Le World Nuclear Exhibition comme si vous y étiez
Du 28 au 30 novembre dernier, le cinquième World Nuclear Exhibition (WNE) a pris ses quartiers au salon des expositions de Villepinte. Rendez-vous incontournable du nucléaire organisé par le Gifen, le forum s’est déroulé dans un climat d’optimisme pour la filière représentée par 88 pays. Fatih Birol, le directeur de l’Agence internationale de l’énergie, a donné le la : « Il y a deux ans, je disais que le nucléaire pourrait être prêt à faire son come-back. Aujourd’hui, je vous assure que le nucléaire réalise un très fort come-back ! ». Rafael Grossi, Directeur de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), abondait : « En Europe, de nombreux pays changent leur position vis-à-vis de l’atome. C’est un retour à la raison, un retour au bon sens ! ».
Mais le WNE, ce ne sont pas que des discours. C’est aussi un immense espace de rencontres et de démonstrations qu’ont pu découvrir 23 600 visiteurs autour de 780 exposants.
IA, robot et gros tuyaux
Difficile de louper ce robot se déplaçant dans son tube transparent et dont le look, avec ses grosses roues et son petit bras articulé, n’aurait rien à envier aux plus belles créations de Pixar. Cette plateforme autonome fait partie du projet européen Aces, un consortium européen qui travaille sur la sûreté des infrastructures en béton des centrales nucléaires.
Ce robot est capable de se déplacer dans les canalisations de prise d’eau des réacteurs nucléaires pour y rechercher des traces de corrosion sur les feuilles d’acier à l’intérieur du béton coulé. Il le fait grâce à des capteurs utilisant des courants de Foucault pulsés. Pour se repérer dans l’espace, il est équipé de trois caméras dont une stéréo pour faire du « slam visuel ».
Fabriquer plus vite
« Le nucléaire est à l’âge de la fabrication additive et la fabrication additive est à l’âge du nucléaire ». C’est fort de cette promesse qu’on est placé face à une grosse pièce de métal. Il s’agit d’une roue de pompe du circuit primaire des futurs réacteurs EPR.
Nouveauté : là où traditionnellement de telles pièces sont issues de la fonderie et formées grâce à un moule, celle-ci a été intégralement imprimée par Framatome. Cette méthode se veut plus performante en termes de temps et de coûts, en générant moins de non-qualité. Aujourd’hui, cette roue imprimée en 3D répond entièrement à la réglementation nucléaire. Avec le développement de l’impression 3D, il est possible de fabriquer des équipements encore plus gros, jusqu’à 5 mètres. Mais surtout il devient envisageable de travailler sur des géométries plus complexes, très difficiles à réaliser avec de la fonderie, ce qui permettrait de servir les futurs réacteurs avancés ou le nucléaire spatial.
Le nucléaire vu de Chine
La China National Nuclear Corporation a mis en scène plusieurs de ses technologies nucléaires sur une grande maquette lumineuse afin d’en montrer les complémentarités. Le petit réacteur modulaire ACP100, le Hualong-1 (1 000 MW), un réacteur à haute température refroidi au gaz (HTGR) et même de la fusion ! Et ce n’est même pas tout : « CNNC travaille sur toutes les technologies de réacteurs y compris les réacteurs à neutrons rapides », nous précise Xiaoluo, une ingénieure chinoise formée à l’Université Paris-Saclay. L’entreprise présente également divers usages de l’atome dans la médecine ou la désalinisation de l’eau. All inclusive.
Anémone, le préleveur passe-partout
Ce drôle d’objet jaune aux allures marines a fait parler bon nombre de visiteurs du WNE. Anémone est le préleveur universel inventé par Orano, d’une efficacité redoutable pour saisir tous types d’objets solides à des fins principalement de récupération et d’évacuation, mais aussi de prélèvement d’échantillons. Sa tête en forme d’anémone est composée d’une multitude de tentacules, qui lorsqu’elles se rétractent permettent de saisir et piéger ces objets et matériaux. Une bonne reproduction technologique de ce que l’animal peut faire pour chasser ou se protéger des prédateurs. Anémone peut récupérer des petits éléments de quelques centimètres comme de la visserie ou encore des charges pouvant atteindre une dizaine de kilogrammes. Grâce à son alimentation à air comprimé ou électrique, les manipulations sont sans effort pour son utilisateur. Avec l’ajout d’une perche, pouvant atteindre 20 mètres de long, Anémone peut intervenir en milieu contraint, irradiant ou immergé, comme les piscines de combustibles, tout en protégeant le manipulateur.
Il pourrait même être utilisé prochainement pour récupérer des échantillons de corium sur le site de Fukushima.
Une valve de ventilation pour l’EPR 2
L’entreprise KSB a présenté une impressionnante valve d’aération de type EBA, à triple excentration, conçue pour l’EPR 2 et dont la petite soeur équipe déjà certains réacteurs du parc nucléaire français.
Son rôle est de permettre la ventilation du bâtiment réacteur et d’en assurer le confinement en situation accidentelle. KSB met en avant une chaîne de fournisseurs la plus locale possible avec des pièces brutes forgées et un usinage réalisé intégralement en interne, sur son site à la Roche-Chalais en Dordogne.
