Le nucléaire saoudien, économie, emplois et désalinisation

Noura Mansouri, chercheuse au King Abdullah Petroleum Studies and Research Center (KAPSARC) a publié en début d’année une note soulignant les retombées économiques et sociales dont pourrait bénéficier l’Arabie saoudite grâce au démarrage de son projet nucléaire non seulement en matière d’emploi mais aussi de lutte contre la pauvreté en eau via l’utilisation de gigawatts nucléaires pour la désalinisation.
La désalinisation ou dessalement, les deux termes étant usités, désigne le processus de séparation des sels dissous de l’eau. A savoir qu’en moyenne l’eau de mer contient 35 grammes de sel par litre. La production de cette eau est vitale pour de nombreux états notamment en Arabie saoudite qui aujourd’hui représente 22% de la production mondiale d’eau désalinisée.
Le programme nucléaire saoudien
En 2012, le gouvernement saoudien a annoncé un nouveau programme énergétique comprenant 14 réacteurs nucléaires. L’annonce a suscité un intérêt mondial et a débouché sur l’arrivée de grands acteurs du nucléaire sur le territoire national. Le pays a identifié cinq partenaires avec qui il pourrait développer un partenariat pour la construction de deux premiers réacteurs nucléaires : l’américain Westinghouse, le russe Rosatom, le coréen KEPCO, les français EDF et Orano et le chinois CNNC.
Noura Mansouri estime que le choix du partenaire pour la construction des deux premiers réacteurs sera « moins motivé par le design du réacteur, si on considère que tous les réacteurs sont du même niveau de sûreté passive et technologique […], que la capacité à maintenir une relation diplomatique solide avec le pays fournisseur au cours des prochaines décennies ».
Pour cette grande puissance pétrolière, la diversification du mix énergétique permettra également de diversifier et solidifier son économie.
Une économie moins dépendante du pétrole
L’intérêt pour l’énergie nucléaire est notamment suscité par une forte volonté de diversifier l’économie du pays, trop dépendante du secteur pétrolier (67,9 % du revenu de l’État en 2019). Ce volet économique et social du programme nucléaire saoudien requiert d’une part que le futur partenaire « remplisse les exigences locales en matière de retombées économiques à hauteur de 20 à 30 % du projet », un pourcentage qui comprend tous les investissements du partenaire en Arabie saoudite aussi bien dans les ressources humaines que dans les infrastructures. Et requiert d’autre part, « l’établissement d’une coopération bilatéral au sein de programmes de recherche et développement (R&D) ». Les exigences sont donc différentes du programme nucléaire des Emirats arabes unis qui « a été plus rapide à mettre en place mais moins exigeant quant aux retombées économiques locales ».
Malgré les efforts de diversification, l’économie saoudienne est toujours dépendante de sa rente pétrolière. D’une part, la volatilité des prix du pétrole pèse sur la situation économique mais d’autre part, celui-ci étant également utilisé pour produire de l’électricité à hauteur de 30 % du mix (2017)[3], l’augmentation de la consommation électrique (117 TWh en 2000 contre 315 TWh en 2017) entraîne une baisse des ressources pétrolières disponibles à l’export. La construction de capacité nucléaire permettrait de débloquer plus de pétrole pour l’export, de dynamiser l’économie en créant de l’emploi et une montée en compétences des savoir-faire saoudiens.
Subvenir aux besoins d’eau douce
De plus, le pays étant pauvre en eau, c’est-à-dire sous le seuil défini par les Nations unies de 2000 m3 d’eau par habitant, la désalinisation de l’eau de mer avec des réacteurs nucléaires fait sens. La compagnie nationale Saline Water Conversion Corporation (SWCC) produit 69 % de l’eau désalinisée du pays soit 6.6 millions de mètre cube par jour et le reste est produit par le secteur privé[4]. Les centrales utilisant la technologie de distillation par détentes successives (MSF) de SSWC produisent également 12 % de l’électricité du pays.
Quelle que soit la technologie, toutes les centrales de désalinisation ayant recours aux énergies fossiles, la construction de capacités nucléaires permettrait de fermer des moyens de productions polluants, de faire baisser les émissions de CO2 et de consolider l’économie du pays tout en assurant un accès à l’eau.
Comme l’explique Hugo Le Picard, chercheur au Centre Energie et Climat de l’Institut français des relations internationales (IFRI), le desallement et les réseaux de refroidissement font des pays du Golfe de grands consommateurs d’énergie : les saoudiens sont les neuvième plus grands consommateurs d’énergies au monde avec 323,4 Gigajoules par habitant (GJ/h) en 2018. A titre de comparaison la France consommait cette même année 155,7 GJ/h.