Une nouvelle étude sur le territoire du Grand Chalon

Le neuvième séminaire[1] de l’Observatoire des Territoires d’industrie intitulé « Le Grand Chalon s’illustre dans l’art d’entraîner », a mis en lumière les effets d’entraînement du secteur nucléaire pour le tissu économique local. Retrouvez le rapport de La Fabrique de l’industrie.
Cet observatoire rassemble la Banque des Territoires et l’Institut pour la Recherche de la Caisse des Dépôts, l’Agence nationale de la cohésion des territoires, Mines ParisTech, La Fabrique de l’industrie, l’Assemblée des Communautés de France, Régions de France, des chercheurs des universités de Poitiers et de Paris Nanterre, pour étudier la mise en place de ces Territoires d’industrie. Pour en savoir plus sur ce dispositif nous avons interrogé Caroline Granier, cheffe de projet au sein de « La Fabrique de l’industrie » et Thierry Weil, professeur de management à Mines ParisTech.
En quoi consiste le dispositif Territoires d’industrie ?
Caroline Granier et Thierry Weil : Le dispositif Territoires d’industrie s’inscrit dans un contexte de retour du local dans les débats publics et de la réaffirmation du rôle majeur joué par l’industrie dans la cohésion sociale et territoriale en France. Lancé en novembre 2018, il est défini comme un outil de politique industrielle complémentaire des filières et vise à favoriser la coopération entre les acteurs publics et privés autour de projets industriels.
À ce jour, 148 territoires d’industrie sont animés par un binôme élu-industriel au niveau local et pilotés par les régions. Les projets industriels définis par les territoires s’organisent autour des problématiques du recrutement, de l’attractivité des territoires et de l’industrie, de la simplification des démarches administratives et de l’innovation pour favoriser la transformation numérique des entreprises et la transition écologique. À cela s’ajoute la question de la disponibilité et de la réhabilitation du foncier.
Le dispositif bénéficie d’un fléchage de 1,3 milliard d’euros issus de programmes existants et, dans le cadre du plan de relance, d’un fonds de 400 millions d’euros pour financer des projets d’investissement.
Quelles sont les particularités du tissu industriel du Grand Chalon ?
Caroline Granier et Thierry Weil : Il est impossible de parler du Grand Chalon sans évoquer sa tradition métallurgique. Depuis la création d’un chantier de construction navale au XIXème siècle, le territoire a entretenu au fil des années son savoir-faire et ses compétences pour les redéployer aujourd’hui vers la production et l’assemblage de composants lourds pour la filière nucléaire.
Le rôle d’entraînement joué par la filière nucléaire dans le tissu économique local est une autre spécificité du territoire. Elle participe à la création d’emplois sur le territoire à travers son recours à des fournisseurs et sous-traitants locaux. Les projets de R&D développés sur la Nuclear Valley s’adressent non seulement aux acteurs du nucléaire mais aussi à une diversité de filières.
Peut-être que l’élément le plus important pour expliquer les performances économiques du territoire est la capacité de ses acteurs à se mobiliser et à travailler ensemble sur des projets de territoire comme la création de la cité du numérique l’Usinerie. Rien que pour la tenue du séminaire de l’observatoire des Territoires d’industrie le 16 juin, pourtant en visioconférence, les intervenants se sont organisés pour être dans la même salle au sein de la cité numérique !
Le Grand Chalon, bassin industriel historique
Au XIXe siècle, la région s’industrialise avec l’installation des frères Schneider au Creusot en 1836. Trois ans plus tard, le groupe Schneider crée le chantier naval de Chalon-sur-Saône[3]. Après la construction de bateaux à vapeur pour la navigation fluviale seront également fabriqués des sous-marins pour l’armée et des ponts métalliques pour accompagner le développement du chemin de fer. « L’ADN de notre territoire est intimement lié à la filière industrielle de la métallurgie, même si d’autres secteurs, comme ceux de la verrerie ou de la logistique, se sont développés par la suite », analyse Sébastien Martin, président de la communauté d’agglomération du Grand Chalon. C’est à partir de 1960 que se développent les activités nucléaires avec la fabrication de chaudières nucléaires.
« Le choix du Creusot, de Montceau-les-Mines et de Chalon-sur-Saône pour y implanter les différents sites de Framatome, il y a une soixantaine d’années, ne doit rien au hasard. Ce territoire offrait à la fois les compétences et les infrastructures nécessaires, avec notamment la navigation sur la Saône. Par ailleurs, ces sites ne sont distants les uns des autres que de 25 kilomètres », explique Patrice Di Ilio, ancien chef d’établissement de Saint-Marcel[2].
