui rassemblent les élus, les experts, les industriels, les associations et les citoyens. Ils perçoivent ces structures comme un levier permettant de faire émerger de nouveaux points de vue et de nouvelles idées.
Cette demande de transparence est très marquée chez les nouvelles générations – les « Y » et « Z » – friandes d’information réactive et accessible rapidement, à l’image de ce qui se fait sur Internet et les réseaux sociaux.
Pour répondre à ces nouvelles attentes, les industries « à risques » – nucléaire, pétrolière, gazière et chimique – doivent évoluer, s’adapter, tout en prenant soin que la transparence ne mette pas en péril la sécurité de leurs installations.
Si les initiatives sont nombreuses, il ressort de ce panorama que le nucléaire reste la filière qui est allée le plus loin pour informer la société civile de ses activités.
Quatre structures locales d’information
Dans l’Hexagone, la culture du dialogue avec la société civile s’ancre progressivement dans l’industrie. Preuve en est, il existe quatre types de structures locales d’information : les 38 Commissions locales d’information (CLI) – les plus nombreuses – placées auprès des Installations nucléaires de base (INB) et présidées par le Président du conseil départemental ; les Commissions d’information (CI) situées autour des Installations nucléaires de base secrètes (INBS) et présidées par le Préfet ; les Commissions de suivi de site (CSS) placées auprès des installations de traitement des déchets (ICPE) et des installations dites Seveso présidées par le Préfet ; les Secrétariats permanents pour la prévention des pollutions industrielles (SPPPI) présidés par le Préfet pour les « bassins à risques ».
De nombreux acteurs se réunissent dans ces structures locales d’information : l’administration publique, les industriels, les autorités de contrôle, les élus, les salariés, les membres d’associations et les riverains. La fréquence des réunions varie selon la taille et les enjeux de chaque région.
« Nucléaire 2016 », nouveau roman de Georges Orwell ?
Le nucléaire est-il un modèle en matière de transparence industrielle ? S’il est difficile d’avoir une réponse catégorique à cette interrogation tant les secteurs sont divers et les problématiques variées, force est de constater que le nucléaire a su apprendre de ses erreurs pour qu’une défaillance comme celle de l’affaire Pélerin (cf. « le nuage de Tchernobyl s’est arrêté à la frontière ») ne puisse plus se reproduire.
Loin de l’image d’un secteur replié sur lui-même, le nucléaire met en débat ses projets pour que chacun s’implique, donne son avis, pose des questions, demande des modifications… Depuis le début des années 2000, dix débats ont été organisés sur ou autour de l’atome (Cigéo, EPR Flamanville 3, EPR Penly 3, transition énergétique, etc.). En 2013, un deuxième débat public national était même organisé sur le choix du site d’implantation de Cigéo. Après l’intervention d’associations hostiles au projet, les réunions publiques furent annulées. La CNDP[2] déporta alors le débat sur Internet. La participation fut un succès : 150 cahiers d’acteurs déposés, 1 500 questions posées, 500 avis exprimés[3], 9 débats contradictoires organisés et plus 9 000 connexions. En fin d’année, une « conférence de citoyens » était organisée. Les citoyens conclurent que les générations actuelles « n’ont pas le droit de laisser aux générations futures la charge de gérer les déchets résultant de la production [d’électricité nucléaire] ».
Les entreprises de la filière prennent des initiatives pour permettre aux riverains de découvrir les exploitations industrielles : Train de l’industrie, journées PME innovantes, Journées de l’Industrie électriques sur les sites de production EDF, etc. À cela s’ajoutent de nombreuses enquêtes et/ou réunions publiques tenues par les pouvoirs publics et les exploitants lors des exercices de crise. EDF est devenue en quelque temps la troisième entreprise la plus visitée de France et accueille chaque année sur ses sites plus de 400 000 curieux. Le CEA aussi dispose d’espaces dédiés pour accueillir le public : le Visiatome (Gard), InfoDem (Gard), le laboratoire Lavoisier (Centre) ou encore Terre des Lasers (Aquitaine). Les acteurs de la filière sont aussi connectés : toutes les centrales nucléaires et la quasi-totalité des centres du CEA disposent d’un compte Twitter. Cet outil leur permet de maintenir un lien quotidien avec les riverains, la presse locale et les élus. C’est également un outil indispensable en situation de crise. Dans le nucléaire, le dialogue avec le public est donc permanent.
