NuScale, l’avant-garde des SMR américains - Sfen

NuScale, l’avant-garde des SMR américains

Publié le 4 septembre 2020 - Mis à jour le 28 septembre 2021
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– Publié initialement dans la RGN de mars-avril 2017

Les petits réacteurs modulaires (Small Modular Reactors ou SMR) sont perçus aux États-Unis comme une composante importante du parc américain futur et comme un facteur de croissance de l’industrie nucléaire américaine.

Depuis plusieurs années déjà, l’administration Obama et le Département de l’énergie (DOE) en particulier, avaient annoncé tout l’espoir qu’ils mettaient dans le développement des SMR pour simultanément : (1) contribuer au maintien ou à l’extension du nucléaire dans le mix électrique américain (19 % environ), nécessaire pour réduire les émissions de gaz à effet de serre ; (2) restaurer partiellement la compétitivité du nucléaire et permettre un lancement plus aisé des nouveaux projets (de par leur design simplifié et leur modularité, les SMR pourraient présenter des avantages en matière de réduction et d’échelonnement des dépenses d’investissement) ; (3) donner de nouvelles perspectives de développement aux industriels américains du nucléaire ; (4) permettre des implantations dans des zones isolées mal reliées au réseau en modulant la puissance en fonction de la demande locale.

Un rapport publié en mai 2016 par le DOE a évoqué un doublement d’ici 2050 de la capacité nucléaire américaine (de 100 GW à 200 GW) grâce au déploiement de SMR et des Advanced Reactors. Ce soutien du DOE aux projets de SMR se manifeste par de nombreux points :

›› l’allocation de financement pour aider à la certification (452 millions de dollars dont 217 ont bénéficié à NuScale) ;

›› la prolongation des « Production Tax Credits » (crédits d’impôt) (18 $/MWh) pour accompagner le démarrage des nouveaux réacteurs ;

›› une « Loan Guarantee » (prêts garantis) qui est un appui du DOE pour fluidifier les échanges avec la NRC afin d’aller vers une optimisation du processus de certification de ces réacteurs de faible puissance ;

›› la mise en place de l’initiative « GAIN » (Gateway for Accelerated Innovation in Nuclear) qui permet aux développeurs de taille modeste de s’appuyer sur l’expertise et les installations du DOE ;

›› pour NuScale, un accord pour l’attribution d’un site à l’Idaho National Laboratory (INL) pour accueillir son premier projet.

C’est donc dans la prolongation de ce contexte très favorable que NuScale a déposé une demande de certification de son concept à la NRC le 12 janvier 2017. Celle-ci a été saluée par ses nombreux supporters au Congrès, notamment par la sénatrice Lisa Murkowski qui voit dans les SMR un moyen efficace pour produire de l’énergie dans les contrées les plus isolées de son État, l’Alaska.

La société NuScale  

La société NuScale est née au début des années 2000 à l’Université d’État de l’Oregon sous l’impulsion du DOE qui finançait un projet sur les SMR. Ce projet regroupait alors l’INL et l’Université d’État de l’Oregon qui travaillait sur les systèmes passifs. En 2003, la NuScale Intégral Test Facility (NIST-1), maquette thermique à l’échelle 1/3 du réacteur, était inaugurée et permettait de tester et valider le concept initial. En 2007, la start-up se transforme en entreprise (NuScale Power) et confirme pour son modèle de réacteur une sûreté associée aux systèmes passifs étudiés précédemment. En octobre 2011, l’entreprise Fluor va devenir investisseur et partenaire stratégique. C’est une holding travaillant dans des domaines très variés, avec un chiffre d’affaires d’une trentaine de milliards de dollars par an. En 2013, Rolls-Royce devient partenaire et NuScale est sélectionné par le DOE comme partenaire majeur pour le développement des SMR aux États-Unis. En 2014 et 2015, d’autres partenaires vont arriver (Enercon, Ultra Electronics…), et AREVA Inc. qui va être en charge du combustible nucléaire.  

En déposant formellement le 12 janvier 2017 sa Design Certification Application (DCA) auprès du régulateur, NuScale confirme sa position à l’avant-garde du développement des Small Modular Reactors (SMR) aux États-Unis. Ceci constitue la première demande de certification pour un réacteur SMR et permet à NuScale d’engager une étape déterminante de son projet de construction d’un 600 MWe (douze modules de 50 MWe) sur le site d’Idaho National Laboratory (INL). Ce projet dispose d’un client, d’un site et du support actif du DOE. Il pourrait donc être à court terme le réacteur modulaire de référence en fonctionnement de l’industrie américaine. Cela conforte également sa stratégie active d’implantation au Royaume-Uni. Cet article donne une description du SMR proposé par NuScale, de son cycle du combustible et des avantages potentiels attendus avec ces réacteurs modulaires.