A la suite de la crise sanitaire, le Grand Chalon, Le Creusot et Montceau-les-Mines ont proposé à la région de signer un pacte de relocalisation à l’échelle de la Bourgogne-Franche-Comté. Ces villes se sentent en effet en mesure d’accueillir de « nouveaux projets des secteurs ayant encore des capacités d’investissement, comme l’énergie et le nucléaire, et portant sur des éléments essentiels de leur chaine de valeur, comme la métallurgie, la plasturgie, le packaging, la logistique et les transports », soutient Sébastien Martin, président de la communauté d’agglomération du Grand Chalon.
L’effet d’entrainement du nucléaire sur le territoire
La communauté d’agglomération du Grand Chalon c’est 51 communes, 120 000 habitants et 9 400 emplois industriels, dont un certain nombre lié aux activités de Framatome, premier employeur industriel du département avec en Saône-et-Loire 2 300 salariés en CDI. Aujourd’hui le nucléaire participe au maintien de l’emploi et des compétences de la région. « Framatome fait travailler 540 fournisseurs locaux, avec lesquels le groupe a signé près de 90 millions d’euros d’engagements de commandes en 2019, détaille Patrice Di Ilio. La zone du Grand Chalon rassemble à elle seule 210 fournisseurs qui ont reçu 30 millions d’euros de commandes l’an dernier ». Le nucléaire est aujourd’hui une force pour l’industrie locale, notamment la métallurgie qui compte en tout 500 entreprises et 20 000 salariés en Saône-et-Loire.
Concernant l’innovation « 80 % des projets de R&D accompagnés par le pôle sont multi-filières, explique Jean-François Debost, directeur général de Nuclear Valley. Dès qu’une entreprise travaille sur une problématique de matériau ou de robotique pour le nucléaire, elle s’aperçoit rapidement qu’elle peut trouver d’autres débouchés dans l’aéronautique, le spatial, ou encore la pharmacie ». De plus, « un produit labelisé pour le secteur nucléaire est souvent synonyme de grande qualité pour l’ensemble des acteurs industriels ».
L’industrie face à la crise de la Covid-19
La continuité de l’activité nucléaire sur le long terme est aujourd’hui un facteur de résilience pour l’industrie locale. Néanmoins, de nombreux acteurs de la filière travaillant également pour d’autres secteurs industriels (aéronautique, automobile…), certains fournisseurs risquent d’être fortement fragilisés. La filière a réagi très tôt pour consolider sa supply chain. D’après une enquête de Nuclear Valley, le pôle de compétitivité de la filière nucléaire, Framatome et EDF ont adapté très rapidement leurs processus d’achat et de validation des jalons de projets, ce qui a permis d’accélérer la facturation et de protéger la trésorerie des petites entreprises.
Le pôle de compétitivité relaye actuellement les dispositifs des plans de relance, y compris régionaux[3], et accompagne les entreprises dans les démarches administratives. Le pôle a également lancé la plateforme Nuclear Valley LINK. Le projet en production depuis 2019 consiste à mettre en relation les membres du pôle pour des projets spécifiques comme trouver un fournisseur local, former un consortium pour répondre à un appel d’offre à l’international, mutualiser la R&D, etc. Un service qui s’inscrit parfaitement dans les problématiques actuelles de souveraineté industrielle et de résilience. De plus, le 24, 25, 26 et 27 novembre se tiendra la quatrième édition des « Rendez-vous Nuclear Valley 2020 », dédiée à la relance. Des ateliers « appels à projets R&D, appels à partenariat » seront notamment animés par des Grands donneurs d’ordre et les chargés de mission R&D Innovation du pôle.
Merci aux participants et organisateurs du séminaire : Patrice Di Ilio, ancien chef d’établissement Framatome à Saint Marcel ; Jean-Claude Lagrange, vice-président de la région Bourgogne-Franche-Comté, en charge du développement économique, de la nouvelle croissance et de l’emploi ; Isabelle Laugerette, secrétaire générale de l’Union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM) ; Sébastien Martin, président de la communauté d’agglomération du Grand Chalon ; Jean-François Debost, directeur général du pôle de compétitivité Nuclear Valley ; Caroline Granier, cheffe de projet au sein de « La Fabrique de l’industrie » et Thierry Weil, professeur de management à Mines ParisTech.
[1] https://www.youtube.com/watch?v=jqsEFwaB2uo&feature=youtu.be
[2] Chef d’établissement de Saint-Marcel jusqu’en octobre 2020.
[3] 435 millions d’euros en Bourgogne-Franche-Comté, 1 milliards d’euros en Auvergne-Rhône-Alpes et 100 milliards d’euros pour France Relance.