À ces initiatives s’ajoute un dispositif unique au monde : la France est le seul pays qui dispose d’un cadre légal sur la transparence nucléaire. Depuis 1981, les exploitants et les autorités ne sont plus les seuls acteurs de la sûreté et de la sécurité nucléaire. La société civile – élus, associations, citoyens – s’engage, elle aussi, au travers des commissions locales d’information (CLI) et de l’ANCCLI, la fédération qui rassemble les CLI. En 2015, la loi sur la transition énergétique a même étendu les prérogatives de ces commissions en donnant notamment la possibilité à leur président de participer aux visites d’installation suite à un événement significatif de niveau 1.
La participation directe du public au processus de décision s’est également accrue, comme en témoigne le recours, désormais courant, à une consultation formelle du public préala-blement à certaines décisions de l’ASN ainsi que l’ouverture des « groupes permanents d’experts » à des personnes extérieures au secteur nucléaire.
Enfin, en cas d’incident, même mineur, les exploitants nucléaires informent en temps réel les autorités de tutelle (ASN et IRSN), les élus de proximité et les préfectures.
Pour conclure, reprenons les mots de Jean-Claude Delalonde, président de l’ANCCLI : « La France n’a pas à rougir du dispositif qu’elle a mis en place en matière de transparence. Nous pouvons même faire “Cocorico” ! ».
Industrie chimique : vers plus de transparence
Dans l’industrie chimique, les accidents et catastrophes de grande envergure (armes chimiques, accidents de Bhopal, Seveso et d’AZF…) ont cristallisé l’angoisse des Français. Encore aujourd’hui, les Français continuent de se méfier de l’impact des produits chimiques sur leur la santé et sur l’environnement : Bisphénol A, parabènes, chlore, perturbateurs endocriniens…
Depuis 2003 et l’adoption de la loi Bachelot, l’industrie chimique s’emploie à développer une culture de la transparence pour informer le grand public. Le secteur a mis en place en 2006, avec le BARPI[4], l’UFIP[5] et le GESIP[6], l’initiative « Communication à chaud » dont l’objectif est d’informer les riverains des sites. « Cette communication passe par un appel téléphonique à la mairie et à la presse locale, accompagné de l’envoi d’un communiqué de presse. Le but est de communiquer dans les heures qui suivent l’incident, sur sa nature, son impact et les mesures prises » précise Gaëlle Dussin, experte sécurité industrielle à UIC.
La démarche s’inscrit dans le programme « Responsible Care » que les industriels ont adoptée en France en 1990. L’un des objectifs est l’amélioration continue des performances dans les domaines de la sécurité, de la santé et de l’environnement.
Plus récemment, la troisième version de la directive SEVESO impose aux exploitants des installations chimiques la mise en ligne de leurs informations sur un portail Internet, ouvert à tous. « Pour les professionnels du secteur, il faut encourager la transparence, mais il ne faut pas que cela mette en danger la sûreté des installations » s’inquiète l’UIC qui a alerté le gouvernement des risques potentiels. Dans le contexte actuel, le sujet est sensible. Une évaluation interministérielle est en cours pour évaluer les risques.
Contrairement au nucléaire où les exploitants d’INB se comptent sur les doigts de la main (EDF, CEA, AREVA, Andra), l’industrie chimique française est composée d’une pluralité d’entreprises. Diffi-cile alors de définir une doctrine qui puisse être respectée par l’ensemble des acteurs. Le niveau de transparence dépend de la volonté de chacun, même si tous les cinq ans chaque site est tenu d’organiser une campagne d’information pour sensibiliser le grand public.
Au quotidien, les parties prenantes sont impliquées dans les commissions de suivi de site (CSS). Celles-ci sont associées à l’élaboration du Plan de prévention des risques technologiques (PPRT) et émettent un avis sur le projet. Ces CSS doivent être informées de tous les changements notables que l’exploitant envisage d’apporter à son installation, y compris « les modifications non-substantielles ».
Comme dans le nucléaire où il existe un réseau national de mesures de la radioactivité de l’environnement (RNME)[7], l’industrie chimique européenne rend publiques les données des relevés effectués dans l’air, l’eau et les déchets sur la plateforme web « EPRTR »[8]. Par contre, la loi
n’autorise pas les associations environnementales à venir réaliser des prélèvements à l’intérieur du site. Seule la DREAL[9], « police » des ICPE, est habilitée à mener de tels contrôles.