En 2016, l’entreprise NuScale regroupe environ 600 employés dont 320 à temps plein et environ 250 sous-traitants. Près de 500 M$ ont été investis en R&D et environ 320 brevets ont été déposés ou sont en attente de l’être. La société a embauché de nombreux cadres de grandes sociétés reliées à l’industrie nucléaire (Exelon, Westinghouse…) mais aussi issus des rangs de l’Autorité de sûreté (NRC) pour tenter de franchir au mieux la procédure de certification de son réacteur. En janvier 2017, la demande à la NRC de certification de son projet a été effectuée, certification nécessaire au lancement concret de ses projets sur INL puis au Royaume-Uni.

Description du module de base de 50 MWe

Le design général a été conçu dès 2000 et les essais ont débuté en 2003 sur une maquette échelle 1/3 chauffée à l’électricité (NIST-1). Ce concept part donc d’un module de base de 50 MWe qui correspond à 160 MWt soit un rendement de 31 %. On multiplie ensuite le nombre de modules suivant la puissance désirée sur le site. Dans la cuve du réacteur, on a superposé le coeur et le générateur de vapeur. La colonne d’eau chauffée dans le coeur monte puis se refroidit dans le générateur de vapeur et redescend froide à l’entrée du coeur. Ce processus s’effectue en convection naturelle, donc sans pompe primaire. Au-dessus de la cuve du réacteur, on a alors l’arrivée d’eau froide pour le générateur de vapeur et la sortie de la vapeur sous pression vers la turbine. On a aussi le passage des barres de commande qui pilotent le coeur. Il faut noter que ce concept n’est pas « révolutionnaire » et présente de fortes similitudes avec certains réacteurs de la propulsion navale où les générateurs de vapeur sont superposés au cœur en délivrant de manière très flexible la puissance nécessaire. On arrive pour cet ensemble à une hauteur de 23,16 mètres (76 pieds) et un diamètre de 4,6 mètres (15 pieds) pour un poids de 700 tonnes. Ce sont les dimensions compatibles avec une fabrication en usine et un transport par camion ou par barge.

Le combustible 

Le développement du combustible est réalisé par AREVA Inc. et sa fabrication est effectuée à Richland (Washington), site ayant déjà l’agrément de la NRC pour la fabrication du combustible. On part sur un combustible classique de PWR standard 17×17, par 2 m de long avec vingt-sept éléments dans le coeur. L’enrichissement serait de 3,7 %. Les cycles sont de vingt-quatre mois avec rechargement d’un tiers du coeur. On utilise donc un combustible assez classique. On notera cependant que la possibilité d’utiliser du MOX est aussi étudiée, en particulier pour le projet au Royaume-Uni, où cette possibilité d’utiliser le plutonium actuellement disponible à Sellafield est un argument important pour le projet. Vraisemblablement, l’utilisation du bore comme poison soluble devrait être limitée, en faveur de l’utilisation de poisons solides (type gadolinium), permettant une plus grande flexibilité de fonctionnement et ne nécessitant pas des circuits de réglage externes du bore contenu dans l’eau du circuit primaire.

Sûreté

La petite taille du module avec un facteur vingt environ sur le cœur par rapport à un AP 1000, conduit à un certain nombre d’avantages en termes de sûreté comme l’évacuation de la puissance résiduelle qui se fait de manière passive, le module étant immergé dans sa piscine. Les calculs montrent qu’en cas d’accident, même si une intervention extérieure était impossible, après entrée en ébullition de l’eau de la piscine et disparition potentielle de l’eau, la convection naturelle de l’air suffirait encore à refroidir le coeur. De même, en cas d’incident, le terme source est beaucoup plus faible. On respecte bien les critères de multi-barrières pour le confinement du combustible. Enfin, comme l’eau du circuit primaire ne sort pas de la cuve principale, il n’y a pas besoin de dispositifs d’injection de secours, pour pallier d’éventuelles fuites ou ruptures, ce qui simplifie notablement la conception. La circulation de cette eau se faisant en convection naturelle, les problèmes liés aux arrêts accidentels de pompe primaire sont aussi supprimés. Avec tous ces éléments simplificateurs, NuScale espère faciliter la certification de son concept et réduire le coût final de son réacteur.