L’intrépide duo
Hybride entre Anybotics, robot suisse, et Nanopix, la caméra gamma la plus petite au monde, développée par Orano et le CEA-List, ce drôle de couple n’a pas laissé les visiteurs indifférents. L’ingénieux binôme permet de réaliser des cartographies 3D faisant apparaître les points chauds lors des interventions en environnements irradiants. Indispensable pour protéger les opérateurs et préparer les interventions. Une première génération de caméras gamma numériques développée par le CEA-List, baptisée Cartogam, mesurait 40 cm pour une masse de 17 kg. Bien trop grandes pour les besoins d’Orano la Hague. C’est pourquoi, après la conception d’un modèle de taille intermédiaire, Nanopix présente aujourd’hui des mensurations de rêve, soit 8 cm de diamètre pour une masse de 400 g.
« Terman » aux mains d’argent
Terman est un bras robotique développé par Orano avec un système mécanique sans composants électroniques. Ceux-ci sont situés en amont du bras en dehors de la zone radioactive, dite zone chaude. Cette caractéristique lui offre une grande robustesse. Après 1 000 heures de tests en mode robotique, pour des tâches répétitives, aucun problème de déviation n’a été constaté, assure l’entreprise. Pour ce qui est de l’opérateur, celui-ci bénéficie d’un retour d’effort haute performance pour un travail minutieux.
Ce manipulateur de nouvelle génération a fait son entrée en service depuis 2016 dans l’usine d’Orano La Hague.
Amorak va là où les hommes s’arrêtent
Avec un charme irrésistible, Amorak a fait le show. Le quadripède n’est pas un simple robot. Son potentiel d’utilisation pour mesurer les rayonnements relève avec brio les défis alignés sur les besoins pointus de personnels qualifiés. Un opérateur peut gérer en sécurité toute une flotte de robots en parallèle. Les résultats sont automatiquement répertoriés et mis à jour dans une documentation numérisée. Le robot-chien de Framatome permet la caractérisation radiologique et la cartographie 3D dans la gestion d’opérations en vue de déclassement et de transport de déchets. En autonomie complète, il utilise un système de marquage pour indiquer les points chauds de zones contaminées. Il est équipé de détecteur à scintillateurs ZnS, de caméras, de capteurs électromagnétiques, de température ou acoustiques.
Une star nommée Nuward
Pendant ce WNE 2023, de nouveaux noms sont apparus le long des travées : ceux des entreprises du nouveau nucléaire. Celles-ci veulent bousculer l’écosystème de l’atome civil avec leurs nouvelles technologies et leurs nouveaux usages. Au rang des stars du salon, on peut compter le SMR Nuward, porté par le groupe EDF et ses partenaires (CEA, Framatome, Technicatome, Naval Group et Tractebel). Constituées de deux unités de 170 MW, les premières centrales Nuward devraient faire leur apparition en France au début des années 2030. Nuward est, selon les mots du directeur de l’entreprise éponyme Renaud Crassous, « le projet de SMR européen pour l’Europe ».
ITER, l’énergie des étoiles
Porte-étendard du stand d’Iter Organization, la maquette haute en couleur d’Iter, reproduite à l’échelle 1/50, montre un aperçu du tokamak. Cette maquette a attiré bien des regards, autant que la conférence qui était dédiée à ce projet dont le nom, en latin, signifie « le chemin ». Deux isotopes de l’hydrogène sous leur forme gazeuse, le deutérium et le tritium, sont mélangés dans l’enceinte du tokamak puis soumis à des températures extrêmes pour déclencher leur fusion. Cette réaction nucléaire libère une quantité colossale d’énergie décarbonée qui permettra par la suite de produire de l’électricité. En comparaison, un gramme de mélange deutérium-tritium génère autant d’énergie que 8 tonnes de pétrole. Le projet est installé en France, à proximité de Cadarache, mais implique plus de 35 pays. L’objectif est de garantir l’accès à la propriété intellectuelle des études et travaux pendant sa conception et au moment des essais de génération de plasma.
Quand le CEA tisse son combustible
Cette étonnante machine tournant sur de multiples axes simultanément a capté l’attention des visiteurs. Il faut reconnaître que son mouvement répétitif de tressage a quelque chose de tout à fait hypnotique. Une fascination d’autant plus grande quand on comprend que le CEA présente ici une machine à tresser des gaines de combustible nucléaire d’ATF (accident tolerant fuel), des combustibles particulièrement résistants aux accidents. Concrètement, la machine tresse des fils en carbure de silicium, destinés ensuite à être montés dans un tube. Alors que le matériau de gaine n’a pas de résistance mécanique à l’origine, des traitements chimiques et un conditionnement thermique appropriés lui confèrent une structure rigide à l’aspect métallique. Avec de tels matériaux, il est possible de résister à des températures de 1 300° C à 1 400° C. Reste encore un développement en R&D à effectuer pour fermer ces tubes en vue d’une mise sur le marché dans la décennie à venir.
En route pour Jules Horowitz
Parmi les nombreux éléments mis à l’honneur par le CEA, une maquette du réacteur Jules Horowitz en construction sur le site de Cadarache en Provence-Alpes-Côte d’Azur figurait dans cette édition 2023 de WNE.
Le réacteur, qui repose sur des plots antisismiques, va permettre de tester le comportement de matériaux et combustibles sous irradiation et de produire des radioéléments pour la médecine nucléaire et l’industrie non nucléaire.
Par Sylvie Delaplace, Ludovic Dupin, Gaïc Le Gros et François Terminet (Sfen)
Photos WNE © Romain Bassenne I Reportage WNE Paris 2023.
Image à la une I Photo © Romain Bassenne I Des gaines de combustible tressées
Lors du World Nuclear Exhibition (WNE) en novembre 2023, le CEA a présenté des gaines de combustible ATF (résistantes aux accidents) composées de fils en carbure de silicium tressés