Nouveau parc nucléaire en France : chaque jour compte
Le renouvellement du parc nucléaire, indispensable pour éviter un « effet falaise » entre 2030 et 2040 avec la fermeture des réacteurs du parc historique, a été annoncé par le président de la République Emmanuel Macron. Toutefois, l’officialisation d’une telle décision presse, car il y a un long chemin à parcourir d’ici le coulage du premier béton nucléaire.
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À l’occasion de son allocution du 9 novembre dernier, le président de la République Emmanuel Macron a officiellement lancé le vaste chantier tant attendu du renouvellement du parc nucléaire français. « Nous allons, pour la première fois depuis des décennies, relancer la construction de réacteurs nucléaires dans notre pays, et continuer de développer les énergies renouvelables. » Une décision inédite depuis le lancement de la construction de l’EPR de Flamanville en 2007. Selon Emmanuel Macron, ce choix est justifié par le fait de « payer notre énergie à un tarif raisonnable », de « garantir l’approvisionnement électrique de notre pays », ou encore « d’atteindre nos objectifs, en particulier la neutralité carbone en 2050 ». Des motivations qui répondent aux crises actuelles : la crise du Covid-19 qui a montré la vulnérabilité de la France aux importations, la crise des prix de l’énergie qui voit les prix du gaz s’envoler et la crise climatique qui appelle à développer un mix renouvelable et nucléaire pour aller vers une économie bas carbone. « Le président a fixé un cap clair pour tenir nos engagements climatiques et assurer notre souveraineté énergétique », a abondé la ministre de la Transition écologique Barbara Pompili. Un nouveau gage de confiance est adressé à la filière nucléaire française après l’annonce par Emmanuel Macron, en octobre dernier, d’une enveloppe d’un milliard d’euros pour le nucléaire afin d’initier la construction d’un Small Modular Reactor (SMR), Nuward, et pour favoriser l’innovation dans de nouveaux concepts de réacteurs.
La décision présidentielle intervient dans un contexte de prise de conscience de l’avantage apporté par l’atome dans le mix énergétique. En octobre 2021, RTE a en effet présenté son rapport Futurs énergétiques 2050, qui montrait que les scénarios les plus sûrs et les plus abordables financièrement pour atteindre la neutralité carbone dans 30 ans passaient par le développement massif de l’éolien et du solaire, la prolongation d’une partie du parc nucléaire existant associée à la construction de 8 à 14 réacteurs EPR. Cette étude confirmait que le lancement immédiat de trois paires d’EPR pouvait être initié sans regret. En effet, le service rendu au réseau sera important à l’heure où des capacités pilotables ferment en Europe (Allemagne, Belgique, Suisse), les coûts de production sont compétitifs, et cela permettra de mobiliser la filière sans perte de compétences en vue de décisions futures.
Le plan Excell a été au rendez-vous
L’autre élément favorable à cette décision est la présentation des résultats du plan Excell d’EDF, dix-huit mois après son lancement. Mis en place à la suite des difficultés sur le chantier de l’EPR de Flamanville, il devait « permettre à la filière nucléaire de retrouver le plus haut niveau de rigueur, de qualité et d’excellence pour être au rendez-vous des projets nucléaires ». Xavier Ursat, directeur exécutif d’EDF en charge de l’ingénierie et du nouveau nucléaire l’affirme : « Grâce à la mobilisation de la filière nucléaire, 22 engagements du plan Excell sur les 25 pris avec le Gifen (Groupement des industriels français de l’énergie nucléaire) ont été atteints. » De son côté, Alain Tranzer, délégué général à la qualité industrielle, affirme qu’Excell a permis de mettre en ligne l’EPR de Flamanville pour un chargement du combustible fin 2022. Il assure aussi que les coûts de construction de l’EPR 2 seront diminués de 30 %. Cela a été rendu possible par une série d’améliorations concernant la gouvernance, la formation, la standardisation, etc.
Si la filière est prête, reste au gouvernement à détailler ce programme de construction. Quand seront lancés les premiers chantiers ? Combien de réacteurs seront concernés ? Où ? La question de la localisation est importante, car ces chantiers vont créer des milliers d’emplois localement. Pour l’heure, quatre sites sont pressentis : Penly, Gravelines, Bugey, Tricastin. Enfin le modèle de financement sera aussi essentiel, sachant que celui-ci a un poids décisif dans le coût final de production. Dans son rapport Futurs énergétiques 2050, RTE a pris pour hypothèse un coût du capital à 4 %. Une hypothèse qui demandera une intervention de l’État d’une manière ou d’une autre (investissement direct, tarif de rachat, participation, etc.).