Des opportunités de dialogue moins nombreuses dans l’industrie pétrolière et gazière
Du côté de l’industrie gazière, « il n’existe pas de charge en matière de transparence et communication vis-à-vis du grand public » indique Patrice Marain, Président de la Commission transport et stockage de l’Association française du gaz (AFG). Comme dans l’industrie chimique, la politique de communication et de transparence vis-à-vis du grand public varie selon les entreprises : « tous nos membres adhèrent aux principes de la convention d’Aarhus[10] avec pour règle première la possibilité d’accéder aux informations relatives à l’environnement. »
Compte tenu du peu d’installations sur le territoire, les opportunités de dialogue avec les riverains sont peu nombreuses et restent circonscrites au stockage et à la distribution de gaz. Les actions de transparence sont dictées par la réglementation et les exploitants ne mènent pas de politique proactive en la matière.
Avant d’être acheminé jusqu’au consommateur final, le gaz transite par des sites de stockage installés près des gisements ou des zones de consommation. « Les stockages souterrains sont couverts par la directive Séveso et les réglementations françaises (ICPE notamment) correspondantes en termes de transparence et de communication auprès du public » précise l’AFG.
Pour ce qui est du transport et de la distribution, Patrice Marain indique que « les canalisations de transport font l’objet d’enquêtes publiques préalablement à toute Autorisation de construire et d’exploiter (ACE). Par ailleurs, tout projet d’ouvrage de transport de plus de 200 km et de diamètre égal ou supérieur à 600 mm est systématiquement soumis à débat public (et au cas par cas entre 100 et 200 km), ainsi que tout projet industriel dont le coût des bâtiments et infrastructures est supérieur à 300 M€, et au cas par cas 150 M€. »
Dans son Livre blanc « Pétrole et gaz en France : l’avenir est aussi sous nos pieds », l’UFIP précise que sur le terrain, les opérateurs « s’attellent chaque jour » à renforcer la transparence : « Portes ouvertes, réunions avec les élus, les administrations, les médias locaux, organisation de visites sur site lors des travaux, communiqués de presse, formation des personnels aux médias… La communication des entreprises pétrolières et gazières est aujourd’hui systématique » estime le syndicat. « En Lorraine, par exemple, la Française de l’énergie (FDE) a multiplié les rencontres avec les associations, les populations et les élus pour expliquer sa méthode de travail quant au développement du gaz de houille. La même démarche est en cours dans les communes d’Avion et Divion, dans le Nord-Pas-de-Calais. »
À l’avenir, l’industrie pétrolière et gazière pourrait faire un pas de plus vers davantage de transparence en renforçant la consultation du public avant toutes les décisions. C’est en tout cas la volonté du législateur qui prévoit de réformer le code minier. Les premières moutures évoquent la création d’un « groupement momentané d’enquête » au sein duquel le public pourrait être représenté aux côtés d’autres parties prenantes. Rôle, pouvoirs, composition, modalités, toutes ces questions restent en débat. « Le plus important, selon Claude Taton, membre du réseau Free Frack Europe, est de donner corps à une vraie participation du public, ce qui permettrait aux populations locales d’apprécier l’intérêt des projets. Il faut que ce qui relève de l’intérêt général d’un territoire soit défini ensemble. Et s’il y a un refus du public, il faut que ce refus soit accepté. Parce que les impacts, ce sont toujours les populations locales qui les portent. »[11] Pour l’heure, la consultation publique arrive très tard dans la procédure et se réduit à une consultation numérique.
Baromètre IRSN – La perception des risques et de la sécurité par les Français (2014).
Commission nationale du débat public.
25 % des avis exprimés viennent de la Meuse et de la Haute-Marne.
Bureau d’analyse des risques et pollutions industrielles.
Union française des industries pétrolières.
Groupe d’études de sécurité des industries pétrolières et chimiques.
http://www.mesure-radioactivite.fr/public/
European Pollutant Release and Transfer Register.
Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL).
La convention d’Aarhus sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement, signée le 25 juin 1998 par trente-neuf états, est un accord international visant :
– à améliorer l’information environnementale délivrée par les autorités publiques, vis-à-vis des principales données environnementales ;
– à favoriser la participation du public à la prise de décisions ayant des incidences sur l’environnement (par exemple, sous la forme d’enquêtes publiques) ;
– à étendre les conditions d’accès à la justice en matière de législation environnementale et d’accès à l’information.
Discrètement, les projets de mines se multiplient en France (Reporterre, février 2016)