Le programme de tests et R&D 

Un programme de tests et de validation, nécessaire à la fois à la certification et à la faisabilité industrielle est en cours. On peut citer de manière non exhaustive : la boucle NuScale Integral System Test (NIST-1) située à l’Université d’État de l’Oregon à Corvallis ; la boucle de test de flux critique aux laboratoires Stern, à Hamilton, Ontario (Canada) ;  le test du générateur de vapeur hélicoïdal à SIET SpA à Piacenza (Italie) ; la boucle de test du combustible (RTF) à AREVA Inc., Richland, Washington (États-Unis) ;  la boucle de test de flux critique « Kathy » d’AREVA à Karlstein (Allemagne) ; la boucle de test des barres de contrôle « Magaly » d’AREVA au Creusot (France) ; et deux boucles d’AREVA à Erlangen (Allemagne), « Peter » pour étudier les problèmes de vibration induits par les écoulements dans les tubes de générateur de vapeur et « Kopra » pour les problèmes d’alignement des barres de commande. On voit donc, qu’à part la maquette initiale de test du fonctionnement en convection naturelle, le projet s’appuie essentiellement, pour ses essais, sur des boucles extérieures déjà existantes. En complément, certains essais de fabrication de grosses pièces ont également été effectués pour vérifier certains points de faisabilité industrielle (essais de forgeage réalisés à Sheffield Forgemaster au Royaume-Uni).

Le projet d’Idaho National Laboratory (INL)

Le DOE a accepté d’accueillir la première installation sur son site de l’INL, ce qui constitue une aide précieuse au projet : sécurité déjà assurée, accès à l’eau assuré, dossier d’implantation simplifié. On peut ajouter que cette installation bénéficiera aussi d’une « Loan Guarantee » (prêts garantis) du DOE et de « Production Tax Credits » (crédits d’impôt) de 18 $/ MWh durant son exploitation. Sur ce site, NuScale vise l’implantation de douze modules, en plusieurs étapes : six dans un premier temps, puis des compléments deux par deux. Le but est d’échelonner l’investissement. À chaque fois ces deux nouveaux modules devraient être installés pendant une opération d’arrêt pour rechargement du combustible ce qui constitue un point important de l’économie du projet (ne pas gêner la production pendant les extensions de puissance). Cette implantation couvrirait environ 14 hectares. Pour le bâtiment réacteur lui-même, chaque module est dans sa piscine individuelle. Ces piscines sont accolées avec possibilité d’accès en partie supérieure pour les opérations de rechargement du combustible ou de maintenance. La turbine utilisant la vapeur peut être dimensionnée en fonction du nombre de modules prévus. Pour la salle de commande, le projet prévoit actuellement une seule salle de commande d’où seront pilotés les douze modules. Pour son premier projet, NuScale vise des dépenses d’investissement d’environ 5 100 $/kWe et un coût de production de 72 $/MWh.   

La stratégie d’implantation au Royaume-Uni

Très clairement, le Royaume-Uni a été choisi comme tête de pont pour l’implantation de SMR en Europe. Jusqu’à 250 M€ pourraient être attribués par le gouvernement britannique dans les cinq prochaines années pour la R&D sur ces SMR, et NuScale s’est positionné comme l’un des vendeurs sur ce marché britannique. Des discussions avancées ont eu lieu, des déclarations d’intention des sites évoqués, des partenariats pour une supply-chain locale, mais aucun projet n’est vraiment en place et aucune analyse de sûreté n’a été engagée par l’Autorité de sûreté anglaise (ONR). Un des éléments attractifs du projet est d’utiliser le plutonium stocké à Sellafield par moxage du combustible nucléaire. Un autre élément est la grande flexibilité de ces réacteurs permettant une association avec des parcs éoliens pour compenser les variations de puissance. En termes financiers, NuScale viserait l’obtention d’un contrat pour différence au montant d’environ 90 $/MWh.

Les avantages attendus

Puissance adaptée à la demande locale : c’est un élément très important, en particulier dans des zones isolées et sans réseau, comme certaines zones de l’Alaska, voire certaines bases militaires américaines. Un réacteur de puissance faible, avec un système passif et pardonnant est un vrai atout pour une implantation. Lorsqu’on désire une puissance supérieure, on augmente le nombre de modules, pour atteindre la puissance adaptée au marché local. Ultérieurement cette adaptation peut se poursuivre par ajout de nouveaux modules. Ce type de technologie présente aussi des avantages certains pour proposer une alternative intéressante à la fermeture prévue de milliers de centrales au charbon aux États-Unis. La possibilité d’effectuer des remplacements à puissance équivalente site par site est un atout indéniable.