Le premier béton : quatre à cinq ans après la décision d’investissement
Même quand ces éléments seront connus, les phases préparatoires aux premiers chantiers prendront du temps. La période séparant la décision d’engagement d’un projet nucléaire prise sur la base d’un cadre contractuel établi et le début effectif des travaux de construction d’une centrale nucléaire, communément associée au coulage du premier béton du radier de l’îlot nucléaire, est cruciale pour la réussite du projet. Cette phase peut prendre quatre à cinq ans. Tout d’abord, la Commission nationale du débat public (CNDP) doit être saisie, comme l’indique le Code de l’environnement (articles R121-1 à D181-57), pour tout nouveau site de production nucléaire correspondant à un investissement d’un coût supérieur à 230 millions d’euros. La construction de trois paires d’EPR 2 sur le territoire français dépasserait très largement ce critère.
Ensuite, l’exploitant désigné a besoin de quelques mois pour constituer son dossier de demande réglementaire d’autorisation de création d’une installation nucléaire de base (INB) et de permis de construire. Puis cette phase de préparation passe par quatre axes d’activités en parallèle : l’atteinte de maturité du design, l’analyse du rapport préliminaire de sûreté, la préparation du site choisi et enfin les autres autorisations administratives.
↦ La maturité du design et l’analyse du rapport préliminaire de sûreté.
Le retour d’expérience des récents projets nucléaires montre qu’une maturité forte du design est indispensable à la réussite ultérieure de sa construction. Pour cela, les équipements, qui seront in fine installés, ont besoin d’être connus avec précision. Les informations des fournisseurs sur les caractéristiques techniques exactes de leurs produits, en termes de dimensions et de performances, sont en effet indissociables de l’atteinte d’une installation figée. Cette prise en compte anticipée des retours des fournisseurs d’équipements dans le design, en particulier afin d’élaborer les plans d’exécution du génie civil, implique d’avoir signé les principaux contrats environ quatre ans avant le premier béton. De son côté, l’analyse du rapport préliminaire de sûreté par l’ASN doit être effectuée. Conformément à la loi, cette période est prévue sur une durée de trois ans.
↦ La préparation du site
Depuis les décrets de 2016, ces travaux, qui pouvaient être anticipés dans le passé, doivent être intégrés au périmètre du projet et ne peuvent plus être démarrés avant l’avis de l’Autorité environnementale indépendante sur l’étude d’impact du projet, déposée dans le cadre de la demande d’autorisation de création (DAC). Ils sont soumis à l’obtention d’un permis de construire (soit a minima un an après le dépôt de demande d’autorisation de création et le retour de l’enquête publique). Cette séquence de travaux préparatoires est devenue la plus critique en termes de planning, entre la décision d’engagement et le premier béton. Elle dure au moins quatre ans pour les sites identifiés comme présentant des conditions favorables
↦ Les autorisations administratives
Reste la question administrative. Un projet de construction nucléaire, qu’il soit en bord de mer ou de fleuve, sur un site déjà existant, devra faire l’objet de nombreuses demandes d’autorisations, notamment sur l’occupation du domaine public, fluvial ou maritime, la préservation de l’environnement, et de demandes de modifications des INB existantes (périmètre, autorisations de rejets). Ces procédures représentent une durée significative sur le planning de préparation.
La construction commence
Le cumul de l’ensemble de ces activités tend à montrer aujourd’hui qu’il est raisonnable de prévoir quatre à cinq ans entre la décision d’engagement d’une demande d’autorisation de création et la réalisation d’un premier béton. Au-delà du premier béton, les délais de construction sont aujourd’hui attendus entre 7 et 10 ans. Il est prudent, dans l’état actuel des connaissances, de prévoir des marges pour aléas, sur la première construction de la nouvelle série à venir. Une fois l’effet de série atteint, en théorie après trois paires construites, un des premiers objectifs du programme industriel EPR 2 est de s’aligner avec les meilleures performances internationales (évaluées aujourd’hui à 72 mois pour la construction d’un réacteur). Au final, il pourrait donc falloir près d’une quinzaine d’années entre le moment où la décision de construire sera prise, et la mise en service du premier réacteur. On voit que, pour viser le raccordement au réseau d’un premier réacteur vers 2035, la France doit prendre la décision de construction sans tarder. Ces temps longs de construction ne doivent pas faire oublier que chaque jour compte.