Nucléaire en Pologne : un programme bousculé par la situation géopolitique - Sfen

Nucléaire en Pologne : un programme bousculé par la situation géopolitique

Publié le 14 novembre 2022 - Mis à jour le 28 novembre 2022
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Le lancement du programme nucléaire polonais se confirme avec la sélection de l’américain Westinghouse pour la construction d’une première centrale nucléaire. Un choix politique qui s’explique la volonté atlantiste de la Pologne après bientôt un an de guerre en Ukraine. EDF maintient son offre pour les autres sites du programme alors que la Pologne vise la construction de 6 à 9 GW de nucléaire d’ici à 2043. Le coréen KHNP a de son côté signé une lettre d’Intention pour le pré-développement d’un autre site dans le cadre d’une initiative privée. 

La Pologne a sélectionné l’offre non engageante de Westinghouse et la technologie AP1000 pour la construction d’une première centrale nucléaire au nord du pays. Le début de la construction du premier des trois réacteurs est prévu pour 2026. Une bonne nouvelle pour le climat alors que le charbon représente encore près de 70 % du mix de production de l’électricité. La Pologne vise la construction de 6 à 9 GW de nucléaire d’ici à 2043. Cette annonce est toutefois le résultat d’une phase marquée par l’absence de processus concurrentiel où les aspects techniques, industriels, commerciaux et financiers doivent normalement prévaloir.

Elle intervient dans un contexte de rapprochement politique, y compris dans la défense, avec les États-Unis alors que la guerre est aux portes de l’Union européenne. Le choix de l’offre américaine va poser certains défis que ce soit le financement, le dialogue avec Bruxelles ou la mise en œuvre industrielle. En effet, Westinghouse ne dispose pas de supply chain en Europe, ni d’expérience de construction et d’exploitation. L’offre française portée par EDF, basée sur la technologie EPR, est maintenue pour les sites restants à attribuer dans le cadre du programme nucléaire polonais, comme communiqué à plusieurs reprises par l’entreprise ces dernières semaines.

 Le programme nucléaire polonais

Le gouvernement polonais vise la construction de 6 à 9 GW de nucléaire d’ici à 2043. Le premier site identifié et caractérisé est situé à Lubiatowo-Kopalino, au nord du pays à une centaine de kilomètres de Gdansk, sur la mer Baltique et pourra à terme accueillir jusqu’à 3,3 GW. Le gouvernement polonais a validé fin octobre la sélection de l’offre américaine de construction de trois AP1000 pour ce site. Le premier béton est planifié en 2026 pour une mise en service de la première unité en 2033. L’attribution du ou des sites suivants permettant de couvrir la totalité des besoins du programme nucléaire est toujours ouverte.

En parallèle, une initiative privée vise à construire une troisième centrale nucléaire sur le site d’une centrale à charbon (lignite). Une lettre d’intention pour la phase de développement préliminaire a d’ailleurs été signée par l’entreprise polonaise ZE PAK, propriétaire de la centrale lignite, par Polska Grupa Energetyczna (PGE) et par le coréen KHNP fin octobre.

Une décision politique

Le choix de l’AP1000 est avant tout un choix politique dans un contexte géopolitique tendu aux frontières de la Pologne. Les propos de la ministre de l’Énergie américaine, Jennifer Granholm, en témoignent : « l’annonce de la Pologne est un signal envoyé au monde que notre partenariat stratégique, central dans l’Alliance atlantique, demeure indestructible ». Elle a également précisé que ce nouveau partenariat permettait « de lutter contre le chantage énergétique de la Russie [1] ». La Pologne a d’ailleurs mené une politique de réduction des imports de gaz russe dont la part est passée de 70 % en 2010 à 55 % en 2021, ces importations de gaz russe étant en grande partie remplacées par des importations de gaz naturel liquéfié (LNG) américain. Le programme nucléaire permet ainsi de poursuivre le renforcement de son indépendance énergétique avec le partenaire américain qui est également un pilier dans le domaine de la défense.

EPR : l’offre française 100 % européenne toujours en course

EDF regrette que son offre préliminaire basée sur la technologie EPR n’ait pas été discutée pour ce premier site. Pour rappel, EDF avait remis en octobre 2021 une offre préliminaire non engageante au gouvernement polonais, portant notamment sur les enjeux techniques, industriels, commerciaux et financiers du projet. L’électricien, avec le soutien du gouvernement français, maintient son offre pour la seconde centrale nucléaire du pays et souhaite continuer à soutenir les autorités polonaises dans leur démarche d’accélération et d’amplification du programme polonais dans le cadre d’une coopération étroite entre les industries française et polonaise.

L’offre d’EDF porte sur la construction de 4 à 6 EPR (1 650 MWe). Elle est annoncée 100 % européenne, de la conception à la mise en service en passant par la fourniture des composants. EDF mise sur son expérience dans la construction en Europe. Construire sur le Vieux continent revêt des particularités réglementaires et structurelles, le dialogue devant être mené à la fois avec le client final, avec l’autorité de sureté et avec Bruxelles. EDF a également démontré avec le projet Hinkley Point C au Royaume-Uni sa capacité à localiser une part significative des investissements dans la « supply chain » du pays où se réalise le projet.

APR-1400 : l’offre coréenne évincée par Westinghouse ?

Le troisième concurrent dans le cadre du programme nucléaire polonais est le coréen KHNP avec la version européanisée de l’APR-1400 (1 400 MW). L’électricien a signé en parallèle une lettre d’intention pour la phase de développement préliminaire d’un projet dans le cadre d’une initiative privée. Des accords pour le développement du nucléaire ont également été signés par les gouvernements respectifs. Néanmoins, la question se pose aujourd’hui de savoir si KHNP a le droit d’exporter son réacteur sans avoir le blanc-seing des autorités américaines. Westinghouse poursuit KHNP aux États-Unis et déclare que l’export de l’APR-1400, contenant des briques technologiques de propriété américaine, doit faire l’objet d’un feu vert de la part des autorités. Ce litige rappelle l’importance que revêt la souveraineté industrielle et technologique dans l’atteinte des objectifs de souveraineté énergétique à long terme.

Des éléments à éclaircir dans un temps limité

Des éléments restent à éclaircir alors que l’objectif est de couler d’ici quatre ans le premier béton d’un réacteur qui n’a encore jamais été construit en Europe. La question, par exemple, de la Supply Chain reste entière alors que la ministre de l’Énergie américaine s’est félicitée de la création de plus de 60 000 emplois aux États-Unis pour la construction des premières unités sans jamais mentionner les retombées locales. Le mode de financement et de régulation aussi doit être détaillé et discuté avec les instances européennes dans un contexte politique difficile lié aux questions énergétiques et de souveraineté. ■

par Gaïc Le Gros (Sfen)

Photo : ©2022 Georgia Power Company – Les unités AP1000 Vogtle 3&4.

[1] Weaponization of Energy a été traduit par « chantage énergétique ».

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