Les turbines Arabelle : des monstres de puissance parés de dentelle - Sfen

Les turbines Arabelle : des monstres de puissance parés de dentelle

Publié le 25 octobre 2024 - Mis à jour le 29 octobre 2024

Dans les ateliers d’Arabelle Solutions, la lumière ne s’éteint jamais ! L’entreprise, qui a intégré EDF en mai 2024, tourne tous les jours à toute heure pour fabriquer les turbines et les alternateurs qui les accompagnent. L’Arabelle fait partie des  équipements les plus massifs du monde nucléaire et atteignent une vitesse de rotation de 1 500 tours par minute.

Depuis mai 2024, les turbines Arabelle naviguent de nouveau sous pavillon français. Rachetées par EDF à l’Américain General Electric, elles sont maintenant estampillées Arabelle Solutions. Les couleurs du nouvel actionnaire unique, EDF, sont petit à petit hissées en haut des ateliers immenses abritant l’ensemble des  activités liées à la fabrication et à la maintenance de turbines et d’alternateurs. Des ateliers haut comme des cathédrales forment l’ancien site d’Alst(h)om1 qui font la fierté du territoire et même de la France tout entière. Le lieu est en effet imprégné d’une histoire industrielle forte : c’est là que l’on fabrique le train à grande vitesse (TGV), les turbines les plus puissantes du monde (Arabelle) mais aussi les turbines à gaz 9HA offrant le meilleur rendement au monde. Les activités ferroviaires d’Alstom et gazières de GE Energy sont toujours présentes sur l’immense site industriel. C’est dans ce cadre que se dresse Arabelle Solutions, 100 % dédiée au nucléaire, et où sont fabriqués et manipulés les équipements parmi les plus lourds des centrales.

 

L’usine d’Arabelle Solutions regorge d’activités, que ce soit dans la fabrication ou la maintenance d’équipements. © Sfen – Maximilien Struys

Une longue tradition industrielle en héritage

Le nom Arabelle fait référence à Alstom RAteau BELfort LE Bourget. Il rend notamment hommage à Auguste Rateau (1863-1930), ingénieur, inventeur et pionnier dans le domaine des turbomachines. Son entreprise, la société Rateau, fournira les turbines des toutes premières centrales nucléaires françaises dans les années 1950 avant d’être reprises par Alsthom-CGE en 19762. En 2015, le site devient la propriété de l’américain General Electric lors du rachat  d’Alstom Power avant que, neuf ans plus tard, l’entreprise ne soit de nouveau de retour dans le giron français.

Un carnet de commandes bien rempli

« Nos ateliers sont en activité sept jours sur sept, 24h/24 », explique Pierre-Marie Poisson, directeur de l’usine posté devant un immense rotor pour l’instant dépourvu d’ailettes. Arabelle Solutions peut se réjouir de bénéficier d’une forte activité. Elle fabrique entre autres les turbines et les alternateurs des EPR britanniques d’Hinkley Point C mais également ceux des premières centrales turque et égyptienne. Ces trois projets représentent à eux seuls un besoin de 10 turbines ! L’entreprise peut fournir les turbo-alternateurs de deux réacteurs par an. À ce carnet de commandes, il faut encore ajouter l’activité liée à toutes les opérations d’entretien réalisées sur place.

Rotor basse pression en cours d’usinage. © Sfen – Maximilien Struys

Tout au long de la turbine

Une turbine se compose de différents blocs : un pour la haute pression et plusieurs autres de basse pression, selon la puissance souhaitée. Une fois en rotation, elle transforme la chaleur d’un réacteur nucléaire en force mécanique puis en électricité grâce à la mise en mouvement de l’alternateur. Les rotors sont soudés à la verticale avant d’être travaillés et équipés des ailettes à l’horizontale. Arabelle, c’est un mastodonte d’une cinquantaine de mètres de long pour huit mètres de diamètre affichant, sur la balance, plus de 1 000 tonnes.

C’est justement par un imposant module basse pression que débute notre visite. Sa parfaite symétrie lui offre un caractère photogénique hors du commun qui témoigne par ailleurs d’une grande précision industrielle. Il est presque possible d’imaginer la vapeur venant du module haute pression s’engouffrer au centre du bloc, passant dans les ailettes et trouvant son chemin à travers les aubages fixes. À quelques pas de là, un module basse pression sur son arbre, paré des premières ailettes, est en rotation. C’est ici qu’est réalisé l’équilibrage pour des nouvelles pièces ou d’autres déjà en service sur le réseau. Arabelle Solutions contient en effet une entité « service » dédiée à la maintenance qui opère sur plus de 100 centrales nucléaires dans le monde. « C’est un réel travail de finition », commente le directeur de l’usine soulignant la grande précision du travail fait en amont.