Sûreté : Ces petits modules permettent une évacuation passive de la puissance résiduelle, ne nécessitent pas de circuits d’injection, etc. L’ensemble est donc plus simple avec les gains correspondant en sûreté et investissement.

Investissement/calendrier : Les couts annoncés d’investissement sont de 5 100 $/kWe. On verra ce qu’il en sera. On sait que toutes les études montrent qu’un accroissement de puissance conduit à une baisse théorique du coût du MW installé. Ce n’est pas pour rien que l’AP 600 est devenu l’AP 1000. Par contre les plannings d’installation sont annoncés comme très raccourcis, ce qui est financièrement un élément très important et permet des retours sur investissement plus rapides.

Flexibilité de fonctionnement et maintenance : Il y a un atout réel, les arrêts de tranche pouvant être programmés module par module, sans baisse de charge importante de l’ensemble du système. Pour la maintenance on peut aussi arrêter un module si nécessaire. La flexibilité de fonctionnement est plus grande que sur un réacteur à eau pressurisée classique et des études de couplage avec des parcs éoliens fluctuants ont déjà été menées.

Effet de série :  Les modules étant fabriqués en grand nombre et en usine, on peut espérer un effet de série sur les coûts, ainsi que sur les plannings de livraison.

Planning des actions à venir 

Le premier élément est la certification. Sans certification, pas de construction. Ceci étant, des contacts et discussions ont déjà eu lieu avant cette demande à la NRC. Seize rapports ont été préalablement transmis à la NRC et une dizaine a déjà été acceptée avec commentaires, lors de « pre-application reviews ». Le dossier transmis à la NRC comporte environ 12 000 pages. Le projet espère obtenir sa « Design Certification » vers 2020. Le deuxième élément est la construction du projet Idaho. Le site est disponible, le DOE est en soutien, les principaux supports industriels sont en place. Le client du projet est UAMPS[1] qui est une association de 45 membres. UAMPS pense déposer en 2019, sa demande de COL[2] pour la construction. Si le concept est certifié dans les temps, les dates de 2022 et 2026 sont évoquées pour le lancement des travaux et le début d’exploitation de la tranche. Lorsque cette certification sera obtenue, le projet au Royaume-Uni devrait évoluer en parallèle, vers la finalisation d’un site, d’un financement et d’un accord des autorités de sûreté.

Toutes les études montrent qu’en augmentant la puissance d’un réacteur on doit diminuer le coût du MW installé. En revanche, les réacteurs de forte puissance demandent un investissement important avec un planning de réalisation très long de l’ordre de dix années, ce qui conduit à des intérêts intercalaires très importants. Le réacteur modulaire devrait permettre d’engager des investissements plus faibles et sur une durée plus courte, ce qui est attractif pour l’investisseur.

On notera aussi un effet d’échelle, certains dispositifs lourds liés à la sûreté n’étant plus nécessaires sur ces petits modules. Les réacteurs de fortes puissances sont bien adaptés à un réseau dense comme en Europe. Dans des régions ou des sites isolés sur des îles, sur des pays à faible consommation, voire des bases militaires, ils ne correspondent pas à la demande et les SMR ont une place privilégiée pour l’introduction d’une production nucléaire. L’aspect passif, simple et pardonnant est aussi un atout à l’export. Pour la première fois, un projet de SMR se lance dans une certification par la NRC, bien soutenu par le DOE et l’administration américaine. Le premier challenge sera l’acceptation ou non, par la NRC, et les éventuelles modifications correspondantes.

Ensuite, le deuxième challenge sera la construction d’un premier réacteur sur le site d’Idaho National Laboratory (INL). Cette étape permettra d’identifier les coûts et plannings réels. Si l’ensemble ces défis sont relevés, NuScale aurait alors un concept de SMR disponible et opérationnel, avec derrière lui toute la puissance de l’industrie américaine pour concurrencer ou pour compléter l’offre des traditionnels réacteurs

 

[1] Utah Associated Municipal Power System

[2] Combined License


Par Joël Guidez, Expert international à la direction de l’énergie nucléaire du CEA et Jean–Marc Capdevila, Conseiller nucléaire à l’ambassade de France à Washington
Article publié dans la Revue générale nucléaire (RGN) de mars-avril 2017.