L’Arabelle

La turbine Arabelle est le fer de lance de l’entreprise : il s’agit ni plus ni moins de la plus puissante au monde, capable de fournir jusqu’à 1 900 MWe d’électricité ! Arabelle désigne en fait une famille de turbines dont les ailettes les plus grandes, équipant les modules basse pression, mesurent entre 56 et 75 pouces (entre 142 cm et 190 cm). L’Arabelle de l’EPR d’Hinkley Point C cumule ainsi un diamètre de 8 mètres ! Ces ailettes sont conçues pour se trouver dans une position optimale après leur déformation causée par la rotation. Selon les contraintes du projet (puissance du réacteur, capacité du réseau électrique, etc.), une turbine peut embarquer de deux à trois modules basse pression. Mais la puissance ne fait pas tout : Arabelle Solutions affiche également une fiabilité éprouvée, avec un « taux d’interruption forcée sur dix ans de 0,04 % », vante l’industriel.

Le chemin fléché de vert nous amène à une immense porte où l’on peut lire sur une pancarte : « France 2030 ». En face trône un bloc basse pression entièrement équipé de l’Arabelle. C’est là que le président de la République Emmanuel Macron a prononcé son « discours de Belfort » en 2022, qui a lancé le programme EPR 2. La porte est intimidante : elle approche le mètre d’épaisseur. L’immense coffre-fort est en réalité une salle d’essai pour mettre à l’épreuve les turbines en conditions réelles et plus encore. « Les turbines y sont testées à 1 800 tours par minute, soit à une vitesse légèrement supérieure à celle adoptée en centrale », explique Pierre-Marie Poisson. Bien qu’Arabelle soit indéniablement la star de l’entreprise, elle a toujours besoin d’être couplée à un alternateur pour produire de l’électricité.

Stator d’un alternateur Gigatop en fabrication – © Sfen – Maximilien Struys

L’alternateur Gigatop

Moins connu que l’Arabelle, l’alternateur Gigatop n’est pourtant pas moins important puisque c’est ensemble qu’ils transforment la chaleur d’un réacteur en électricité. Après avoir rejoint en seulement quelques minutes à pieds l’atelier dédié à ces équipements, nous observons plusieurs alternateurs en cours de construction. Devant nos yeux se profilent de longues tiges de cuivre ornant l’intérieur du stator d’un alternateur. Un peu plus loin, le chantier d’une seconde unité, moins avancé, nous donne une idée du travail à réaliser. Le Gigatop est l’un des trois alternateurs que propose Arabelle Solutions avec le Topair et le Topac. De plus forte puissance, il représente la grande majorité des commandes. Avec un stator de 440 tonnes, c’est l’un des plus gros composants d’une centrale nucléaire, un véritable bijou industriel. Il couvre une puissance allant de 600 à 2 2353 mégavoltampères et allie un système de refroidissement du stator à l’eau et un autre à l’hydrogène pour le rotor. Un cocktail qui nécessite un travail de grande rigueur et de grande précision. Il y a maintenant quelques semaines, les deux composants Gigatop d’Hinkley Point C ont quitté l’un après l’autre l’usine en train. Ils ont ensuite pris place sur une barge pour descendre sur le Rhin jusqu’au port de Rotterdam.

Arabelle Solutions à la conquête de nouveaux projets

Dans le nucléaire, un pays est libre de choisir le fournisseur du réacteur et celui de l’îlot conventionnel. Le groupe turboalternateur est l’un de ces éléments soumis à libre choix. Par exemple, l’EPR Olkiluoto est couplé à une turbine de l’Allemand Siemens alors que ceux de Taishan, en Chine, et celui de Flamanville, en France, bénéficient de turbines Arabelle. Arabelle Solutions, avec comme seul actionnaire EDF, garde la liberté de se placer sur différents marchés et de répondre à des appels d’offres comme elle l’entend. La relance nucléaire observée partout dans le monde laisse présager un grand avenir à la turbine de Belfort.

Stator d’un alternateur en fabrication. © Sfen – Maximilien Struys


1. En 2014, Alsthom est devenue Alstom, à la suite de la cession de ses activités liées à l’énergie.
2. Bibliothèque nationale de France.
3. En prenant les références du GIGATOP 2 et du GIGATOP 4.

Par Gaïc Le Gros, Sfen

Photo I Gros plan d’un module basse pression de la plus puissante des turbines Arabelle.

© Sfen – Maximilien Struys

Revue Générale Nucléaire #3 | Automne 2024